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§2- La réponse du Conseil constitutionnel

ADIAL

Peu de temps après l’instauration de la procédure de la Question Prioritaire de
constitutionnalité, le Conseil constitutionnel va être amené à se prononcer sur la
constitutionnalité du système de réparation des accidents du travail et maladies
professionnelles. Le Conseil va juger conforme à la Constitution, le régime d’indemnisation
de la Sécurité Sociale (A) mais va, cependant, émettre une réserve concernant
l’indemnisation versée en cas de faute inexcusable et c’est là le coeur de cette décision (B).

A- Un système d’indemnisation conforme à la constitution

La requérante à la QPC invoquait à l’appui de sa demande différents moyens qu’il convient
de reprendre ainsi que la réponse apportée par le Conseil à chacun de ces points de droit.

1) Les dispositions contestées

Les époux L. invoquaient que les dispositions des articles L.451-1, L.452-1 à L.452-5 du
code de la sécurité sociale, qui font obstacle à ce que la victime d’un accident du travail
obtienne de son employeur la réparation de chefs de préjudice ne figurant pas dans
l’énumération prévue par l’article L.452-3 du même code, sont contraires au principe
constitutionnel d’égalité devant la loi et les charges publiques énoncé aux articles 1er, 6 et
13 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789.
Revenons sur le contenu des ces dispositions légales.

D’après l’article L. 451-1 du CSS : « Sous réserve des dispositions prévues aux articles
L.452-1 à L.452-5, L.454-1, L.455-1, L.455-1-1 et L.455-2 aucune action en réparation des
accidents et maladies mentionnés par le présent livre ne peut être exercée conformément au
droit commun, par la victime ou ses ayants droit »

L’article L.452-1 du même code, auquel renvoie la précédente disposition pose le principe de
l’indemnisation complémentaire lorsque l’accident est dû à la faute inexcusable de
l’employeur. L’article L.452-2 détermine les modalités de calcul de cette majoration. L’article
L.452-3 liste de manière limitative certains chefs de préjudices pour lesquels la victime ou
ses ayants-droit peuvent demander réparation. L’article L.452-4 fixe les règles de procédure
applicables en l’absence d’accord amiable et enfin, l’article L.452-5 vise le cas de la faute
intentionnelle de l’employeur qui opère un retour aux conditions de droit commun.

Ce qui est visé, c’est donc le système de réparation automatique mais forfaitaire retenu par
le législateur de 1898. Et ce en raison des différentes critiques portées à ce système, que
nous avons évoquées plus haut.

Madame L. considère que ces articles ne traduisent pas les principes constitutionnels de
l’égalité devant la loi et les charges publiques et de l’obligation pour tout citoyen de réparer
tout dommage causé à autrui par sa faute.

2) La conformité de ces dispositions aux droits et libertés garantis par la Constitution

Les deux griefs ainsi portés au système de réparation de la sécurité sociale, par les époux
requérants ont donc été examinés par le Conseil constitutionnel à la lumière des textes
composant le bloc de constitutionnalité. Ces arguments sont repris dans le Considérant 7 de
la décision :

« Considérant que, selon les requérants, ces dispositions législatives sont contraires au
principe d’égalité devant la loi et les charges publiques énoncé aux articles 1er, 6 et 13 de la
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ainsi qu’au principe de
responsabilité, qui découle de son article 4 ; qu’ils font valoir que le régime d’indemnisation
des accidents du travail fait obstacle à ce que la victime obtienne de son employeur la
réparation intégrale de son préjudice même dans l’hypothèse où ce dernier a commis une
faute à l’origine de l’accident ; que le dispositif de majoration applicable lorsque l’employeur a
commis une faute jugée inexcusable ne permet pas à la victime de l’accident d’obtenir la
réparation de tous les préjudices subis ; que sont, en particulier, exclus du droit à réparation
les préjudices qui ne sont pas mentionnés par l’article L. 452-3 du code de la sécurité sociale
; qu’à l’exception du cas où la faute commise par l’employeur revêt un caractère intentionnel,
ces dispositions privent la victime de demander réparation de son préjudice selon les
procédures de droit commun ».

Il convient à présent d’analyser la réponse donnée par le Conseil, à la lumière du
commentaire de la décision publié dans les Cahiers du Conseil constitutionnel(133).
Le Conseil s’est tout d’abord attaché à rappeler les normes de constitutionnalité applicables.
Il rappelle que la compétence du législateur trouve son fondement dans la Constitution, pour
déterminer les principes fondamentaux du droit du travail et de la sécurité sociale. Il souligne
ensuite la limite à ce principe : « dès lors que, dans l’exercice de ce pouvoir, il ne prive pas
de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel ».

Ensuite, le Conseil réaffirme sa position désormais habituelle à propos du principe d’égalité
qui : « ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations
différentes ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général pourvu que, dans
l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet
de la loi qui l’établit ».

