La réforme du secteur public haïtien est un vaste chantier. C’est aussi l’un des
domaines le plus privilégié de la politique extérieure de la République d’Haïti depuis
plusieurs décennies déjà. Donc, il est rare de trouver une action ou un projet de coopération
bilatérale ou multilatérale qui fait obstruction de cette question de réforme qui fait partie
d’ailleurs du vocabulaire quotidien des autorités politiques haïtiennes et des acteurs
internationaux engagés en Haïti.
En outre, la majeure partie de la population haïtienne, exaspérée et déçue dans sa quête
d’un changement du modèle de la gouvernance politique ne cesse de continuer quand même à
réclamer aussi la réforme de l’Etat. D’où, nous pouvons nous demander à bon droit si à la fois
les citoyens, l’Etat et la Communauté internationale ont la même représentation de cette
réforme. En d’autres termes, ces trois (3) groupes d’acteurs, mettent-ils la même signification
derrière le mot réforme qui s’apparente de plus en plus dans l’opinion publique à un simple
slogan tant il a été utilisé, voire galvaudé, sans nécessairement produire les effets escomptés ?
Les tentatives de réforme de l’Etat en Haïti depuis la décennie 80, sont initiées dans la
perspective des programmes d’ajustement structurel encouragés, voire incités principalement
par les institutions de Bretton Woods, en l’occurrence le Fonds monétaire international (FMI)
et la Banque mondiale ; dans l’optique de la bonne gouvernance ou encore de la gouvernance
démocratique appuyée par la Banque interaméricaine de développement (BID) et le
Programme des Nations-Unies pour le Développement (PNUD).
De plus, d’autres partenaires extérieurs, dans le cadre de la coopération bilatérale,
exigent des remaniements au niveau du secteur public en contrepartie de dons ou comme
conditionnalité de l’aide au développement. En addition aux apports financiers, certaines fois,
des institutions internationales et d’autres partenaires extérieurs interviennent plus
directement sous forme d’assistance ou d’appui technique par le biais des études, voire de
placement d’experts internationaux dans des ministères comme c’est souvent le cas du
Ministère de l’économie et des Finances ou celui de la Planification et de la Coopération
externe, par exemple.
En réalité, Haïti reste encore au stade de démocratie émergente, c’est un pays en
transition démocratique et dont tous les indicateurs économiques et de développement humain
montrent bien qu’il est l’un des Etats les plus pauvres au monde et le plus pauvre de
l’hémisphère occidental(55). Donc, il s’agit d’un pays où les problèmes politiques et
socioéconomiques sont perceptibles même par l’homme de la rue. On ne sait pas
nécessairement s’il s’agit d’un pays à reconstruire, à construire ou à refonder tant les
questions de ses orientations stratégiques dans le domaine du développement économique, du
développement humain, de la politique extérieure, de la qualité des rapports entre les
différentes classes sociales, voire celui de la réforme de l’Etat n’ont jamais eu le temps d’être
discutées par les différents acteurs représentatifs des multiples secteurs vitaux du pays en vue
d’essayer de dégager un consensus sur un minimum vital en vue du décollage du pays.
Dans ces conditions, il va sans dire que le pays est « malade » dans toutes ses
composantes. Il suffit de vouloir s’attaquer à un problème de la société haïtienne pour se
rendre compte de ses multiples connexions avec d’autres problèmes existants, tant ils sont
nombreux et interconnectés. D’où, ce qui amène certains à surnommer Haïti « le pays à
problèmes » ou encore une «entité chaotique ingouvernable(56) ».
Par voie de conséquence, d’un côté, d’aucuns pourraient faire valoir que cette
transversalité ou interconnexion des problèmes commanderait qu’ils soient tous attaqués en
même temps pour pouvoir espérer des solutions durables. D’un autre côté, d’autres
intervenants pourraient invoquer, toutes proportions gardées et en sens inverse, la théorie des
dominos pour expliquer que si l’on résout certains problèmes dans quelques domaines de la
vie nationale au niveau de la société haïtienne cela aura certainement des externalités
positives sur d’autres secteurs. Par conséquent, d’autres problèmes pourraient aussi disparaitre
sous l’effet domino, au sens positif du terme.
Dans l’un ou l’autre cas, on est bel et bien face à des acteurs en quête de la méthode ou
de l’approche la plus pertinente en vue d’une décision « rationnelle » qui aura permis de
résoudre des problèmes qui émergent ou ayant émergé dans la communauté politique.
En l’espèce, pour le cas de la réforme du secteur public en Haïti, nous ne pouvons pas
oser affirmer, avec véhémence et sans risque de nous tromper, que tel modèle a été choisi
plutôt que tel autre. Comme c’est d’ailleurs le cas dans presque tous les pays en voie de
développement et aussi dépendants qu’Haïti financièrement, les acteurs internationaux sont
toujours impliqués à fond dans les processus de réforme engagés en Haïti. Ainsi, étant donné
que les mêmes acteurs internationaux changent-ils de méthodes ou d’approches suivant le
temps et les aléas géopolitiques et économiques ; considérant que les partenaires extérieurs
d’Haïti ne sont pas toujours les mêmes ; étant donné qu’en dernier lieu les orientations
politiques et idéologiques des différents gouvernements qui se sont lancés dans le processus
de la réforme du secteur public en Haïti ne sont non pas les mêmes en tout temps, l’Etat
haïtien n’est jamais sûr de pouvoir garder, voire contrôler une ligne conceptuelle et directrice
de la réforme sur le long terme.
