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§ 2 – Les risques spécifiques liés à la personne du mandataire

A/ Les risques spécifiques du mandat d’arbitrage dans le schéma de délégation du souscripteur à l’assureur

Outre la problématique du conflit d’intérêts évoquée ci-dessus, la qualité d’assureur du
mandataire soulève celle de la compatibilité avec le principe de spécialité qui le régit et la
possibilité de signer un avenant avec soi-même.

1/ Principe de spécialité et mandat d’arbitrage

Le statut d’entreprise d’assurance est-il compatible avec la gestion financière déléguée des
unités de compte ? En pratique, lorsque la délégation d’arbitrage intervient par le choix d’une
gestion profilée, c’est généralement l’assureur qui l’assume (ou encore la subdélègue).
La question se posait avec d’autant plus d’acuité que le Code des assurances ne lui
reconnaissait pas alors expressément la compétence technique de l’assureur pour réaliser un
bilan patrimonial. Désormais, il est reconnu à l’assureur plus que la faculté, le devoir de
regard sur l’étendue du patrimoine du souscripteur, pour conseiller celui-ci sur les contrats à
souscrire en regard sur la gestion de l’intégralité de son patrimoine.
Le principe de spécialité de l’entreprise est posé aux articles L321-1 et R321-1. Est-il
compatible avec le métier de gestion des actifs en garantie des engagements et la gestion
financière des supports offerts à l’arbitrage ?
La gestion financière n’est-elle pas partie intégrante du métier de base de l’assureur ? Dès lors
qu’il assure traditionnellement la couverture d’un risque sur son actif, on ne peut que lui
reconnaître la qualité pour gérer les actifs sous-jacents. A notre sens, l’assureur qui offre des
fonds profilés, s’inscrit dans cette fonction quand il se porte responsable de l’adéquation de la
gestion des unités de compte aux caractéristiques déterminées pour le support.
Il convient de distinguer la “gestion exclusive et spécifique des actifs sous-jacents constitués
de valeurs mobilières, qui requiert un agrément particulier lorsqu’elle est effectuée à titre
habituel pour le compte de tiers, et un pouvoir d’arbitrage entre les compartiments, qui relève
d’une faculté générale de contrôle et de surveillance, en principe exercée par le souscripteur
et qui pour être exercée ne requiert pas d’autorisations particulières.”220
Qu’en est-il de l’arbitrage entre les unités de compte ? L’assureur n’obéit pas aux règles des
conseils en investissements financiers, dès lors que l’acte d’arbitrage entre unités de compte ne
revêt pas cette qualité. Pour autant, le principe de spécialité ne semble pas s’opposer à ce que
l’assureur assume ce mandat du souscripteur. L’ancienne AMF énonçait, pour sa part, n’avoir
en conséquence aucun contrôle sur les activités d’arbitrage entre unités de compte par les
compagnies.

2/ Difficultés de la conclusion d’un avenant par un assureur bicéphale ou le contrat avec soimême

D’une main l’assureur signe pour le compte du souscripteur, de l’autre pour son propre
compte : cette situation imagée souligne une difficulté dénoncée par l’administration fiscale,
qu’importe d’ailleurs qu’il existe ou non une formalisation de l’avenant d’arbitrage. Une lettre
de la direction de la législation fiscale du 11 février 2005 (précitée) énonce sa position à
l’égard de la gestion du contrat déléguée à l’assureur :
« […] vous avez appelé mon attention sur le régime fiscal de contrats d’assurance-vie
multisupports, dit «contrats à fonds dédiés », et dont la seule spécificité réside dans la
délégation par l’assuré à un établissement financier de son droit au choix et à l’arbitrage
entre supports […]. Sur le plan juridique, un contrat d’assurance vie peut valablement
prévoir que l’assuré délègue ses droits d’arbitrage et de choix des unités de compte à un
mandataire désigné à cet effet. L’assureur continue à devoir s’acquitter de l’ensemble de ses
obligations, notamment en matière d’information et de formalisation par avenant des
arbitrages, mais peut toutefois transmettre les avenants en cas d’arbitrage au seul
mandataire. […] Cela étant, le mandataire ne doit pas être l’assureur partie au contrat. En
effet, il ne peut être accepté que l’assureur partie au contrat signe des avenants avec luimême
en tant que mandataire de l’assuré.»

