Plus d’un an après la décision du Conseil, les juridictions judiciaires comme le législateur
n’ont pas tranché certaines problématiques découlant de ce contentieux. En effet, il importe
aujourd’hui de savoir dans quelle mesure la décision du Conseil s’impose aux acteurs du
dispositif et quelle est sa portée normative (A), une autre question très fréquemment
évoquée est celle de l’avance des indemnisations complémentaires qui doit, ou non, être
pratiquée par les caisses primaires d’assurance maladie (B). Enfin, se posent d’autres
questions concrètes notamment à propos des définitions de certains postes de préjudice (C),
de la présentation de la demande du salarié (D) et de la situation des victimes de l’amiante
(E).
A- L’autorité de la chose interprétée par le Conseil constitutionnel
Il convient ici de déterminer en quoi cette décision du 18 juin 2010 est obligatoire, dans quels
termes et envers qui.
Depuis 1958, le Conseil constitutionnel exerce un contrôle de constitutionalité des lois a
priori. Lorsque le Conseil constitutionnel juge que la disposition législative porte atteinte aux
droits et libertés, il prononce son abrogation et cette disposition disparaît de
l’ordonnancement juridique. Sur l’autorité de la chose jugée par le Conseil constitutionnel, il
faut se référer à l’article 62 de la Constitution en vertu duquel: « les décisions du Conseil
constitutionnel ne sont susceptibles d’aucun recours. Elles s’imposent aux pouvoirs publics
et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles ».
Selon le secrétariat général du Conseil constitutionnel, s’agissant des dispositions
examinées par le Conseil, la décision du Conseil a une double autorité: l’autorité morale qui
s’attache à sa jurisprudence et l’autorité juridique qui s’attache, en vertu de l’article 62 de la
Constitution, au dispositif et aux motifs de ses décisions. Ainsi, les décisions « classiques »
du conseil, qu’elles déclarent les dispositions examinées conformes ou non à la Constitution,
semblent lier toutes les institutions. Il est en outre reconnu que ces décisions ont un effet
« erga omnes ». En revanche, ce qui est plus problématique est la force de la chose jugée
par le conseil en présence d’une Question Prioritaire de Constitutionnalité.
La réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 a innové en confiant au Conseil un contrôle de
constitutionnalité des lois a posteriori. Elle a introduit dans la Constitution un nouvel article
61-1 qui instaure la procédure de la Question Prioritaire de Constitutionnalité. Selon Didier
Le Prado(155), les décisions du Conseil s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les
autorités administratives et juridictionnelles et il en sera ainsi des décisions relatives à une
question prioritaire de constitutionnalité. Pour Christian Charrière Bournazel(156), les décisions
du Conseil devront avoir la qualité de « chose interprétée », les membres du Conseil
constitutionnel ayant le souci de ne pas être prisonniers d’une jurisprudence lorsque les
circonstances changent et que ce qui avait été jugé peut faire l’objet d’une nouvelle
interprétation à l’occasion d’une nouvelle espèce. Maître Bruno Chaton(157) estime
que : «Sans cette autorité de la chose interprétée, le mécanisme ne présenterait que peu
d’intérêt et serait même source de confusion. Au demeurant, on peut supposer que si les
deux «cours suprêmes» posent au Conseil constitutionnel une telle question de
constitutionnalité, c’est précisément parce qu’elles en attendent un résultat et que par
conséquent la réponse fera autorité. ». Cependant, il rappelle que le Conseil constitutionnel
ne pourra évidemment pas censurer un arrêt qui s’éloignerait de son interprétation.
Ainsi dans le cadre du contrôle de constitutionnalité a priori comme a posteriori, l’autorité de
la chose jugée par le Conseil ne fait aucun doute. Encore faut-il déterminer ce qu’il en est
des réserves d’interprétation émises par le Conseil dans ses décisions de conformité comme
celle du 18 juin 2010.
