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§2 – Les conséquences pour l’employeur

L’employeur qui a commis une faute inexcusable voit sa responsabilité engagée en
application de la législation sociale mais il peut également être recherché au plan pénal (B).

La reconnaissance de sa faute entraînera de multiples sanctions tant financières (C) que
morales (D). L’étude de cas concrets nous permettra dans un premier temps de constater
que ce régime juridique s’avère aujourd’hui d’une application drastique (A).

A- un caractère quasi-systématique de la reconnaissance : cas concrets

A l’étude de la jurisprudence plus qu’abondante en matière de faute inexcusable et au terme
de ce développement à propos de l’évolution de sa définition et de son régime, une tendance
ne peut que se dégager : celle du caractère presque récurrent de la reconnaissance de cette
faute à la charge du chef d’entreprise.

Pour continuer de démontrer cette réalité, il convient de l’illustrer par quelques exemples
concrets et révélateurs(93). Il ne s’agit pas ici d’exposer des exemples dans lesquels la faute
inexcusable de l’employeur est évidente et sa reconnaissance légitime mais de démontrer
que cette même faute est très régulièrement retenue pour des espèces dans lesquelles un
salarié victime a pu adopter un comportement délibérément dangereux ou simplement
imprudent. Ainsi, au vu des faits, il est difficilement imaginable que l’employeur ait pu avoir
conscience du danger ou s’en prémunir.

Tous les cas d’espèce suivants ont donné lieu à reconnaissance de la faute inexcusable de
l’employeur à l’égard du salarié concerné :

– Un chef de chantier ayant dix ans d’expérience à cette fonction, monte sur une
plateforme suspendue dans le vide par une grue au mépris des règles de sécurité et
ne porte pas son baudrier. Dans le but de remettre en place un crochet d’attache de
la plateforme, il donne des coups de marteau sur ce crochet qui se brise ce qui
déstabilise la passerelle et provoque la chute du salarié.

– Un ouvrier, formé à l’utilisation d’une machine, en désactive le système de sécurité,
introduit sa main dans la machine et se retrouve amputé.

– Lors d’une opération de repli d’une machine foreuse, un ouvrier se tenant debout sur
cette machine, ne respectant pas le périmètre de sécurité, se trouve projeté par un
câble s’étant détaché de la machine.

– Un ouvrier se blesse en chutant après être monté sur un muret, sans directive en ce
sens.

– Un ouvrier se blesse en tentant de secourir ses collègues écrasés par une charpente
métallique ayant cédé.

– Un employé chargé de travailler sous un tuyau demande à un collègue de le lever à
l’aide d’un chariot élévateur à une hauteur trop élevée compte tenu de la charge
soulevée et des consignes de sécurité. Le tuyau tombe et écrase les jambes de
l’ouvrier.

– Un ouvrier se trouvant sur un chantier de démolition à sept mètres de hauteur,
sectionne la poutre sur laquelle il se trouve et se trouve emporté dans la chute.

– Après avoir suivi la formation de sécurité règlementaire, un employé intérimaire à
peine arrivé sur le chantier se blesse en ayant accédé à un endroit non autorisé.

– Lors de l’installation d’un panneau « convoi exceptionnel » sur un véhicule, un
apprenti reçoit un câble dans l’oeil et devient borgne. Le TASS a jugé que c’était à
l’employeur de s’assurer que l’apprenti se trouvait dans la zone sécurisée. La
compagnie d’assurance de l’employeur a versé 43580 euros à la CPAM au titre de la
majoration de rente et 17500 euros pour les préjudices de la victime.

– A l’inverse n’a pas été caractérisée la faute inexcusable de l’employeur alors que le
salarié s’était blessé en glissant sur un sol verglacé.