Par ailleurs, vu que le pays est au bord de la « banqueroute(57) », il reçoit d’aides ou de
promesses de prêts, de dons venant de partout et parfois de toutes formes. Puisque ces prêts,
aides ou dons viennent de multiples acteurs internationaux ayant des intérêts qui ne se
convergent pas nécessairement et visent généralement des réformes dans le secteur public ou
encore sont conditionnés par la mise en oeuvre concomitante de telles réformes, il devient
alors difficile de trouver une cohérence, voire une rationalité certaine dans le choix des
modèles ou approches de cette réforme.
En revanche, à défaut de cette cohérence dont nous parlons plus haut, nous pouvons
quand même observer depuis plusieurs décennies que maints programmes, études ou projets
adoptés dans le cadre du processus de la réforme du secteur public en Haïti, comportent
presque toujours une multitude de volets dont celui de la modernisation de la Fonction
publique. Donc, la question de la modernisation ou la réforme de la Fonction publique n’est
pas une problématique traitée distinctement par les différents acteurs représentatifs de
différents secteurs vitaux de la nationale en coordination avec les partenaires internationaux
dans la perspective d’une Administration performante visant la satisfaction ultime des usagers
des services publics. Ladite question fait quasiment toujours partie d’un grand package mis en
branle dans le processus de la réforme.
Le fait qu’il en soit ainsi, les différents acteurs nationaux et internationaux impliqués
dans le processus de cette réforme, ne diluent-ils pas la problématique de la réforme de la
Fonction publique que l’Etat haïtien reconnait même être au coeur, sinon l’essence d’une
Administration publique haïtienne performante ? L’Etat haïtien, peut-il avoir les moyens de sa
politique en s’engageant dans des réformes à la limite « fourre-tout » ? Ne serait-il pas plus
aisé de définir un nouveau modèle cohérent de management public au niveau de la Fonction
publique de l’Etat haïtien en vue d’une Administration publique performante à partir d’une
approche systémique pour éviter des actions disparates, mais aussi plus ciblée permettant
d’aborder la question de la Fonction publique dans ses tenants et aboutissants ?
55 Dans le Rapport sur le Développement humain 2010 du PNUD, Haïti est classée 145ème sur 169 pays.
Cf. http://www.undp.org/publications/hdr2010/fr/HDR_2010_FR_Summary.pdf
Publié le 04 novembre 2010 et consulté le 18 août 2011.
56 Dans un article publié dans le journal « Le Monde », intitulé : « Haïti ou la permanence du malheur » paru
dans l’édition du 29 janvier 2003, en prélude du Bicentenaire de l’Indépendance de la République d’Haïti, Jean-
Michel Caroit reprend les propos de l’historien haïtien, Michel Soukar qui dit constater qu’Haïti est en passe de
se convertir en « entité chaotique ingouvernable ».
En réalité, nous doutons fort que l’expression soit une invention de Michel Soukar, car depuis plus d’une
décennie on pouvait entendre cette expression sur les lèvres de plus d’un en Haïti. Néanmoins, j’avoue n’avoir
pas pu trouver son auteur initial.
L’article en entier a été repris sur le site de « Haïti Democracy Project ».
Cf. http://www.haitipolicy.org/content/554.htm?PHPSESSID=6321cf5e7fe78
La page est consultée le 18 août 2011.
57 Certains estiment qu’Haïti est déjà dans l’abîme. C’est le cas de Castro DESROCHES, dans un article intitulé :
« Michel Martelly ou le triomphe de la médiocratie », qui estime : «Haïti est capable du meilleur et du pire.
Ayant atteint le fond de l’abîme, elle est condamné à rebondir. Le sursaut national contre l’inacceptable est la
seule voie de salut ».
L’article est publié le jeudi 07 avril 2011 sur le site web de « Haïti Nation ». Il est consulté le 15 août de la
même année et disponible à partir du lien suivant :
http://haiti-nation.com/index.php?option=com_content&view=article&id=773:michel-martelly-ou-le-triomphede-
la-mediocratie&catid=35:libre-tribune&Itemid=78
Un autre observateur fait remarquer que « le problème fondamental avec l’Etat marron autoritaire faible haïtien
est que l’abîme qu’il crée se creuse quotidiennement ». Cette phrase est tirée d’un article de Leslie Péan,
intitulé : « Haïti : La crise du choléra n’est pas un coup de tonnerre dans un ciel bleu », publié sur le site de
Alter Presse, en date du 28 octobre 2010. Il est consulté le 15 août 2011 et disponible à partir de l’URL suivant :
http://www.alterpresse.org/spip.php?article10193