Dans le cadre de la procédure de contrôle de constitutionnalité a posteriori et donc de la
procédure de QPC, la force des réserves d’interprétation semble évidente pour les
spécialistes du droit constitutionnel. En effet, les réserves et/ou les directives d’interprétation
données par le juge constitutionnel doivent être respectées, au même titre que le sort fait à
la disposition en elle-même.(158)
Mathieu Disant, auteur d’une thèse consacrée à l’autorité de la chose jugée par le Conseil
constitutionnel énonce que « le Conseil constitutionnel prononce des décisions
interprétatives qui présentent un caractère législatif (lato sensu : au sens de « faire loi ») en
tant qu’elles établissent, par voie d’interprétation, des règles générales applicables à tous.
Ce trait caractérise la normativité, la généralité et l’effet contraignant de la chose
interprétée. » Après avoir abordé les conséquences de la réforme instituant la QPC, il en
conclut : « Il en résulte que l’interprétation qui est énoncée par voie de doctrine dans les
décisions du Conseil constitutionnel est dotée d’une autorité privilégiée […] En ce sens,
l’article 62 alinéa 3 (ex−al.2) de la Constitution peut être valablement interprété comme
fondant, en droit, l’autorité erga omnes des décisions interprétatives du Conseil
constitutionnel. »(159)
Il faut donc tirer les conséquences de ce principe retenu par la doctrine. Si les décisions du
Conseil sont considérées comme ayant un effet erga omnes et que l’effectivité des réserves
d’interprétation est assimilée à celle des décisions en elle-même, il est donc légitime
d’estimer que la réserve d’interprétation exprimée par le Conseil le 18 juin 2010 s’impose à
tous : autorités publiques, juridictions et citoyens.
Même dans le doute d’une autorité directe envers les justiciables de la chose interprétée par
le Conseil, il est en revanche certain que les juridictions judiciaires seront inévitablement
amenées à appliquer la réserve d’interprétation du Conseil et c’est cette application par les
juges de droit commun qui s’imposera aux assureurs, victimes et autres justiciables
directement concernés par cette évolution de l’indemnisation de la faute inexcusable.
B- Le financement des postes de préjudices complémentaires par les caisses.
La question du financement des indemnités complémentaires reconnues par le Conseil
soulève différentes modalités problématiques. Tout d’abord celle de l’éventuel
préfinancement de la part des caisses de sécurité sociale. Posent également problème le
financement de l’expertise et l’identité des créanciers des indemnités.
1) L’éventuelle avance par les caisses
Comme nous avons pu déjà l’évoquer, une des principales incertitudes à propos de la mise
en oeuvre de la réserve d’interprétation du 18 juin 2010 porte sur le financement des
compléments d’indemnisation qui doivent désormais être accordés aux victimes. La question
est la suivante : les droits accordés par le Conseil aux victimes feront-ils l’objet d’une avance
de la Sécurité sociale comme c’est le cas actuellement pour les postes énumérés par la loi,
ou relèveront-ils d’un rapport direct entre le salarié victime et l’employeur ?
A ce sujet nous avons vu que le commentaire de la décision dans les Cahiers du Conseil
constitutionnel retient que la réserve reconnaît un droit à la victime de « demander à
l’employeur réparation » et n’institue donc pas un droit de créance de la victime sur les
caisses d’assurance maladie. Selon l’auteur, le dispositif de préfinancement par les caisses
prévu par l’article L.452-3 du CSS ne trouve donc pas à s’appliquer aux dommages
nouvellement indemnisables. (Il faut ici préciser que ce commentaire publié sur le site
Internet du Conseil constitutionnel est à bien distinguer de la décision elle-même et n’a
aucune légitimité à influer sur la décision qui devra être prise par la Cour de cassation).
Cette position exposée précédemment est évidemment celle adoptée par la CNAMTS et
donc par les CPAM qui s’opposent farouchement à indemniser les victimes puis récupérer le
montant des indemnités versées. Ainsi, une caisse primaire d’assurance maladie dans un
contentieux sur la faute inexcusable d’un employeur, porté devant un TASS, a argumenté
comme suit dans ses observations versées aux débats :
«La caisse demande au Tribunal de prendre acte de ce qu’elle fera l’avance des sommes
allouées à la victime et procèdera au recouvrement auprès de l’employeur, conformément
aux dispositions de l’article L.452-3 du CSS.