Ces exemples nous montrent que de prime abord il paraît difficile de concevoir que
l’employeur ait pu avoir conscience du danger qui s’est réalisé le jour de l’accident, tant les
circonstances ou le comportement du salarié étaient imprévisibles, cependant dans chacune
de ces espèces la juridiction a retenu un élément permettant de retenir la responsabilité de
l’employeur même si, comme expliqué plus haut, la preuve des critères composant la faute
inexcusable n’était pas formellement rapportée. C’est pourquoi certains avocats estiment
aujourd’hui impossible de remporter une affaire en défense d’un entrepreneur mis en cause
pour faute inexcusable.

Après avoir étudié les modalités de la reconnaissance de la faute patronale, il convient de
s’intéresser à ses diverses conséquences.

B- faute pénale et faute inexcusable

En cas d’accident du travail, il arrive fréquemment que, parallèlement à l’action en
reconnaissance de la faute inexcusable intentée par le salarié victime, ou ses ayants droit,
devant les juridictions de sécurité sociale, l’employeur fasse l’objet de poursuites pénales
pour homicide ou blessures involontaires. Se pose alors la question de l’incidence de la
décision pénale sur le contentieux de la faute inexcusable.

Tout d’abord, rappelons que la faute inexcusable a un fondement social et ne s’identifie pas
avec la faute pénalement sanctionnée(94). L’action pénale est diligentée en vue de la
reconnaissance d’une faute pénale de l’employeur ou de l’un de ses préposés et a pour
optique l’application d’une sanction personnelle, peine d’amende ou de prison, alors que
l’action en reconnaissance de faute inexcusable est définie comme une action en réparation
complémentaire ouverte à la victime ou ses ayants droit qui n’est pas subordonnée à la
reconnaissance pénale préalable d’une faute(95). De plus, la juridiction pénale, bien que
retenant la responsabilité pénale de l’employeur, ne peut statuer sur le principe de sa
responsabilité civile envers le salarié(96).

Cependant, la décision pénale a l’autorité de la chose jugée à l’égard de tous(97). Sous
réserve, désormais, de l’incidence de la loi du 10 juillet 2000, en cas de délit non
intentionnel.(98) La loi du 10 juillet 2000 sur la définition des délits non intentionnels précise,
dans son article 2 transposé à l’article 4-1 du code de procédure pénale, que l’absence de
faute pénale non intentionnelle « ne fait pas obstacle à l’exercice d’une action devant les
juridictions civiles afin d’obtenir la réparation d’un dommage sur le fondement de l’article
1383 du Code civil (…) ou en application de l’article L. 452-1 du Code de la sécurité sociale
si l’existence de la faute inexcusable prévue par cet article est établie ».

Cette loi ayant mis fin à la théorie de l’unité des fautes pénales et civiles, la jurisprudence a
pu dissocier les deux fautes, et notamment retenir la faute inexcusable de l’employeur alors
qu’il y avait eu relaxe pour absence de faute pénale(99). Il est tout à fait possible que les
juridictions civiles, tout comme le Tribunal des Affaires de la Sécurité Sociale, estiment
qu’une faute civile ou inexcusable soit caractérisée là où le juge répressif considère
qu’aucune faute pénale n’a été commise. Ainsi, seule la relaxe de l’employeur échappe au
principe de l’autorité absolue de la chose jugée au pénal et la jurisprudence rappelle de
manière constante que « la déclaration par le juge répressif de l’absence de faute pénale
non intentionnelle ne fait pas obstacle à la reconnaissance d’une faute inexcusable en
application de l’article L. 452-1 du code de la sécurité sociale (100)».

En revanche, la condamnation pénale de l’employeur pour homicide ou blessures
involontaires s’impose à la juridiction de sécurité sociale.

La jurisprudence retient qu’une condamnation pénale pour le non-respect des règles
relatives à la sécurité implique nécessairement que l’employeur a eu conscience du danger.

«La condamnation pénale implique la responsabilité personnelle de l’employeur dans la
réalisation du dommage et dans l’inexécution, génératrice d’un danger dont il doit avoir
conscience, des prescriptions relatives à la sécurité(101) ».