Les assureurs critiquent cette position de l’administration fiscale, qui n’a, par ailleurs, aucune
force obligatoire mais peut guider les diligences de l’administration et éclairer les juridictions.
L’assureur ne pourrait être mandataire arbitre, position juridiquement sujette à caution
puisque rien n’empêche à une personne d’agir pour le compte de deux personnes221. En
l’occurrence, l’assureur interviendrait pour son propre compte pour prendre acte de la volonté
du souscripteur, par ailleurs exprimée, d’utiliser sa faculté unilatérale d’arbitrage. Le recours à
un avenant d’arbitrage ne sert donc qu’à fixer sur le papier la nouvelle détermination de la
prestation d’assurance, auquel l’assureur aura par avance donné son accord dans la convention
(généralement le contrat d’assurance, parfois un avenant ultérieur) qui ouvre la faculté
d’arbitrage.
La loi distingue pourtant des hypothèses où le mandataire ne peut contracter personnellement
avec le mandant représenté : c’est le cas des mandats de vente aux enchères par exemple, où il
est interdit au mandataire de se porter acquéreur du bien qu’il est chargé de vendre222. De
même est-il interdit au curateur d’un incapable d’être désigné comme bénéficiaire du contrat
d’assurance-vie.
Ces restrictions peuvent-elles s’imposer à l’arbitrage délégué à l’assureur ? D’une part, le
mandat d’arbitrage ne porte pas sur des actes de disposition (le souscripteur ne vend ni
n’achète d’unités de compte ni d’actifs financiers), puisqu’il s’agit de redéfinir la dette de
l’assureur. D’autre part, la loi spéciale doit être interprétée strictement, le principe étant celui
de la liberté conventionnelle. L’exception légale doit rester cantonnée, qui se justifie par la
volonté d’empêcher un conflit d’intérêts.

B/ Les risques spécifiques du mandat d’arbitrage dans le schéma de délégation du souscripteur à un prestataire de service d’investissement (PSI)

Outre les questions relatives au conflit d’intérêts déjà évoquées, pour le cas du mandataire
délégataire de la gestion des actifs sous-jacents, il convient d’appréhender les responsabilités
portées par les délégataires PSI223.
L’absence d’agrément du mandataire d’arbitrage :
En pratique, les assureurs peuvent désigner l’un ou l’autre professionnel en tant que sousdélégataire.
Le métier réglementé de Conseil en investissement financier ou CIF (spécialisé)
semble le plus proche de l’activité d’arbitrage, mais certains Conseillers en gestion de
patrimoine ou CGPI (plus généralistes, établissant une stratégie patrimoniale d’ensemble) sont
désignés à ces fonctions, ou encore des sociétés de gestion d’actifs financiers.
Au regard de pratiques hautement critiquables, comme celle des mandats d’arbitrage signés en
blanc et remises ainsi à la discrétion du conseiller, les professionnels indépendants du
patrimoine regrettent un manque de réglementation224. Quelle sera la responsabilité assumée
pour un mandat en blanc ? Tout est problème de preuve : formellement, ledit mandat semble
engager à la fois le souscripteur, censé avoir donné son accord au cas particulier, et l’assureur
auquel il sera présenté : par cette pratique, seul se dégage de sa responsabilité le professionnel
dont le rôle consiste précisément à guider ou suppléer les choix d’arbitrage du souscripteur.
Rémunéré pour ses prestations, il devra néanmoins en justifier.
N’est-il pas à regretter une insuffisante garantie pour la sécurité des « épargnants », faute
d’agrément des mandataires d’arbitrage entre unités de compte en assurance vie ? Il serait
préférable de voir confier ces choix à des professionnels respectant les conditions
réglementaires et déontologiques propres à respecter l’intérêt du client. Pourquoi ne pas aller
jusqu’à imposer les règles issues de la Directive MIF pour les PSI aux délégataires ? Ils ne
sont pas des prestataires de services d’investissement car arbitrent entre unités de compte et
non entre instruments financiers ; mais cela permettrait, comme l’impose la directive sur les
marchés d’instruments financiers, de leur faire porter l’obligation d’établir une classification
des clients, procéder à des tests d’évaluation des connaissances et des objectifs
d’investissement des clients (dits suitability test, appropriateness test), informer des clients…
Pour Alain PITHON225, le principe majeur apporté par la directive MIF consiste à l’adaptation
du devoir de conseil au profil du client (au regard notamment de la notion d’investisseurs
qualifiés que le Code monétaire et financier définit comme toute « personne ou entité
disposant des compétences et des moyens nécessaires pour appréhender les risques inhérents
aux opérations sur instruments financiers »).
A ce stade, cependant, ce n’est pas le choix des institutions dans la mesure où l’arbitrage
n’implique pas la possession de fonds ni ne porte directement sur le patrimoine du
souscripteur, sauf à considérer la créance qu’il détient ou, potentiellement, le bénéficiaire.
L’article 2 de la Directive indique en effet que le texte ne s’applique pas aux entreprises
d’assurances en considérant que leurs activités font l’objet d’une surveillance appropriée par
les autorités compétentes en matière de contrôle prudentiel.

C/ Les risques spécifiques du mandat d’arbitrage dans le schéma de délégation du souscripteur à l’intermédiaire d’assurance

A propos d’une autre problématique, la jurisprudence l’a rappelé très récemment : “Par
principe, le coutier d’assurance est le mandataire de l’assuré, non celui de l’assureur, sauf
lorsqu’il dispose de pouvoirs de représentation ou en cas de mandat apparent.”226
Le courtier a donc vocation à représenter son client dans le cadre de l’intermédiation en
opérations d’assurance.