En revanche, il convient de préciser que l’article L.452-3 du CSS énumère de manière
limitative les 4 chefs de préjudices pouvant faire l’objet d’une avance par l’organisme, il s’agit
du pretium doloris, du préjudice esthétique, du préjudice d’agrément et des pertes ou
diminutions des possibilités de promotion professionnelles.
En conséquence, les préjudices autres qui peuvent être réclamés ensuite de la décision
rendue par le Conseil constitutionnel en date du 18 juin 2010 ainsi que les frais de l’expertise
complémentaire destinée à les déterminer, ne sauraient faire l’objet d’une quelconque
avance par la CPAM. Dans ces conditions, la caisse demande au Tribunal de dire et juger
que l’indemnisation des préjudices non prévus à l’article L452-3 du CSS ainsi que les frais
d’expertise y afférents sont à la charge exclusive de l’employeur. »
Au sein de la doctrine et des professions judiciaires, la question divise, même s’iI est admis
par tous que cette question de l’avance par les caisses des droits nouveaux de la victime,
est d’importance.
Pour F. Grout, responsable juridique national de la FNATH, il est tout à fait justifié de
demander l’avance par les caisses des compléments d’indemnisation puisque cela est
conforme à la logique globale du système et permet d’éviter de se retrouver face à un
débiteur défaillant. En outre, il souligne que le Conseil, dans sa décision, n’a aucunement
exclu l’application du système d’avance par les caisses et a même fait référence dans son
considérant 16 à trois principes essentiels : l’automaticité, la rapidité et la sécurité. La loi
imposant une réparation forfaitaire et rapide, cette avance semble indiscutable.
Pour la plupart des auteurs qui se sont intéressés à la question, cette avance est tout à fait
logique et ce, pour différentes raisons.
Tout d’abord, le Conseil valide le système et la procédure d’indemnisation du CSS, il est
donc légitime de considérer que la nouvelle indemnisation aura lieu dans le cadre de cette
législation spéciale. L’anadvi estime qu’il n’est donc pas possible pour la victime d’intenter
une action de droit commun contre l’employeur et s’inquiète de savoir quel sera le recours de
la victime si, en l’absence d’avance par les caisses, elle se heurte à la disparition,
l’insolvabilité ou le défaut d’assurance de l’employeur fautif. C’est cette inquiétude qui suscite
la réflexion suivante à Claudine Bernfeld et Frédéric Bibal : « Si son indemnisation n’est plus
avancée par la caisse de sécurité sociale, les nouveaux droits de la victime seront purement
virtuels et une inégalité se fera jour entre les victimes d’entreprises solvables (ou assurées)
et les autres ».(160) Les deux avocats précisent que la décision revient à la Cour de cassation
qui « serait bien inspirée de maintenir l’avance des caisses, sauf à créer une situation
inextricable devant les tribunaux des Affaires de Sécurité Sociale, qui devraient alors, en
plus du calcul de l’indemnisation, résoudre l’important contentieux que ne manquera pas de
générer la délimitation entre la facture avancée par les caisses et celle que devrait payer
directement l’employeur. »
Cette question des graves et illogiques conséquences procédurales que pourrait engendrer
l’adoption d’une solution différente de celle en vigueur a été abordée par d’autres auteurs.
Pour l’avocat J.P. Teissonnière, l’unité procédurale qui est maintenue devant les juridictions
de sécurité sociale par le Conseil constitutionnel implique nécessairement le maintien de la
garantie des caisses primaires d’assurance maladie. Cette avance est d’après lui, désormais
étendue au périmètre élargi de l’indemnisation. Il envisage également les difficultés
générées par l’absence de garantie par les caisses dans un système déjà complexe du fait
de l’intervention d’un tiers payant. En effet, le code de la sécurité sociale a une logique
complexe à travers le principe d’autonomie des rapports entre la caisse et l’employeur d’une
part, la caisse et la victime d’autre part. Cette logique conduit parfois comme nous l’avons vu
à des situations paradoxales dans lesquelles la reconnaissance de la faute inexcusable de
l’employeur est inopposable à ce dernier. Le tiers payant est seul apte à gérer de pareilles
situations soit en récupérant le montant des sommes avancées auprès de l’employeur soit
en les faisant supporter par le compte spécial qui mutualise le risque de la branche AT/MP.
