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§2 – L’arbitrage, en tant qu’exécution du contrat d’assurance

A ce stade, il apparaît que l’arbitrage est plus qu’une simple réallocation des actifs sur lesquels
le montant de la prime aura été investi, plus qu’une redéfinition de la dette de l’assureur.

A/ L’exécution de l’instruction d’arbitrage, part intégrante et qualifiante de la prestation d’assurance vie multisupport

1 – L’arbitrage, une revalorisation à double détente

Le souscripteur aura versé une prime (rarement périodique, parfois par versements
successifs). Admettons le cas d’une prime unique, ce qui simplifiera l’énoncé, les autres
situations se calquant sur celle-ci. A l’issue d’une période indéterminée, le souscripteur peut
souhaiter effectuer des arbitrages (pour toutes sortes de raisons). L’opération se traduira par un
“désinvestissement” d’un support. Ce n’est pas la portion de prime initialement allouée à ce
support qui sera réaffectée, mais la valorisation actuelle dudit support à la date de l’arbitrage
(déduction faite des frais). Peu importe si la prestation a en définitive une moindre valeur du
terme au contrat. La réalisation des actifs sous-jacents aura un impact direct sur la valeur de la
prestation promise, puisqu’elle permettra de désigner au contrat d’autres unités de compte en
plus ou moins grand nombre en fonction de la valeur de réalisation – et c’est là la porte ouverte
à la spéculation financière.
La mise en oeuvre de l’arbitrage est donc un système à double détente :
– d’une part, elle fixe la valeur actuelle de la prestation promise (par l’évaluation des unités de
comptes désinvesties)
– d’autre part, elle fixe les modalités nouvelles de la prestation promise (par la désignation des
unités de compte nouvelles).
Cela permet de capitaliser au jour de l’arbitrage la valorisation actuelle des unités de compte
désinvesties sur les unités de compte nouvellement désignées. A ce titre, l’arbitrage est plus
que la seule redéfinition de l’obligation de l’assureur, elle est en soi une prestation à part
entière, et nous ne pouvons qu’agréer cette heureuse désignation par la décision précitée du
Tribunal de Grande Instance de Paris citée en introduction à la présente section.

2 – L’arbitrage, une prérogative essentielle du contrat d’assurance vie multisupport

La jurisprudence de la Cour de cassation aura souligné l’importance de la faculté d’arbitrage
dans la détermination des qualités essentielles de tel contrat d’assurance vie qui la prévoit :
elle considère l’existence de la faculté d’arbitrage comme critère distinctif de la “nature” du
contrat multisupport qui la contient. Plus qu’une faculté connexe à la prestation d’assurance
définie en principal, la faculté d’arbitrage en est une qualité substantielle. La Cour de
cassation veille donc à l’efficience de la faculté d’arbitrage, justifiant par exemple l’annulation
d’un avenant modificatif des supports arbitrables au motif que l’assureur aura dénaturé
unilatéralement la spécificité du contrat (Cass. 1ère civ., 12 avril 2005, pourvoi n° 02-19690).
De même que la jurisprudence examine les clauses limitatives de responsabilité à l’aune de
l’économie contractuelle, invalidant celles qui vident de sa substance l’obligation essentielle
du contractant70, il doit être procédé à une lecture des clauses déterminant le champ de
l’arbitrage en regard de l’économie du contrat d’assurance vie, en ce sens que l’arbitrage
effectif contribue de l’économie du contrat multisupport.
Ce critère pourra également guider l’appréciation des clauses contractuelles au regard de la
théorie des clauses abusives, au sens de art. L. 132-1 du Code de la consommation, insérées
dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs. Le contrat d’assurance vie
est effectivement un contrat d’adhésion. Une clause d’arbitrage limitant de manière trop
restrictive les facultés d’arbitrage n’aurait-elle pas pour effet de « créer, au détriment du nonprofessionnel
ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations
des parties au contrat » ? Les justiciables ne semblent pas avoir eu à se saisir d’un tel
argument, mais à n’en pas douter, l’effectivité de la faculté d’arbitrage guiderait la
Commission ou la juridiction saisies pour apprécier les obligations respectives d’un contrat
multisupport.

B/ L’appréhension fiscale de l’arbitrage entre unités de compte – une faculté qualifiante en matière fiscale

La loi fiscale obéit à une logique propre, entre réalité économique et qualification civiliste des
opérations. L’actualité récente illustre l’appréhension de l’arbitrage par le fisc, qui voudrait
donner effet à la valorisation actuelle de la dette de l’assureur dès après la date de l’arbitrage
et à défaut de dénouement contractuel.

1 – La loi fiscale distingue le contrat en plus-value en cours de vie contractuelle et à son terme.

