Il convient dans un premier temps d’étudier l’esprit qui a animé l’avant projet de réforme du Code civil français, dit avant projet Catala (A) pour pouvoir ensuite se pencher sur l’influence de ce dernier sur le régime de responsabilité du fait d’autrui belge (B).
A. L’ESPRIT DE L’AVANT PROJET DE REFORME
Bien que notre réflexion se soit davantage axée sur le régime de responsabilité du commettant du fait de son préposé, nous avons néanmoins pu ressentir une grande complexité des responsabilités du fait d’autrui, qu’elles soient prises dans leur ensemble ou isolément. L’objectif des rédacteurs de l’avant projet Catala de 2005, appelé ainsi en l’honneur du président de la commission chargée de son élaboration, consistait véritablement à apporter plus de clarté et de cohérence à l’ensemble de ce régime. Il convient à la fois de réécrire et de reverrouiller la responsabilité du fait d’autrui.
Cet objectif devait passer par trois étapes : dans un premier temps, expliciter les solutions les plus importantes qui ont été admises tant par la jurisprudence que par la doctrine mais qui ne figurent pas dans le Code civil, puis, dans un second temps, prendre parti sur les questions qui font débat et, enfin, proposer les changements nécessaires pour moderniser le droit français, c’est-à-dire l’ajuster à l’évolution de la société contemporaine.
Ainsi, en matière de responsabilité du fait d’autrui, le groupe de travail a proposé, pour la responsabilité personnelle du préposé, de substituer à l’immunité personnelle du préposé consacrée par l’arrêt Costedoat un principe de subsidiarité de cette responsabilité par rapport à celle du commettant. Plus précisément, l’avant projet de réforme souhaite que la responsabilité du préposé soit retenue à titre subsidiaire lorsque le commettant est insolvable. Il s’agit ici d’apporter une solution satisfaisante et plus protectrice pour la victime qui, sous le régime de l’arrêt Costedoat, s’expose au risque d’insolvabilité du commettant alors qu’en parallèle, elle ne peut agir contre le préposé immunisé. Cette solution, bien que défavorable au préposé, a été retenue par les rédacteurs du projet. Cela montre bien que le principe de l’immunité du préposé, bien que largement accueilli en 2000, n’apportait pas une entière satisfaction et laissait subsister certains doutes. L’avant projet de réforme du Code civil, sur ce point, semble intervenir pour maintenir l’esprit de l’arrêt Costedoat tout en maintenant pour partie le principe de responsabilité personnelle à l’égard du préposé.
Mais quelle attitude va adopter le législateur belge face à cet avant-projet ?
B. L’INFLUENCE DE L’AVANT PROJET DE REFORME DU CODE CIVIL SUR LE REGIME DE RESPONSABILITE DU FAIT D’AUTRUI BELGE
Il est intéressant de se demander comment le législateur belge va se positionner face aux solutions retenues par les rédacteurs de l’avant projet Catala en matière de responsabilité du commettant du fait de son préposé puisque, rappelons-le, le droit belge est resté largement fidèle à l’esprit du Code civil napoléonien. Le législateur belge accueillera t-il donc favorablement cette réforme ? On n’en est pas si sûr.
Le professeur Bernard DUBUISSON, de l’Université catholique de Louvain en Belgique, pour qui l’examen de ce texte constitue un exercice particulièrement stimulant pour un juriste étranger, regrette la tendance nette du projet à une multiplication et à un alourdissement des responsabilités du fait d’autrui qui deviennent, pour le plupart, des responsabilité de plein droit. Il relève également que si l’avant projet Catala corrige certaines avancées jurisprudentielles réalisées par la Cour de Cassation française, il ne le fait qu’en marge. En outre, le professeur DUBUISSON met en exergue une difficulté que peut poser la multiplication et une aggravation de ces responsabilités : leur assurabilité. En effet, une responsabilité de plein droit ne peut, selon lui, subsister longtemps sous le soutien de l’assurance. Or, en l’absence de primes d’assurance abordable, le risque que les personnes civilement responsables ne trouvent pas à s’assurer est grand et menace ainsi l’exercice d’un bon nombre d’activités dont l’intérêt social est indiscutable. Il n’est pas certain que l’obligation d’assurance apporte à cette problématique une solution plus satisfaisante en ce qu’elle comporte des coûts financiers et administratifs importants en raison liés au contrôle du respect à cette obligation d’assurance.
Enfin, certains articles issus de l’avant projet Catala ont suscité une grande perplexité chez le juriste belge, notamment l’article 1360 qui, prévoit, dans un premier alinéa, que même en l’absence de lien de préposition, celui qui encadre ou organise l’activité professionnelle d’une autre personne et en tire un avantage économique est responsable des dommages causés par celle-ci dans l’exercice de cette activité. Le commentaire relatif à cet article précise que sont visés ici les « salariés libres », ne recevant ni d’ordres ni d’instructions. Sur ce point, la création d’une catégorie intermédiaire de travailleurs, entre les indépendants et les préposés, soit créée. Certains juristes belges ont d’ailleurs estimé qu’il aurait été certainement plus pertinent de considérer que l’existence d’un lien de subordination n’est pas incompatible avec une certaine autonomie dans m’exécution du travail.
Quant au deuxième alinéa de ce même article, il a également fait l’objet de critiques dans la mesure où il instaure une responsabilité fondée non plus sur un lien de subordination juridique mais sur un lien de dépendance économique. Ainsi, celui qui exerce un contrôle sur l’activité économique d’un professionnel en situation de dépendance, bien qu’agissant pour son propre compte, sera responsable de plein droit des dommages occasionnés par ce dernier.
Aux vues de ces éléments, il ne semble pas que l’avant projet de réforme du Code civil français soit encore bien accueilli par le droit belge qui fait à nouveau preuve d’une grande fidélité à l’esprit qui animait initialement le Code civil de1804. Si pendant plusieurs années le droit belge et le droit français présentaient de fortes similitudes, il n’est pas certain aujourd’hui qu’ils prendront la même orientation en matière de responsabilité du fait d’autrui et plus spécifiquement en matière de responsabilité du commettant du fait de son préposé.