Surtout, le Conseil va reprendre son considérant de principe, formulé à l’occasion d’une QPC
précédente(134). Il évoque l’article 4 de la Déclaration de 1789 selon lequel la liberté consiste à
pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui, et il en déduit que le principe de responsabilité
pour faute en découle. Selon lui, la faculté d’agir en responsabilité, protégée par la
Constitution : « ne fait pas obstacle à ce que le législateur aménage, pour un motif d’intérêt
général, les conditions dans lesquelles la responsabilité peut être engagée ; qu’il peut ainsi,
pour un tel motif, apporter à ce principe des exclusions ou des limitations à condition qu’il
n’en résulte pas une atteinte disproportionnée aux droits des victimes d’actes fautifs ainsi
qu’au droit à un recours juridictionnel effectif qui découle de l’article 16 de la Déclaration de
1789. »

Par ces considérants 8 à 10, le Conseil constitutionnel insiste dans un premier temps sur le
fait que traiter différemment des situations différentes ne s’oppose pas au principe d’égalité
constitutionnellement reconnu et il reconnaît la légitimité du législateur pour déterminer les
différentes modalités de traitement.

Après avoir mis l’accent sur les principes qu’il retient depuis longtemps, le Conseil va
adopter un raisonnement en trois temps pour statuer sur les griefs opposés par les
requérants.

Dans un premier temps, les juges du Conseil vont rappeler le fondement constitutionnel du
régime de sécurité sociale en matière d’accident du travail et de maladie professionnelle. Ils
ajoutent que ce système trouve son fondement dans les exigences du onzième alinéa du
Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 aux termes duquel « La Nation garantit à
tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la
sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son
état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler
a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence ».

Les juges continuent leur démonstration en relevant que la sécurité sociale est chargée de la
prévention des accidents du travail et de la réparation des dommages qui en résultent. De
plus, le risque AT/MP est financé par les cotisations dues par les employeurs et la charge
des prestations et indemnités incombe aux caisses d’assurance maladie sous réserve des
cas de faute inexcusable et intentionnelle pour lesquels l’employeur reste personnellement
tenu.

Ainsi, par cette première étape de son raisonnement, le Conseil a tenu à démontrer que la
substitution du régime de sécurité sociale à la responsabilité de l’employeur trouve sa source
dans la Constitution à travers le principe de responsabilité et les dispositions du onzième
alinéa du Préambule de 1946.

En deuxième lieu, le Conseil se prononce sur le principe d’égalité devant la loi. Il ne
s’intéresse pas au principe d’égalité devant les charges publiques qu’il juge inopérant en
l’espèce. Les juges, vont sur ce point, retenir que le salarié se trouve dans une situation
particulière dans le cadre de son contrat de travail et que la dérogation au droit commun de
la responsabilité pour faute, opérée par le système de réparation des AT/MP, est totalement
justifiée. Les juges estiment cette différence de traitement légitime puisque les victimes
d’accident du travail ne se trouvent pas dans la même situation que celle des autres
victimes. De plus, elle répond à l’objectif de réparation des AT/MP visé par le livre IV du code
de la sécurité sociale. A ce sujet, le Conseil avait déjà affirmé que la spécificité de la
situation du salarié légitime la compétence du législateur pour décider de l’application d’un
régime différent.(135)

En troisième lieu, le Conseil s’attache au principe de responsabilité obligeant toute personne
fautive à réparer les conséquences dommageables de cette faute. A ce titre, deux points
sont contestés : le caractère forfaitaire de l’indemnisation allouée aux victimes d’accidents du
travail et de maladies professionnelles et d’autre part, l’absence de réparation intégrale des
préjudices subis et ce, même en présence d’une faute inexcusable de l’employeur. Le
Conseil aborde ces points litigieux successivement dans ses considérants 16 et 17.

Tout d’abord, Le Conseil insiste sur le fait que les prestations sont totalement prises en
charge par les caisses d’assurance maladie et qu’une indemnité forfaitaire basée sur son
salaire et son taux d’activité est versée au salarié et ce, même lorsque le salarié a commis
une faute inexcusable, dès lors que son accident ou sa maladie est dû à son activité
professionnelle. Le Conseil rappelle que les indemnités sont versées par les caisses quelle
que soit la situation de l’employeur et met l’accent sur les avantages dont bénéficient les
travailleurs victimes par rapport aux victimes agissant sur le fondement du droit commun. Il
relève également que les dispositions du code de la sécurité sociale prennent en compte la
charge que représente l’ensemble des prestations servies.

Est ainsi dessinée l’économie générale du système par les juges qui énoncent que : « ces
dispositions garantissent l’automaticité, la rapidité et la sécurité de la réparation des
accidents du travail et des maladies professionnelles ».

Ils ajoutent : « en l’absence de faute inexcusable de l’employeur, la réparation forfaitaire de
la perte de salaire ou de l’incapacité, l’exclusion de certains préjudices et l’impossibilité, pour
la victime ou ses ayants droit, d’agir contre l’employeur, n’instituent pas des restrictions
disproportionnées par rapport aux objectifs d’intérêt général poursuivis ».

La réparation forfaitaire opérée par le code de la sécurité sociale est donc validée par les
juges constitutionnels au regard de l’intérêt général.

