La protection de l’actionnaire passe également par sa participation aux décisions
devant être prises dans l’hypothèse où la société connaît de graves difficultés. Ainsi, en cas de
« perte grave » du capital souscrit, l’article 17 de la directive 77/91/CEE fait obligation aux
législations des États membres de prévoir la convocation de l’assemblée générale dans un
délai par elles fixé. Cette disposition a pour but de protéger les actionnaires au moyen du
vecteur de la participation(128) : ceux-ci doivent en effet, en cas de situation difficile, avoir la
possibilité de se prononcer sur le devenir de la société : dissolution, mesures de réduction du
capital social… Cette convocation obligatoire de l’assemblée générale n’est cependant pas
synonyme d’une obligation incombant à celle-ci d’adopter des mesures destinées à assainir la
situation financière de la société(129). Le délai au sein duquel l’assemblée générale doit être
convoquée n’est pas précisé par la directive, et doit donc être déterminé par les législations
nationales. Il en va de même s’agissant de la détermination du montant de la perte considérée
comme « grave ». Cependant, conformément à l’article 17 § 2, ce montant ne doit pas être
supérieur à la moitié du capital souscrit. Par ailleurs, la directive ne prévoit pas de sanctions
pour le cas où l’organe de direction ne respecte pas son obligation de convoquer l’assemblée
générale. Cette disposition a, du fait de sa généralité, fait l’objet de nombreuses critiques(130).
Étant donné que la loi allemande sur les sociétés par actions de 1965 prévoyait en son
§ 92 al. 1 une obligation de convocation de l’assemblée générale en cas de perte grave du
capital souscrit, le législateur allemand a pu renoncer à une transposition formelle de l’article
17 de la directive. Cependant, cette disposition de droit allemand doit désormais être
interprétée à l’aune du texte européen. Le § 92 AktG précise que la perte peut se manifester à
l’occasion d’un bilan annuel, d’un bilan intermédiaire ou selon une appréciation conforme à
celle que doivent avoir les dirigeants d’une société. Par ailleurs, cette disposition ne contient
aucun délai fixe, mais exige de l’organe de direction qu’il convoque « sans délai » l’assemblée
générale, c’est à dire, en application du § 121, al. 1 BGB, « sans hésitation coupable », ou,
selon une conception plus objective, « le plus tôt possible »(131). L’al. 2 du § 92 AktG nous
paraît en conformité avec la directive, dans la mesure où il fixe la perte donnant lieu à la
convocation de l’assemblée générale à la moitié du capital social, ce qui signifie que le § 92 al.
1 ne s’applique que dans le cas où la totalité du patrimoine de la société ne couvre plus que la
moitié du capital social indiqué dans les statuts(132). Cette interprétation est partagée par la
majorité de la doctrine allemande133. Elle est cependant contestée par certains auteurs, qui
considèrent que l’objectif de cette disposition n’est pas uniquement le maintien du capital
social et que la notion de « perte » au sens de l’article 17 doit être interprétée en ce sens qu’elle
correspondrait au résultat négatif d’un exercice donné(134). Cette interprétation nous semble
cependant aller à l’encontre de la formulation claire de l’article 17 de la directive, qui emploie,
dans sa version allemande, non pas le terme « Jahresfehlbetrag » (résultat négatif de
l’exercice) mais « Verlust » (perte). La conséquence de la violation de l’obligation prévue par
le § 92, al. 1 AktG est la responsabilité civile des membres du directoire envers la société (§
93, al. 2 AktG). Par ailleurs, la question de savoir si le § 92, al. 1 AktG constitue un
fondement pour la responsabilité civile des membres de l’organe de direction vis-à-vis des
actionnaires pris individuellement est débattue en doctrine. La directive ne prend pas position
sur cette question, mais l’exigence d’effectivité du droit européen semble aller dans le sens
d’une interprétation favorable aux actionnaires(135).
L’article L. 225-248 C. Com. prévoit un dispositif un peu plus précis que celui du § 92
AktG. En application de cette disposition, si les capitaux propres de la société sont devenus
inférieurs à la moitié de son capital social, le conseil d’administration ou le directoire est tenu
de convoquer, dans un délai de quatre mois à compter de l’approbation des comptes ayant fait
apparaître la perte, une assemblée générale extraordinaire à l’effet de décider s’il y a lieu de
dissoudre ou non la société de manière anticipée. La résolution adoptée par l’assemblée doit
être déposée au greffe du tribunal de commerce, inscrite au registre du commerce et des
sociétés et publiée dans un journal d’annonces légales, sous peine de sanctions pénales (art. L.
225-248, al. 3 ; R. 225-166 ; L. 242-29-2° C. Com.). Dans les cas où l’assemblée ne s’est pas
réunie ou n’a pas pu délibérer valablement sur dernière convocation(136), tout intéressé peut
demander en justice la dissolution de la société. Néanmoins, le tribunal peut accorder un délai
maximal de six mois pour régulariser la situation (art. L. 225-248, al. 4 C. Com.). La
responsabilité pénale des administrateurs ou des membres du directoire est engagée dans le
cas où ils s’abstiendraient de convoquer l’assemblée générale dans le délai prescrit (art. L.
242-29-1° C. Com.).