Le Code pénal dans son article 121-3 distingue entre la faute en lien direct avec le dommage
et celle qui n’a contribué qu’indirectement à celui-ci. Dans ce second cas, l’employeur qui
aura « créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage » ou qui
n’a « pas pris les mesures permettant de l’éviter » ne pourra être poursuivi pénalement que
s’il est établi qu’il a « soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière
de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute
caractérisée et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité » qu’il ne pouvait
ignorer.

Dans un arrêt du 12 juillet 2001, la chambre sociale de la Cour de cassation a fait application
de l’article 2 de la loi du 10 juillet 2000 : l’absence de faute pénale non intentionnelle
déclarée par le juge répressif, ne fait pas obstacle à la reconnaissance d’une faute
inexcusable en application de l’article L.452-1 du Code de la sécurité sociale. La cour d’appel
a pu, sans méconnaître l’autorité de la chose jugée, décider que l’employeur, relaxé du chef
d’homicide par imprudence dans le cadre du travail, avait commis une faute inexcusable(102).

Et une Cour d’appel ne peut pas rejeter la demande de reconnaissance de la faute
inexcusable de l’employeur au motif que le jugement du tribunal correctionnel ayant relaxé
celui-ci, cela interdit de lui imputer une faute à l’origine de l’accident. (103)

Cet arrêt affirme donc que la nouvelle définition donnée par l’article 2 de la loi du 10 juillet
2000 laisse la possibilité pour les victimes d’obtenir réparation du dommage subi, notamment
en application de l’article L.452-1 du code de la sécurité sociale si l’existence de la faute
inexcusable prévue par cet article est établie.

En revanche, un arrêt du 12 mai 2010(104) a censuré la décision de rejet fondée sur l’absence
de conscience du danger de l’employeur alors que ce dernier a été condamné pour homicide
involontaire.

C’est ce qui a fait dire à l’auteur Véronique Cohen-Donsimoni : « En définitive, l’autorité de
la chose jugée au pénal sur le contentieux de la faute inexcusable est un principe « à
géométrie variable » : autorité relative en cas de relaxe de l’employeur ; autorité absolue en
cas de condamnation. »(105)

C- les conséquences pécuniaires

L’employeur qui voit sa faute inexcusable reconnue va devoir assumer les conséquences
financières prévues aux articles L.452-1 et suivants du code de la sécurité sociale. A savoir
une majoration de la rente et la réparation de certains préjudices pour le salarié.

Sur le fonctionnement du système de réparation, précisons que le dispositif est confié à trois
entités : la CPAM, la Carsat et l’URSSAF. La première statue sur l’existence de la faute
inexcusable et accorde la majoration de rente et les indemnisations complémentaires, la
deuxième calcule le montant de la majoration de la cotisation « AT » et la troisième assure,
auprès de l’entreprise, le recouvrement des sommes dues par l’entreprise. La CNAM et la
Cour des comptes ont souhaité harmoniser ce système qui était dilué par l’intervention
successive de ces acteurs. C’est pourquoi à partir de 2012, la Carsat qui avait un rôle très
réduit dans ce système en deviendra l’acteur central.(106)

1) La majoration de la rente AT/MP

Le montant de la rente (incapacité permanente, décès) versée par la CPAM est majoré dans
la limite d’un plafond exposé à l’article L.452-2 du code de la sécurité sociale. Elle ne doit
pas dépasser soit la fraction du salaire annuel correspondant à la réduction de capacité, soit
le montant de ce salaire dans le cas d’incapacité totale.

Alors que la rente initiale est fonction de l’incapacité, la Cour de cassation jugeait que la
majoration devait procéder du degré de la faute patronale mais dans un arrêt du 14
décembre 2004, la 2e chambre civile a retenu « qu’il résulte des termes de l’article L.452-2
alinéa 2 et 3, du Code de la sécurité sociale que la majoration de la rente et du capital alloué
à la victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle consécutifs à la faute
inexcusable de son employeur est calculée en fonction de la réduction de capacité dont
celle-ci reste atteinte ».

