86. Concepts clés.
– L’élaboration d’une nomenclature de préjudices réparables a permis de mettre en lumière l’importance
de certains concepts. L’évolution dans le temps des préjudices est à surveiller de façon permanente.
Elle permet principalement de fixer la date de la consolidation de l’état de la victime (A) ou de remarquer
une aggravation ou bien une amélioration des préjudices dans le futur (B).
A/ La consolidation.
87. Notion de consolidation.
– La doctrine définit la consolidation comme la stabilisation du dommage. C’est un élément déterminant
car il est « le moment où les différents chefs de préjudices deviennent définitifs et où, par conséquent,
il devient possible de les mesurer et de les évaluer » ; ou bien encore lorsque « les lésions se fixent
et prennent un caractère permanent, tel qu’un traitement n’est plus nécessaire, si ce n’est pour éviter une
aggravation, et qu’il est possible d’apprécier un certain degré d’incapacité permanente
réalisant un préjudice définitif »(121). La définition retenue dans le rapport Dintilhac est la
suivante : « La consolidation est le moment où il est acquis que les traitements médicaux ne
peuvent plus permettre d’espérer une amélioration ou de craindre une aggravation et ne sont
éventuellement poursuivis que pour maintenir l’état de récupération »(122).
La consolidation est la date délimite la frontière entre le temporaire et le permanent
de l’ensemble des postes de préjudices de la nomenclature. Sans cette fixation, le travail de
liste établi serait moins précis. Cependant, la consolidation n’est pas la guérison de la victime.
La personne peut rester malade après son accident : elle se maintiendra dans un état stable
établissant les préjudices qu’elle devra supporter en permanence et ce jusqu’à la fin de ces
jours. L’exemple d’une victime perdant l’usage de son bras suite à un accident illustre
parfaitement cette situation.
La doctrine a relevé que la notion de consolidation serait duale : elle est soit
fonctionnelle, soit situationnelle. La consolidation fonctionnelle est « le déficit fonctionnel qui
résulte des lésions organiques et physiologiques » alors que la consolidation situationnelle est
« les conséquences du handicap pour la victime en situation dans son environnement »(123). Il
serait demandé à l’expert de « faire une description situationnelle de la victime dans cinq
environnements : les activités élémentaires de la vie quotidienne, les activités socioprofessionnelles,
les activités affectives ou familiales, les activités de loisirs et les activités
scolaires et de formation »(124).
88. Consolidation et statut de victime.
– La date de la consolidation fixe également l’indemnisation définitive de la victime.
Les provisions allouées aux titres des préjudices temporaires seront ajustées à leur réelle durée
et un complément d’indemnisation au titre des préjudices permanents sera versé à la victime.
Cette étape marque donc la fin du statut stigmatisant de victime, dans lequel la personne est
plus sensible et plus faible que d’habitude.
Quant aux préjudices ayant à la fois un caractère temporaire et permanent, il convient
de les fixer le plus précisément possible dans la durée. Il faut rester sensible au problème de
concordance des postes de préjudices dans le temps, en distinguant clairement ce qui est avant
et après la consolidation. La nomenclature devra apporter des solutions techniques précises
pour réparer le plus justement possible ces divers chefs de préjudices.
La consolidation va avoir pour effet de libérer la victime dans le sens où elle
recouvre la pleine capacité de ses droits grâce au principe de libre disposition de l’indemnité.
« Le blessé consolidé, lorsqu’il est rempli de ses droits, quitte le statut de victime »(125).
89. Liquidation de l’ensemble des postes de préjudices.
– La date retenue pour la consolidation de la victime a pour effet de liquider l’ensemble des postes
de préjudices de la nomenclature : ils deviennent tous exigibles et peuvent être tous calculés en considération
de cette date. La pratique souligne l’importance de distinguer dans le temps la chronologie
suivante : la date de consolidation et la date de règlement des indemnités à la victime. Entre
ces deux évènements, il y a lieu de calculer des arrérages échus(126).
B/ Le futur du dommage corporel.
90. Notions d’aggravation et d’amélioration de l’état de santé de la victime.
– La consolidation fixe la date de l’indemnisation définitive du dommage corporel. Elle doit
prendre en compte les préjudices futurs dans l’évaluation des indemnités versées à la victime.
