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§ 2 : La suppression du droit préférentiel de souscription.

Dans la mesure où le droit préférentiel de souscription est un moyen de protection de
l’actionnaire, et plus particulièrement de l’actionnaire minoritaire, sa suppression constitue une
atteinte aux droits de celui-ci(150). En effet, en cas d’augmentation du capital social avec
suppression du droit préférentiel de souscription, la participation de l’actionnaire dans la
société se trouvera réduite, entraînant mécaniquement une diminution de l’ensemble de ses
droits(151). Cependant, dans certains cas, l’intérêt de la société justifie cette suppression. Le plus
souvent, il s’agit du cas dans lequel un nouvel actionnaire souhaite faire son entrée au capital
social(152). Afin de concilier les intérêts de l’actionnaire et ceux de la société, l’article 29 § 4
pose les conditions de la suppression du droit préférentiel de souscription.

L’article 29 § 4 de la directive prévoit que, si le droit préférentiel de souscription ne
peut être limité, ni supprimé par les statuts, il peut l’être par une décision de l’assemblée
générale. Préalablement à cette décision, l’assemblée doit avoir reçu une information adéquate
de la part de l’organe de direction ou d’administration. Cette information prend la forme d’un
rapport écrit indiquant les raisons de la limitation ou de la suppression du droit préférentiel de
souscription, ainsi que le prix d’émission proposé. La décision de l’assemblée générale est
prise selon une majorité qui ne peut être inférieure aux deux tiers des voix afférentes soit aux
titres représentés, soit au capital souscrit représenté. Le droit préférentiel de souscription peut
également être supprimé ou limité par l’organe d’administration ou de direction habilité à
décider de l’augmentation de capital, si les statuts ou l’assemblée générale lui ont conféré cette
prérogative (art. 29 § 5).

Le droit français est plus restrictif que la directive, dans la mesure où l’article L. 225-
135 C. Com. dispose qu’il revient à l’assemblée générale extraordinaire qui statue sur
l’augmentation de capital de supprimer, le cas échéant, le droit préférentiel de souscription(153).
Une délégation au conseil d’administration ou au directoire est cependant possible. Cette
suppression peut être totale ou prendre la forme d’une limitation ne portant que sur une ou
plusieurs tranches de capital(154). Dans tous les cas, des rapports rédigés par les dirigeants et le
commissaire aux comptes doivent être présentés à l’assemblée générale ou à l’organe qui a
reçu délégation. Ces rapports doivent, entre autres, indiquer le montant et les motifs de
l’augmentation de capital et les raisons pour lesquelles la suppression du droit préférentiel de
souscription est proposée. L’absence de rapport entraîne la nullité de l’augmentation de capital
(art. L. 225-149-3, alinéa 3 C. Com.). La même conséquence est attachée a caractère
incomplet des rapports(155).

Contrairement au droit allemand, le droit français ne prévoit pas de condition expresse
selon laquelle la suppression doit être justifiée par un intérêt supérieur de la société. Elle n’est
cependant possible que dans les trois cas prévus limitativement par les articles L. 225-135 à L.
225-138 C. Com.(156). Premièrement, il peut y être procédé au profit de bénéficiaires dénommés
ou de catégories de personnes répondant à des caractéristiques déterminées, tels les salariés ou
les porteurs de bons de souscription (art. L. 225-138 C. Com.). Deuxièmement, la suppression
du droit préférentiel de souscription sans indication du nom des bénéficiaires ou d’une
catégorie déterminée de bénéficiaires est possible, mais réservée aux sociétés procédant à une
offre au public ou à une offre visée à l’article L. 411-2-II C. mon. fin.. Enfin, en application de
l’article L. 225-135, al. 2 C. Com., l’émission d’actions peut comporter un simple délai de
priorité de souscription en faveur des actionnaires dans les sociétés dont les titres de capital
sont cotés sur un marché réglementé en lieu et place d’un droit préférentiel de souscription à
proprement parler. Cette possibilité a été ouverte aux sociétés françaises par l’ordonnance du
24 juin 2004(157). Enfin, il convient de noter que les actionnaires peuvent renoncer à titre
individuel à leur droit préférentiel de souscription (art. L. 225-135 C. Com.).