Désormais, elle reconnaît que la majoration de la rente de la victime ou des ayants droits
est fixée au maximum dès lors que l’accident ou la maladie est imputable à la faute
inexcusable de l’employeur. Elle est en outre révisée selon l’évolution de la réduction de la
capacité du salarié.(107) Seule la faute inexcusable de la victime peut entraîner une réduction
de la majoration comme l’a retenu l’Assemblée plénière en 2005 dans son arrêt étudié
précédemment.

Dans le cas d’un accident suivi du décès, le total des rentes et des majorations servies ne
peut dépasser le montant du salaire annuel.

La majoration de rente est versée directement à la victime ou ses ayants droit par la caisse
qui en récupère ensuite le montant auprès de l’employeur soit sous forme d’une majoration
de ses taux de cotisation « accident du travail » soit sous forme d’un capital, le choix
appartenant à l’entreprise. L’employeur ne saurait donc être condamné à verser directement
ces indemnités(108).

2) Les indemnisations complémentaires

Outre la majoration de la rente, la loi du 6 décembre 1976 a donné à la victime le droit de
prétendre à la réparation de différents préjudices (article L.452-3 du code de la sécurité
sociale) : le préjudice causé par des souffrances physiques et morales ou pretium doloris, les
préjudices esthétiques et d’agrément, ou encore le préjudice lié à la diminution ou à la perte
de ses possibilités de promotion professionnelle. D’autre part, si la victime est atteinte d’une
incapacité permanente à un taux de 100 %, elle bénéficie d’une indemnité forfaitaire qui
pourra venir s’ajouter, égale au salaire minimum légal en vigueur à la date de consolidation.

Dans l’éventualité d’un accident ou d’une maladie professionnelle suivi du décès, l’article
L.452-3 du code de la sécurité sociale prévoit que les ayants droit de la victime ainsi que les
ascendants et descendants ne pouvant pas prétendre à une rente peuvent demander à
l’employeur réparation de leur préjudice moral.

3) L’employeur débiteur final

La Caisse, qui va indemniser le salarié victime, bénéficie en principe de la possibilité de
recouvrer les sommes versées :

– Par le biais d’une cotisation complémentaire ou d’un capital(109), s’agissant de la
majoration de la rente

– Par une action récursoire contre l’employeur, s’agissant des indemnités versées en
réparation du préjudice du salarié ou de ses ayants-droit.

Toutefois, lorsque la décision est inopposable à l’employeur, la caisse ne peut récupérer sur
ce dernier la cotisation complémentaire Faute inexcusable et supporte la charge définitive
des compléments de rente et indemnités qu’elle a versées au salarié malade ou à ses
ayants-droit(110). Dès lors c’est la collectivité des employeurs qui fera les frais du non
recouvrement puisque la victime est payée dans tous les cas. En effet, la cotisation
complémentaire qui ne pourra être mise à la charge de l’employeur responsable sera diluée
au sein des cotisations AT/MP payées par l’ensemble des employeurs.(111)

Cette question de l’opposabilité revêt donc une importance particulière pour l’employeur. Si
la décision ne lui est pas notifiée, il n’aura à verser ni la cotisation complémentaire ni la
réparation des préjudices du salarié. C’est cette faille dans le système qui a mené, suite aux
arrêts « amiante », au développement d’une importante jurisprudence sur ce point précis.

Ce sont les obligations de la caisse dans le cadre de la procédure d’instruction du dossier
qui posaient problème, mais la plupart des difficultés en la matière ont été résolues par
l’introduction d’un nouvel article R. 441-11 dans le CSS qui en son alinéa 4 oblige la caisse à
notifier sa décision « avec mention des voies et délais de recours par tout moyen permettant
de déterminer la date de réception, à la victime ou ses ayants droit, si le caractère
professionnel de l’accident, de la maladie professionnelle ou de la rechute n’est pas reconnu,
ou à l’employeur dans le cas contraire. Cette décision est également notifiée à la personne à
laquelle la décision ne fait pas grief. » Cette notification fait immédiatement courir le délai
prévu à l’article R. 142-1 du Code de la sécurité sociale pour saisir la commission de
recours. Ce nouvel article a rendu sans effet la jurisprudence sur l’opposabilité, il n’est donc
pas utile de la détailler ici.