Ainsi, l’avocat estime que « toute autre interprétation compliquerait encore ce jeu à trois d’un
maniement déjà infiniment délicat, en introduisant dans le débat compagnies d’assurances et
AGS en cas de disparition de l’entreprise…Une telle solution entraînerait pour le plus grand
désarroi des victimes, l’encombrement immédiat et définitif des juridictions de sécurité
sociale, contraintes à d’interminables audiences de mise en état en fonction de la géométrie
désormais variable des procédures ».
F. Grout s’interroge également sur ce qu’il adviendra en cas de disparition de l’employeur. Il
remarque que les victimes se trouveront bien démunies et que l’on serait très loin des grands
principes de rapidité et de sécurité pourtant rappelés par le Conseil.
A ce jour cette question n’a été examinée par la Cour de cassation mais cela ne saurait
tarder. En effet, la Cour d’appel de Lyon qui considérait que l’avance ne devait pas avoir lieu
pour les nouveaux postes de préjudices a très récemment procédé à un revirement de
jurisprudence ce qui a donné lieu à un pourvoi en cassation par les CPAM de Rhône Alpes.
En réalité, ce sont toutes les caisses auxquelles les juges du fond ont imposé le
préfinancement qui se sont pourvues en cassation.
2) Le coût de l’éventuel complément d’expertise
La réserve d’interprétation reconnaissant la possibilité pour les victimes de demander la
réparation des postes de préjudice non énumérés par le livre IV du code de la sécurité
sociale implique comme nous l’avons exposé que la victime rapporte la preuve du caractère
réel de tels préjudices. Cette preuve ne peut être constituée que par le moyen d’une
expertise. Pour les affaires déjà en partie jugées sous l’ancien système, un complément
d’expertise sera nécessaire.
La problématique en la matière repose sur l’interrogation suivante : la caisse peut-elle
refuser une demande de complément d’expertise ?
Pour M. Grout, la caisse ne peut avancer un tel refus de prendre à sa charge les frais d’un
complément d’expertise. Selon les articles L.442-8 et R.141-7 du code de la sécurité sociale,
la caisse ne peut refuser qu’en cas de demande abusive, or il est difficile de considérer
comme abusive, une demande de complément d’expertise suite à une décision du Conseil
constitutionnel.
3) Les ayants droit de l’indemnisation nouvellement accordée
Le Conseil constitutionnel ne s’est pas expressément prononcé sur les ayants droit. Il ne fait
référence qu’à la victime et en cas de décès, ses ayants droit. Certains estiment qu’une
clarification sur ce point précis aurait été utile d’autant que la définition des ayants droit
retenue par le droit de la sécurité sociale diffère de celle retenue en droit commun.
M. Grout, au regard de cette différence de définition, regrette que le conseil n’ait pas abordé
la procédure sur ce point, celle-ci est également complexe puisqu’en cas de survie de la
victime, les ayants droit doivent agir devant les tribunaux de droit commun contrairement aux
proches d’une victime décédée. Cette multiplicité de contentieux est ainsi maintenue pour un
même fait dommageable, un même responsable et les mêmes victimes.
Pour conclure, si les caisses et le commentaire de la décision s’opposent à un
préfinancement des préjudices désormais indemnisables, la majeure partie de la doctrine,
les victimes et leurs défenseurs jugent indispensable cette avance. Certains disent, d’une
part, regrettable que le Conseil ne soit pas allé plus loin en ne précisant pas qui devait payer,
ce qui devait être payé et à qui doit-on payer. D’autre part, les mêmes auteurs trouvent
dommageable que le Conseil laisse seuls et en première ligne les juges du fond dans une
situation « quasi inextricable ».
L’avance des caisses peut également être source de difficultés lorsque Cour de cassation et
juridictions de sécurité sociale ont du mal à s’entendre sur une définition commune de
certains postes de préjudice.