D’autre part, dans son considérant 17, la décision aborde le cas de la faute inexcusable de
l’employeur. Elle retient que le plafonnement de la majoration de l’indemnité versée aux
victimes pour compenser leur perte de salaire résultant de l’incapacité « n’institue pas une
restriction disproportionnée aux droits des victimes d’accident du travail ou de maladie
professionnelle » au regard des mêmes motifs d’intérêt général. Ainsi, le Conseil considère
que l’article L.452-2 du code de la sécurité sociale prévoyant la majoration plafonnée à 100%
du salaire ou du capital et instaurant donc un dispositif forfaitaire n’est pas contraire à la
Constitution.

Pour conclure sur ce point, que la faute commise par l’employeur soit inexcusable ou non, le
Conseil affirme que la réparation forfaitaire des préjudices de la victime d’un accident du
travail ou d’une maladie professionnelle instaurée par le livre IV du code de la sécurité
sociale est conforme à la Constitution puisqu’elle ne porte pas une atteinte disproportionnée
au principe de responsabilité.

La décision du 18 juin 2010 examine ensuite l’article L.452-3 du code de la sécurité sociale
qui énumère la liste des préjudices indemnisables dont la victime peut demander réparation.
Et c’est précisément sur ce point de droit que la décision va révéler tout son intérêt.

B- L’enjeu de la décision : la réserve d’interprétation

Dans son considérant final, le Conseil énonce : « Considérant qu’il résulte de tout ce qui
précède que, sous la réserve énoncée au considérant 18, les dispositions contestées ne
sont contraires ni au principe de responsabilité, ni au principe d’égalité, ni à aucun autre droit
ou liberté que la Constitution garantit ».

La réserve d’interprétation résulte du considérant 18 : « Considérant, en outre,
qu’indépendamment de cette majoration, la victime ou, en cas de décès, ses ayants droit
peuvent, devant la juridiction de sécurité sociale, demander à l’employeur la réparation de
certains chefs de préjudice énumérés par l’article L. 452−3 du code de la sécurité sociale ;
qu’en présence d’une faute inexcusable de l’employeur, les dispositions de ce texte ne
sauraient toutefois, sans porter une atteinte disproportionnée au droit des victimes d’actes
fautifs, faire obstacle à ce que ces mêmes personnes, devant les mêmes juridictions,
puissent demander à l’employeur réparation de l’ensemble des dommages non couverts par
le livre IV du code de la sécurité sociale ; »

C’est à propos du caractère limitatif des préjudices dont la victime peut demander réparation,
en cas de faute inexcusable, que le conseil émet une réserve. Selon lui, la liste des
préjudices alloués ne saurait priver la victime de la possibilité de demander à l’employeur,
devant les juridictions de sécurité sociale, la réparation de l’ensemble des dommages non
couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale.

L’analyse, par le Conseil, de la conformité des mesures constitutives de dérogations ou de
restrictions au principe de responsabilité procède d’une appréciation de la proportionnalité
entre l’intérêt général poursuivi et la gravité de l’atteinte portée. C’est la méthode déjà
utilisée et expliquée dans sa décision du 11 juin 2010 précitée. Cette proportionnalité entre
l’intérêt général et l’atteinte aux droits des victimes, s’apprécie « en fonction non seulement
de l’ampleur des restrictions au principe de responsabilité, mais également de leur champ
d’application. Dans cette mesure, le Conseil prend en compte le fait que les mesures
restreignant le droit d’agir en responsabilité s’appliquent à des agissements plus ou moins
gravement fautifs»(136).

En effet, la QPC a été soumise au Conseil au regard d’une différence de traitement jugée
injustifiée entre la victime d’une faute inexcusable et la victime d’une faute intentionnelle,
cette dernière pouvant être indemnisée dans les conditions du droit commun. Pour répondre
à cela, le Conseil note que le régime prévu en cas de faute inexcusable peut s’appliquer à
des fautes d’une particulière gravité. A cet égard, le Conseil n’a pas statué en conséquence
de la jurisprudence en matière de faute inexcusable qui a assoupli la définition et ainsi
« abaissé » le seuil de la faute inexcusable. Cela est sans incidence pour le Conseil qui juge
que le dispositif de réparation résultant du CSS s’applique aux fautes d’une gravité
particulière. En d’autres termes, les juges du Conseil retiennent que malgré l’évolution de la
définition de la faute inexcusable, les cas dans lesquels celle-ci est caractérisée doivent
rester soumis au principe forfaitaire de réparation. Cependant, la liste limitative des
préjudices réparables ne doit pas quant à elle être interprétée comme exhaustive.

Cette décision et notamment sa réserve d’interprétation a tout de suite fait l’objet de
réactions de la part des différents acteurs du dispositif et suscite de nombreuses
interrogations. Il semble en effet, que cette décision s’oriente vers l’instauration d’une
réparation intégrale.

133 Les Cahiers du Conseil constitutionnel, cahier n°2 9.
134 Décision n° 2010-2 QPC du 11 juin 2010 ( Mme Vivia ne L.)
135 Décision n° 2001-455 DC du 12 janvier 2002, Loi de modernisation sociale.
136 Cahiers du Conseil constitutionnel n°29 page 8

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