Une taxation à l’impôt sur le revenu71 s’applique à la valeur au contrat clos en plus-value, en
regard des primes versées. Cette plus-value correspond à l’accroissement du patrimoine du
souscripteur (et ne s’applique pas au bénéficiaire en cas de décès, ce qui constitue l’un des
grands avantages fiscaux de l’assurance vie). Au même titre que tous les investissements, les
capitaux sont imposés à la sortie. La situation du contrat en plus-value au dénouement est
différente des plus-values réalisées en cours de la vie du contrat, car celles-ci sont réalisées
dans le patrimoine de l’assureur.
Même si la valeur du contrat, juridiquement parlant, “n’existe pas”72, la créance du preneur
contre l’assureur acquiert, grâce à la réalisation des actifs sous-jacents, une revalorisation
immédiate des montants portés en garantie. Si on arbitre à la hausse, le montant à
repositionner en unités de comptes sera supérieur à celui de la prime initiale, la valorisation
potentielle de la prestation d’assurance augmente immédiatement. A ce titre, ” Le souscripteur
n’étant pas propriétaire des supports d’investissement, les plus values résultant de l’arbitrage
ne sont pas soumises à taxation. Elles ne sont donc pas à prendre en compte dans le calcul du
seuil de cession de l’article 150-0 A du CGI” 73, savoir le régime d’imposition des plus-values
de cession de valeurs mobilières. La capitalisation des revenus intervient en franchise
d’impôts créant pour l’assurance vie un effet de levier fiscal et financier.

2 – L’arbitrage, comme élément de qualification fiscale du contrat

Le projet de loi de finances pour 2011 relance le débat, quant à l’application des prélèvements
sociaux (CSG et CRDS).
En l’état actuel de la législation, « L’arbitrage n’a pas […] d’effets sur les prélèvements
sociaux. »(74)

Les prélèvements sociaux ne sont acquittés qu’à l’occasion des rachats et au terme du contrat
sur les contrats multisupports, tandis que sur les contrats en euros, les gains sont assujettis
annuellement, en vertu de « l’effet de cliquet » qui garantit l’acquisition périodique des plusvalues.
La distinction tient à ce que la prestation d’assurance n’est valorisée qu’au terme sur
un contrat en unités de compte, et même si les plus-values sont certaines sur le fonds en euros
garanti, les choix d’arbitrage pourront au terme les avoir fait perdre.
Vif débat que nous promettent l’actualité et les perspectives de modification du statut fiscal
du contrat multisupport ! Si les associations d’épargnants s’inquiètent du statut fiscal de
l’assurance vie multisupport, c’est qu’ils restent attachés à sa philosophie, à ce qui en fait
toute la distinction : la faculté d’arbitrage.
Pourquoi ne pas assimiler contrats en euros et contrats ayant une poche en euros ? Pourquoi
ne pas, au moins, assimiler contrat en euros et contrat essentiellement arbitré sur le fonds en
euros ?
C’est précisément en raison de l’existence de la faculté d’arbitrage que le contrat d’assurance
vie multisupport est soumis à un régime fiscal distinct au titre des prélèvements sociaux assis
sur les intérêts. C’est la faculté d’arbitrage qui en détermine le particularisme. Point
d’arbitrage possible, point de risque de perdre à terme le bénéfice des fonds en euros garantis.
En revanche, la faculté d’arbitrage, et la seule faculté, même non exercée, laisse planer un
doute sur la substance de la créance de l’assurance au dénouement. Et interdit la valorisation
(même provisoire) du contrat, faute de valeur déterminable de la créance, même
potentiellement. Stéphane de LASSUS, avocat, résume ainsi la situation : « Un assuré
effectuant un arbitrage sur des unités de compte pouvait perdre tous ces intérêts, qui n’ont
rien de définitif. »75
C’est en ce sens que le Conseil d’Etat a récemment statué76, annulant pour illégalité les
dispositions d’une instruction fiscale77 qui prévoyaient de comptabiliser au titre des revenus
imposables les intérêts du fonds en euros d’un contrat multisupport, dans la mesure où
l’épargne était « exclusivement ou quasiment exclusivement investie dans le fonds en euros
pendant la majeure partie de l’année», et avant même tout retrait ou dénouement. L’objet de
cette instruction portait au sens de la législation relative au bouclier fiscal, sur les revenus
« réalisés » au sens de l’article 1649-0A-4 du Code général des impôts. Au terme de
nombreuses procédures qualifiées de « feuilleton »78, le Conseil d’Etat a annulé le texte
litigieux, relatif aux intérêts des fonds euros des contrats multisupports79. « Ces produits ne
sont donc pas définitivement acquis, alors même qu’ils sont inscrits en compte, dans la
mesure où ils sont susceptibles d’être réinvestis par le souscripteur vers des supports en
unités de compte et en subir les fluctuations. » Il convient en conséquence d’exclure des
revenus déclarés les sommes figurant sur le contrat d’assurance vie pour déterminer le rapport
entre revenus et impôts.
– L’unité du contrat d’assurance vie multisupport malgré la possibilité d’arbitrages multiples
C’est l’existence de la faculté d’arbitrage, et non l’allocation des actifs sur les unités de
compte, qui sert de curseur entre contrats assujettis annuellement et contrats assujettis à la
sortie : « La qualification de contrats multi-supports n’étant pas déterminée par l’allocation
d’actifs effectivement réalisée, mais par la possibilité d’investir dans plusieurs fonds
différents, la règle de l’assimilation des contrats multi-supports aux contrats en unités de
comptes s’applique, même lorsque la totalité ou la quasi-totalité de l’investissement est
affectée au fond en euros.”(80)Les associations d’épargnants dénonçaient déjà en 2008 un projet de taxation : « Une telle
disposition remettrait en cause l’unicité du contrat d’assurance-vie, […] [Les clients] sont
détenteurs d’une créance et, si on taxe un élément du contrat, on nie son unité. Il ne s’agit plus
alors d’un contrat d’assurance-vie, mais d’un assemblage de morceaux disparates. On est
dans l’aberration. »(81)Les premières communications relatives à la loi de finances pour 2011 évoquent la possibilité
de revenir sur ce statut fiscal, au motif bien compris de renflouer les caisses publiques. Les
assurés comme les professionnels s’insurgent car cet avantage fiscal correspond à la réalité
technique de l’assurance vie multisupport :
L’arbitrage n’entraîne pas novation du contrat, au sens de l’article 1271 du Code civil : la
novation impliquerait la volonté d’éteindre une dette pour en faire naître une nouvelle. Cela
pourrait justifier la taxation à l’occasion d’une plus-value d’arbitrage. En l’occurrence
l’assureur demeure tenu du même engagement contractuel, avant et après
l’arbitrage. Toutefois, la prestation d’assurance n’est pas la conjonction d’opérations
d’arbitrage successives. C’est la même dette de valeur, dont seules les modalités de
détermination évoluent et non la qualité.