Comme l’inopposabilité de la décision à l’employeur, la défaillance de ce dernier pose
problème quant à l’exécution des actions récursoires de la caisse primaire d’assurance
maladie. C’est là l’hypothèse de l’ouverture d’une procédure collective qui est visée. Il s’agit
du cas de la personne morale qui, ayant commis une faute inexcusable, n’est pas en mesure
de rembourser à la CPAM les sommes avancées par elle car elle se trouve en situation de
redressement ou de liquidation judiciaire.

La Cour de cassation réticente à condamner une personne physique comme nous le verrons
ci-après, plutôt que de transférer cette charge sur le représentant de la personne morale, a
pu considérer que la charge finale pèserait sur la CPAM. Lorsque l’employeur est garanti par
un contrat d’assurance, la caisse primaire d’assurance maladie, étant subrogée dans les
droits des ayants droit à l’égard de celui-ci, peut agir directement contre l’assureur de
l’entreprise en cas de liquidation judiciaire(112).

De cette façon, pour exonérer le Régime de Garantie des Salaires (AGS) d’avoir à garantir
une créance liée à une faute inexcusable, la Cour relève que c’est la caisse et non
l’employeur qui verse la réparation. Son action récursoire ne peut donc pas être couverte par
le fonds de garantie des salaires.(113)

Par ailleurs, le débiteur final est-il l’employeur : personne physique ou morale ?
Cette question mérite d’être posée car l’article L.452-4 du CSS précise que l’auteur d’une
faute inexcusable est responsable sur son patrimoine personnel des conséquences de celleci.
Cette disposition n’est pas exempte d’ambiguïté.

A priori, on pourrait comprendre qu’il s’agit donc du patrimoine de l’employeur pris en tant
que personne physique. C’est pour éclaircir ce point que la Cour de cassation est intervenue
et a affirmé que « la victime d’un accident du travail ou ses ayants droit ne peuvent agir en
reconnaissance d’une faute inexcusable que contre l’employeur, quel que soit l’auteur de la
faute, et que le versement des indemnités est à la charge exclusive de la CPAM, laquelle n’a
de recours que contre la personne qui a la qualité juridique d’employeur. »(114) Cet attendu de
principe résulte de trois arrêts rendus par la chambre sociale le 31 mars 2003 et mérite que
l’on s’y intéresse de plus près.

Prenons comme exemple une de ces trois affaires : la Cour va casser l’arrêt d’appel qui avait
condamné solidairement le mandataire social avec la personne morale, à rembourser les
sommes versées par la CPAM. En l’espèce le président de la société avait été parallèlement
condamné au pénal pour blessures involontaires et infractions aux règles de sécurité. La
Cour retient que seule la personne morale avait la qualité juridique d’employeur et ce quel
que soit l’auteur de la faute inexcusable, à savoir en l’espèce le président de la société.
Cette solution a été maintenue par un arrêt postérieur du 10 juin 2003(115).

Pour conclure, il faut en déduire que la personne physique ne peut être mise en cause que
s’il n’y a pas de personne morale pour faire écran entre la CPAM et elle. Le patrimoine
personnel est donc celui de la personne morale si elle existe.

Cette jurisprudence peut être considérée comme contra legem puisqu’elle a tout de même
pour effet d’anéantir la portée d’un texte de loi. Une explication pourrait être que la
formulation toujours en vigueur dans le code de la sécurité sociale visant le patrimoine
personnel de l’employeur est obsolète puisqu’elle remonte à l’époque où il était strictement
interdit à l’employeur de s’assurer contre les conséquences de sa faute inexcusable.