Plus largement, rien dans les textes n’interdit à l’intermédiaire d’assurances, dûment
immatriculé auprès de l’ORIAS, d’assumer l’arbitrage entre unités de compte pour son client,
dans la mesure où son statut n’est pas incompatible avec une telle délégation. Pas plus que
pour les autres délégataires, les dispositions issues de la directive MIF (marchés d’instruments
financiers) en vigueur depuis le 1er novembre 2007 ne leur sont pas applicables.
Qui plus est, le devoir d’information et de conseil qui pèse sur l’intermédiaire d’assurance le
positionne dans la situation d’appréhender le patrimoine du souscripteur : il aura formalisé les
besoins et exigences du candidat à l’assurance selon la complexité du contrat proposé, affecté
le client à une catégorie selon son expérience des marchés financiers et sa disponibilité pour
gérer son épargne, établi les objectifs d’investissement et leur horizon de placement.
Titulaire du mandat, l’intermédiaire, pour arbitrer, agira en dehors de ses attributions
réglementées d’intermédiaire. « L’assurance de responsabilité civile professionnelle de
l’intermédiaire risque alors de ne pas couvrir les fautes commises dans l’exécution de son
mandat »227, ce dont il devrait être appelé à se prémunir par une extension de garantie.
Une fois de plus, l’appréhension fiscale de l’opération permet de s’interroger sur l’analyse
juridique de cette délégation.
La prestation de l’intermédiaire serait-elle soumise à TVA, dès lors que les opérations
d’assurance n’y sont pas assujetties ? Un arrêt du Conseil d’Etat a notamment énoncé que :
“L’article 261 C du code général des impôts228, qui exonère de taxe sur la valeur ajoutée les
opérations d’assurance et de réassurance ainsi que les prestations de service afférentes à ces
opérations effectuées par les courtiers et les intermédiaires d’assurances, ne limite pas la
portée de l’exonération dont s’agit aux seules activités visées par le code des assurances, ni
aux seules prestations servies par l’assureur à l’assuré. Doivent être regardées comme des
prestations de services afférentes à une opération d’assurance toutes celles qui concourent,
quelles qu’en soient la nature ou la forme, de façon indissociable à la réalisation de cette
opération.”229
Au titre des “prestations de services afférentes aux opérations d’assurance”, l’arbitrage entre
unités de comptes effectué par l’intermédiaire n’est pas soumis à TVA, dès lors qu’elles
“concourent de façon indissociable à la réalisation” de l’opération d’assurance : l’intermédiaire
qui aura concouru à la conclusion du contrat d’assurance vie pourra valablement être exonéré
de TVA en sa qualité de mandataire délégué aux arbitrages entre unités de compte.
Aussi divers soient les cas de délégation, aussi variées les sources d’engagements et par suite,
de responsabilités. Il convient de s’interroger sur la combinaison entre les différentes relations
contractuelles entre les intervenants à l’opération d’arbitrage.

221 TE219 ANTONMATTEI et RAYNARD, Droit civil Contrats spéciaux, éd. Litec, 6è ed., n° 461 et s.
220 Les délégations d’arbitrage dans le cadre des contrats d’assurance-vie multisupports – La pratique des
mandats croisés, F. LUCET et D. CORON, RGDA1998, p. 657
RRE SIMLER LEQUETTE, Les obligations, Dalloz-Sirey, ed. 2005, 182
222 Article 1596 du Code civil
223 au sens de l’article L 531-1 du Code monétaire et financier
224 “Le régime ambigu du mandat d’arbitrage” L’AGEFI ACTIFS n°220 du 23 septembre 2005, p 16
225 Délégué général adjoint, Conseiller du délégué général de l’AFG, in “La Directive MIF Et La
Commercialisation Des Produits Financiers : Evolution Ou Révolution ?”,
http://www.ffsa.fr/webffsa/risques.nsf/b724c3eb326a8defc12572290050915b/7da8a3b0dc13af57c125732400
4aa278/$FILE/Risques_070_0011.htm
226 Civ. 2e, 14 janvier 2010, n° 09-10.220, s’opposant à la condamnation solidaire du courtier et de l’assureur
pour défaut d’information
227 “Le régime ambigu du mandat d’arbitrage” L’AGEFI ACTIFS n°220 du 23 septembre 2005, p 16 ; et article
L 512-6
228 conformément à l’article 13 B de la sixième directive 2006/112/CE relative au système commun de la TVA :
Article 261 C “Sont exonérées de la taxe sur la valeur ajoutée :[…] 2° Les opérations d’assurance et de
réassurance ainsi que les prestations de services afférentes à ces opérations effectuées par les courtiers et
intermédiaires d’assurances ;”
229 Cour administrative d’appel de Paris, 2e chambre, 20 août 1998, 95PA01470, recueil Lebon

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