C- Des postes de préjudice à géométrie variable
1) Le préjudice d’agrément
Le préjudice d’agrément s’est avéré une source d’embarras à la suite de l’intervention du
Conseil constitutionnel. En effet, la Cour de cassation retient une définition éclatée de ce
poste de préjudice.
La Cour de cassation donne au préjudice d’agrément une définition singulière dans le cadre
des accidents du travail. Ce chef de préjudice est défini en droit commun comme relevant de
la privation d’une activité spécifique de loisirs161, mais la deuxième chambre civile de la Cour
de cassation l’a défini, au visa de l’article L.452-3, comme « celui qui résulte des troubles
ressentis dans les conditions d’existence »162. En droit de la sécurité sociale, le préjudice
d’agrément est ainsi beaucoup plus large et recouvre non seulement les activités sportives et
ludiques mais également les atteintes à la qualité de vie, le préjudice sexuel ou tout ce qui
relève des conditions d’existence.
Cette dualité, déjà révélée et critiquée avant l’intervention du Conseil constitutionnel en
matière de faute inexcusable, s’explique par la volonté de la Cour de cassation de corriger
sa position permettant aux tiers payeurs d’exercer leur recours sur le déficit fonctionnel
permanent. Dans le cadre des accidents du travail, la Cour a reconnu le droit pour les tiers
payeurs d’exercer leur recours sur le déficit fonctionnel permanent, ce qui était très
défavorable aux victimes. Ainsi, pour compenser cette jurisprudence, elle a donné une
définition très large du préjudice d’agrément ce qui ne laisse subsister dans le poste du
déficit fonctionnel permanent que l’atteinte physiologique et réduit ainsi l’assiette du recours
des tiers payeurs.
Dans le contexte nouveau de l’indemnisation de la faute inexcusable cette différence de
définition risque de poser plusieurs difficultés. Madame Rome-Duplat, présidente honoraire
du TASS de Paris, s’est prononcée sur la question. Si l’interprétation faite par la Cour de
cassation de la position du Conseil la conduit à se baser sur la nomenclature Dintilhac, la
définition de droit commun viendra supplanter celle retenue en droit de la sécurité sociale et
ainsi réduire le préjudice d’agrément aux seules activités de loisir, et la perte de qualité de
vie sera réaffectée au déficit fonctionnel permanent, ce qui réduira les droits des victimes
puisque tout ce qui relèvera des troubles dans les conditions d’existence sera soumis au
recours des tiers payeurs.
Cette question de la définition du préjudice d’agrément emporte également des
conséquences à propos du préfinancement par les caisses. Les caisses n’admettent
d’avancer les indemnités que pour les postes de préjudice listés à l’article L.452-3. Le
préjudice d’agrément figurant dans cette liste limitative, il permet l’avance des caisses, il
serait donc à ce point de vue plus favorable aux victimes que la définition la plus large
l’emporte. Si au contraire la définition plus restrictive de droit commun devait être retenue et
si les caisses n’avancent effectivement que les postes couverts par le livre IV du CSS, les
victimes devront agir directement contre l’employeur pour tous les dommages qui ne
rentreraient plus dans le périmètre de cette définition.
2) Le déficit fonctionnel permanent
Par ailleurs l’inévitable intervention de la Cour de cassation sera l’occasion pour cette
dernière de confirmer, ou au contraire, d’abandonner sa jurisprudence relative à la nature de
la rente accident du travail. Depuis 2009, la Cour considère que la rente accident du travail a
vocation à indemniser non seulement les pertes de gains professionnels et l’incidence
professionnelle de l’incapacité mais également le déficit fonctionnel.(163) Le cas particulier du
déficit fonctionnel permanent a suscité un débat très vif, principalement développé dans le
cadre du recours des tiers payeurs. La question était de savoir si un tel préjudice était
indemnisé par la rente AT. La Cour de cassation a tranché par l’affirmative et si elle décide
de continuer à englober le déficit fonctionnel dans la rente AT, alors ce poste particulier de
préjudice ne pourra faire l’objet d’une indemnisation complémentaire si une lecture restrictive
de la décision du Conseil est retenue. En effet, en l’état actuel du droit positif, le déficit
fonctionnel permanent est, au sens de la jurisprudence de la Cour de cassation, déjà «
couvert » par le livre IV du code de la sécurité sociale.