En droit allemand, le droit préférentiel de souscription peut également être supprimé
par l’assemblée générale. En cas d’augmentation de capital par apports en numéraire, la
jurisprudence et la doctrine majoritaire considèrent que la suppression ou la limitation du droit
préférentiel de souscription nécessite une justification objective. La Cour Fédérale de Justice
allemande exerce ainsi un contrôle sur le fond dont le critère central est, depuis la décision
« Kali und Salz » l’ « intérêt de la société »(158). En application de cette jurisprudence
constante(159), la suppression du droit préférentiel de souscription est justifiée dès lors qu’elle est
motivée par l’intérêt de la société et que le moyen de satisfaire cet intérêt est proportionné au
but recherché(160). Tel est par exemple le cas lorsque cette suppression doit permettre
l’introduction en bourse ou l’apurement de la société, la distribution d’actions aux salariés, ou
encore d’éviter des rompus(161). Dans le cadre spécifique d’une augmentation de capital par
apports en nature, les conditions posées par cette jurisprudence sont satisfaites lorsque la
société peut justifier d’un intérêt à l’acquisition du bien apporté, et que cet intérêt ne pourrait
être satisfait si la société procédait dans un premier temps à une augmentation de capital en
numéraire, puis faisait dans un second temps l’acquisition de ce bien(162). Tel est par exemple le
cas lorsqu’un créancier apporte ses créances à l’augmentation de capital à des fins d’apurement
de la société(163). Par ailleurs, la suppression du droit préférentiel de souscription ne pourra être
valablement effectuée que suite à la mise à la disposition des actionnaires d’un certain nombre
d’informations, au moyen d’un rapport du directoire (§ 186, al. 3 et 4 AktG).

À ce stade, se pose inévitablement la question de la compatibilité de cette jurisprudence avec l’article 29 § 4
de la directive, qui ne pose aucune condition d’ordre matériel à la suppression du droit
préférentiel de souscription. Il convient donc de se demander si les conditions posées par la
directive sont limitatives, ou si les États membres conservent une marge de liberté dans
l’aménagement de celles-ci. La doctrine était divisée sur cette question. Certains auteurs se
référaient à l’objectif d’harmonisation et de concrétisation de la liberté d’établissement que
poursuit la directive pour refuser aux États membres la possibilité de poser des conditions
plus restrictives que celles de la deuxième directive(164). Une autre partie de la doctrine faisait
référence à l’obligation de l’organe de direction ou d’administration d’établir un rapport relatif
à la suppression du droit préférentiel de souscription à l’attention de l’assemblée générale (art.
29 § 4 de la directive), qui impliquerait une obligation de satisfaire à certaines conditions de
fond(165), ainsi qu’à l’exposé des motifs de la Commission, selon lequel la suppression du droit
préférentiel de souscription est rendue possible « afin d’éviter, que cette garantie donnée aux
actionnaires ne nuise aux intérêts de la société et n’entrave son financement à l’aide de fonds
provenant de l’extérieur »(166).

Aussi, le deuxième considérant de la directive énonce clairement
que l’objet de la directive est d’obtenir une « équivalence minimale dans la protection tant des
actionnaires que des créanciers » des sociétés. Certains auteurs considéraient même que la
directive laisse implicitement le soin aux Etats membres de poser des conditions matérielles à
la suppression du droit préférentiel de souscription(167). De plus, la liberté d’établissement ne
suppose pas obligatoirement que les normes européennes soient de nature restrictive. Par
conséquent, il semblait logique que les droits nationaux puissent poser des conditions
supplémentaires à la suppression du droit préférentiel de souscription, afin de renforcer la
protection des actionnaires(168). La jurisprudence de la Cour Fédérale de Justice allemande
selon laquelle cette suppression n’est légale que lorsqu’il y est procédé dans l’intérêt de la
société et qu’elle est proportionnée au but recherché est donc conforme à la directive
77/91/CEE(169). Cette jurisprudence a été « validée » par la CJCE dans l’arrêt Siemens/Nold, qui
concernait une augmentation de capital en nature(170).

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