Voici précisé le rôle déterminant de l’arbitrage dans l’économie du contrat d’assurance
multisupport, en tant qu’acte d’exécution à part entière du contrat d’assurance, permettant
d’opérer une redéfinition de la prestation due par l’assureur en regard des unités de compte,
dont la valeur est elle-même représentée par des actifs correspondants dans le patrimoine de
l’assureur.
Il convient désormais de désigner la personne dotée du pouvoir d’arbitrer et d’en confier la
gestion.

70 CA Paris, 26 novembre 2008 25e ch., sect. A (Faurecia C/ Oracle) n° 07/07221, en contradiction et sur renvoi
de Cour de cassation 13 février 2007, Cass. com., 13 févr. 2007, n° 05-17.407, Oracle France c/ Faurecia Sièges
d’automobiles, Bull. civ. IV, n° 43 – s’agissant de relations entre professionnels
71 article 125-O A du Code général des impôts
72 Traité de droit des assurances, Tome 4 Les assurances de personnes, sous la direction de Jean BIGOT, LGDJ,
ed. 2007, n°254
73 M LEROY, “A propos de l’arbitrage”, 25 août 2010 à 11:48, http://www.michel-leroy.fr/2010/08/25/apropos-
de-larbitrage.html?utm_source=rss&utm_medium=rss&utm_campaign=a-propos-de-larbitrage
74 M LEROY, “A propos de l’arbitrage”, 25 août 2010 à 11:48, http://www.michel-leroy.fr/2010/08/25/apropos-
de-larbitrage.html?utm_source=rss&utm_medium=rss&utm_campaign=a-propos-de-larbitrage
75 investir.fr « Les multisupports hors du bouclier fiscal » Dossier Assurance-vie (4). 25/01/10 à 07:00
76 CE 13 janvier 2010, 8e et 3e ss-sections réunies, n ° 321416 Époux A c/ Ministère du budget, des comptes
publics, de la fonction publique et de la réforme de l’État : “les revenus correspondant aux produits générés par
le fonds en euros d’un contrat multi-supports ne peuvent être regardés comme ayant ce caractère dès lors que
le titulaire du contrat dispose de la faculté, inexistante dans le cadre d’un contrat mono-support, de procéder à
un arbitrage entre les diverses unités de compte ou entre les unités de compte et le fonds en euros de son
contrat et que, par suite, ces produits ne sont pas définitivement acquis, alors même qu’ils sont inscrits en
compte, dans la mesure où ils sont susceptibles d’être réinvestis par le souscripteur vers des supports en unités
de compte et en subir les fluctuations”
77 13 A-1-08 du 26 août 2008
78 Luc JAILLAIS “Le bouclier fiscal a-t-il l’airain solide ? » Option Finance, 25 janvier 2010
79 « Calcul du bouclier fiscal : ignorez les revenus des contrats d’assurance vie multi-support » Revue Fiduciaire,
RF 25/01/2010
80 M LEROY, “A propos de l’arbitrage”, 25 août 2010 à 11:48, http://www.michel-leroy.fr/2010/08/25/apropos-
de-larbitrage.html?utm_source=rss&utm_medium=rss&utm_campaign=a-propos-de-larbitrage
81 JDF.com. ” L’assurance-vie menacée – Les milliards placés sur les contrats sont dans la ligne de mire de
Bercy” Marie-Christine SONKIN, JDF HEBDO, 17 mai 2008

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