D- La présentation de la demande du salarié
Dans l’état actuel du droit positif et de la jurisprudence, l’incertitude porte également sur la
façon pour le salarié victime d’une faute inexcusable de présenter sa demande
d’indemnisation en adéquation avec la réponse du Conseil constitutionnel.
Différentes possibilités s’offrent aux salariés intentant une action en vue d’une indemnisation
interprétée à la lumière de la décision du Conseil :
– Calculer l’ensemble des préjudices et déduire les prestations servies par la caisse.
Cette solution est à rejeter selon les auteurs en raison de son anachronisme.
– Etablir deux demandes, l’une auprès de la caisse et l’autre auprès de
l’employeur. Cependant il est jugé indispensable par les représentants des victimes
de réclamer l’avance de la caisse sur l’ensemble des préjudices.
– Appliquer la nomenclature Dintilhac et ainsi chiffrer les préjudices poste par poste en
prenant en compte les prestations déjà versées. Cette solution est jugée la plus
réaliste et la plus pratique par les avocats représentants de l’Anadvi dans la mesure
où elle serait ainsi dans la lignée des méthodes utilisées par toutes les autres
juridictions dans les autres types de dossiers de dommage corporel.
Enfin, une autre question reste en suspens, elle concerne les victimes de l’amiante.
E- Les victimes de l’amiante
Il a été constaté que l‘approche de l’indemnisation des victimes de fautes inexcusables par
les juridictions s’avère plus clémente lorsqu’il s’agit de salariés ayant développé des
maladies liées à leur exposition à l’amiante.
En effet, les sommes allouées en réparation du préjudice causé par les souffrances
physiques et morales des salariés ayant été exposés au risque amiante sont généralement
supérieures à celles qu’ils obtiendraient en application des règles du droit commun.
Ainsi, en dépit du fait que l’évaluation des préjudices semble aujourd’hui revue à la baisse,
certaines juridictions ont pu aller jusqu’à accorder la somme de 16 000 € au titre du pretium
doloris et 5 000 € au titre du préjudice moral à des salariés qui s’étaient vu attribuer un taux
d’incapacité permanente partielle de 5% par leur caisse primaire d’assurance maladie, et
cela en l’absence de toute expertise médicale. En raison de cette « faveur » faite aux
victimes de l’amiante, on peut se demander si la récente évolution du régime d’indemnisation
de la faute inexcusable représente pour elles une amélioration. (164)
Seule la tendance à venir de la jurisprudence permettra de dire si les victimes de l’amiante
estimeront opportun de solliciter l’application de la décision du Conseil constitutionnel du 18
juin 2010.
155 Président de l’ordre des avocats au Conseil d’État, et à la Cour de cassation
156 Bâtonnier de l’Ordre des avocats de Paris (2008-2009)
157 Avocat à la Cour d’appel de Dijon
158 Servane KNIES, Petites affiches, 23 octobre 2009 n° 212, P. 20 Droit constitutionnel
159 L’autorité de la chose interprétée par le Conseil constitutionnel − Permanence et actualité(s)
Mathieu DISANT − Cahiers du Conseil constitutionnel n° 28 − juillet 2010
160 Claudine Bernfeld et Frédéric Bibal, Gazette du palais dimanche 19 décembre 2010 au mardi 21
mardi 21 décembre 2010, page 6
161 Cass. 2 e
Civ. 28 mai 2009, RTD civ. 2009. 534, observation P. Jourdain
162 Cass. 2 e
civ. 8 avr. 2010 (deux arrêts), D. 2010. 1086
163 Cass. 2° civ. 11 juin 2009, pourvoi n° 08-16.089
164 Gambette Catherine et Mongin Juliette, Les conséquences de la décision du Conseil
constitutionnel du 18 juin 2010, L’argus de l’assurance, 10 décembre 2010