Cependant, en déclarant que le débiteur final est la personne morale, on peut craindre que la
Cour incite moins les chefs d’entreprise à s’assurer s’ils savent que la trésorerie de leur
société est suffisante pour provisionner un ou quelques cas de faute inexcusable.

L’employeur est, de la sorte, souvent retenu comme responsable d’une faute inexcusable et
ce, dans la logique d’un système dont l’objectif est de promouvoir et rendre effective la
sécurité et la santé des travailleurs. Cette incitation à la prévention des accidents du travail
est rendue plus efficace par la sanction de son non-respect à travers une lourde addition à
payer pour l’employeur ou son assureur.

En effet, si les tribunaux caractérisent facilement la faute inexcusable, le but n’est semble-t-il
pas la recherche d’un patrimoine solvable pour indemniser le salarié blessé ou malade
puisque dans tous les cas, c’est la solidarité nationale à travers la CPAM qui va verser la
réparation, mais plutôt la recherche de l’effectivité de l’obligation de sécurité mise à la charge
des chefs d’entreprise.

Les tribunaux sont non seulement sévères pour ce qui est de la reconnaissance de la faute
mais ils le sont également en termes d’évaluation des préjudices subis. Les expertises
médicales sont systématiquement contredites et revues à la baisses dans les conclusions
des avocats défendant les employeurs mais la plupart du temps le chiffrage retenu par le
médecin expert n’est pas jugé excessif par le juge. On peut pourtant trouver largement
surestimé le préjudice résultant d’une cicatrice sur le pied lorsqu’il est chiffré à 5000 euros !
A côté de cet aspect financier qui permet d’alerter les entrepreneurs sur leur risque de voir
leur faute inexcusable reconnue et leur intérêt à souscrire une assurance, les répercussions
psychologiques et morales subies par l’employeur sont peu l’objet de préoccupations mais
sont systématiquement évoquées après un cas de faute inexcusable au sein d’une
entreprise.

D- les conséquences psychologiques/humaines

Pour toute entreprise, l’accident grave dont est victime un collaborateur est, avant toute
chose, un drame humain. Il représente aussi pour l’entreprise et ses dirigeants un risque qui
peut se matérialiser sur le plan pénal, civil et commercial.

Si l’accident ou la maladie professionnelle est source d’une souffrance sociale et morale
pour le salarié victime (exclusion du marché du travail, diminution d’estime de soi, perte de
confiance…), il en va de même pour l’employeur qui se trouve directement mis en cause.

Dans un premier temps, s’ouvre au moment de l’accident une période de crise que le
dirigeant doit être en mesure de gérer, mais c’est également le début d’une longue période
moralement éprouvante pour l’ensemble du personnel d’une entreprise et pour son dirigeant
qui se trouve personnellement inquiété.

Il s’agit d’un thème récurant lors de la rencontre des chefs d’entreprise ayant vécu cette
désagréable expérience de voir un de leurs employés blessé ou décédé. Les conséquences
humaines vécues sont en effet systématiquement abordées par les employeurs. L’évocation
de la culpabilité est récurrente dans le discours des employeurs qui sont reconnus
responsables d’une faute inexcusable.

Cela reste vrai en cas de maladie professionnelle développée sur le long terme ou de
blessures sans grande gravité.

Cette atteinte morale et d’autant plus forte lorsqu’une procédure pénale est engagée en
parallèle de la procédure en reconnaissance de la faute inexcusable, particulièrement
lorsque le chef d’entreprise se retrouve sur le banc des accusés, face aux ayants droit de la
victime décédée. Il existe en effet des cas dans lesquels les employeurs ont été arrêtés sur
les lieux de l’accident du travail et emmenés menottés par les forces de l’ordre.

Même en l’absence de toute faute reconnue par les juridictions, on peut aisément imaginer
les séquelles psychologiques d’une telle expérience. La médiatisation de l’affaire est
inévitable tout comme la stigmatisation, d’autant plus fortes lorsque l’entreprise est une
importante source d’emploi au niveau local.

Compte tenu du fardeau qui le menace, tout employeur songe désormais à s’assurer.

93 Exemples issus de l’étude de dossiers en cours de traitement chez des professionnels avocats et
assureurs.
94 Cass. soc. 27 février 1985, n° 83-13.290, Bull. ci v. V, p. 97 ; Cass. soc., 27 avril 1988, n° 86-18.4 37
95 Cass. soc.22 oct. 1984, no 83-10.240, Bull.
civ. V, p. 296
96 Cass. crim. 13 Septembre 2005, 04-85.736 ; R.C. et Ass. Novembre 2005, n°320.
97 Cass. soc. 22 juin 1988, n° 86-19.357
98 L. n° 2000-647, 10 juillet 2000, JO 11 juillet
99 Cass. soc. 12 juillet 2001, Dalloz 2001 n°42, note Yves Saint-Jours
100 Cass. soc. 28 mars 2002 : n° 2002-013798 ; Bull. c iv. 2002, V, n° 87 ; JCP G 2002, I, 186,
comm. G. Viney.– Cass. 2e civ., 16 septembre 2003, n° 01-16.715 : Bull. civ. 2003, II, n° 263. – Cass.
2e civ., 3 mai 2006, n° 04-30.601
101 Cass. soc. 21 juillet 1986, n° 85-11.775 ; Cass. s oc. 12 oct. 1988, n° 86-18.758, Bull. civ. V,
p. 311, Lamy social, 2008.
102 Cass. soc. 12 juillet 2001, no 99-18.375, Bull. civ. V, no 267). Dans le même sens, Cass. soc., 28
mars 2002, no 00-11.627, Bull. civ. V, no 110
103 Cass. 2e civ. 16 septembre 2003, no 01-16.715, Bull. civ. II, no 263
104 Cass. 2e civ. 12 mai 2010, n° 08-21.99, n° 2010-00 5980
105 Cass. 2e civ. 12 mai 2010, n° 08-21.991 : JurisDat a n° 2010-005980, commentaire, lextenso.fr
106 Le risque FIE était jusque là géré de façon très aléatoire puisqu’il représentait une part minime des
dossiers AT/MP. Cette gestion va changer, les Carsat auront l’obligation de gérer et d’intégrer les
dossiers FIE au système des AT/MP. Le taux de cotisation AT/MP sera globalisé et ainsi mieux géré
puisqu’il fera également l’objet d’alertes en cas de non paiement.
107 Chauchard Jean-Pierre, Droit de la sécurité sociale, L.G.D.J, 6ième édition
108 Cass. soc. 26 novembre 2002, n° 00-22.876
109 Les CPAM insistent pour être payées en capital. En Rhône Alpes, sur les 571 dossiers FIE traités
en 2010, 221 ont été payés sous forme de capital. Le taux et la durée de la cotisation complémentaire
sont fixés en accord avec l’employeur responsable.
110 Cass. soc. 19 décembre 2002, n° 01-20.111, Bull. N o 405, et s.
111 La cotisation complémentaire ne peut avoir un taux supérieur à 50% du taux de cotisation AT/MP
dans la limite de 3% de la masse salariale et ne peut avoir une durée supérieure à 20 ans.
L’application de ces règles aboutit à l’impossibilité d’un recouvrement intégral. Dans certains cas il
faudrait plus de 100 ans pour rembourser les sommes versées.
112 Cass. 2e civ. 31 mai 2006, no 04-10.127 FS-P+B
113 Cass. soc. 15 février 2001, n°99-13.682
114 Cass. soc. 31 mars 2003; R.C. et Ass. 2003, N°7 et 8, p.7 et 12. (Trois arrêts)
115 Cass. civ 2°, 10 juin 2003, Bull. n°178

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