Mais l’état de santé du patient ne peut être définitif au jour du prononcé de la date de sa
consolidation, il est possible que ce dernier s’aggrave et nécessite de réviser l’indemnisation
préalablement fixée. « Une aggravation est constituée dès lors que l’état dans lequel se trouve
la victime est différent de celui qui a servi de base à son indemnisation »(127). Plus surprenant,
mais tout à la fois justifiable sur le principe de la réparation intégrale du dommage,
l’amélioration de l’état de la victime peut-elle aussi faire l’objet d’une révision à la baisse de
l’indemnité allouée. Néanmoins, cette dernière hypothèse est exclue(128) : il ne faut pas
sanctionner la guérison de la victime car ce serait une solution absurde.
91. Appréciation médicale de l’aggravation ou de l’amélioration.
– L’autonomie du droit vis-à-vis de la médecine explique les difficultés rencontrées dans la
pratique. Il n’y a pas de définitions juridiques totalement identiques à celles médicales. Les
premières tendent à la quantification monétaire du dommage en fixant des critères
d’appréciation à travers une nomenclature des postes de préjudice, un barème d’évaluation
médical et une table de capitalisation. Les secondes offrent des critères rationnels, basés sur
les connaissances scientifiques et médicales de l’humain. C’est une science d’observation et
de diagnostique que le droit ne peut pas atteindre avec précision.
Ainsi, l’aggravation médicale du dommage corporel peut ne pas avoir de
répercussion sur sa quantification monétaire. « Il convient de bien différencier la variation de
la valeur monétaire du préjudice, qui est conséquence de l’inflation, et l’apparition d’un
préjudice nouveau, qui touche à la source de l’indemnisation »(129).
Donc l’aggravation du dommage corporel après le prononcé de la consolidation
ouvre droit à un complément d’indemnisation uniquement si elle correspond à un nouveau
chef de préjudice non préalablement réparé. Le mode de poursuite amiable ou judiciaire ne
fait aucune différence dans l’obtention d’une réparation complémentaire. L’aggravation va
consister en la découverte d’un nouveau poste après la consolidation que l’expert n’a pas pu
diagnostiqué au jour de son expertise médicale. La victime a un délai de 10 ans pour agir à
partir du jour de la manifestation de l’aggravation en vertu de l’article 2226, alinéa 1er du code
civil.
92. Dommage futur et autorité de la chose jugée.
– Un principe fondamental dans le droit moderne est celui de l’autorité de la chose jugée
assorti à tout jugement ou toute transaction. Une même espèce ne pourra être jugée qu’une
seule et unique fois, à moins qu’une demande nouvelle ne soit formée. Dans ce cas, la victime
fait une demande d’indemnisation pour un poste de préjudice nouveau. M. GOUT rappelle qu’au « jour de
l’évaluation des préjudices, par une décision judiciaire ou une transaction, le devenir du
dommage corporel est normalement pris en compte. Il importe en effet de prendre en
considération l’évolution prévisible du dommage »(130).
Ainsi, l’article L. 211-19 du code des assurances prévoit que « la victime peut, dans
le délai prévu par l’article 2226 du code civil, demander la réparation de l’aggravation du
dommage qu’elle a subi à l’assureur qui a versé l’indemnité ». La Cour de cassation(131) a
coutume de rappeler que « l’autorité de la chose jugée ne peut être opposée lorsque des
évènements postérieurs sont venus modifier la situation antérieurement reconnue en justice ».
M. GOUT constate alors qu’« incontestablement, la jurisprudence est incohérente dans le
domaine du dommage futur »(132).
La nomenclature est l’élément sur lequel repose l’ensemble de l’estimation des
dommages subis ainsi que l’assiette du recours des tiers payeurs. Elle doit être étudiée avec
attention et les postes qu’elle retient ne doivent pas porter à confusion ou réparer un dommage
doublement. Le barème médical unique aura pour effet de fixer une première estimation
monétaire du préjudice et sa gravité.
121 Colloque “Le dommage corporel conjugué à tous les temps”, Chambéry, le 4 février 2011 ; L.
CLERC-RENAUD, F. BIBAL, E. de La LANCE, D. MALICIER, Discussion autour de la consolidation, Gaz. Pal,
n°99, p. 30 et s.
122 Rapport du groupe de travail chargé d’élaborer une nomenclature des préjudices corporel, dirigé par
J.-C. DINTILHAC, La documentation française, Juillet 2005
123 Colloque “Le dommage corporel conjugué à tous les temps”, Chambéry, le 4 février 2011 ; L.
CLERC-RENAUD, F. BIBAL, E. de La LANCE, D. MALICIER, art. préc.
124 Colloque “Le dommage corporel conjugué à tous les temps”, Chambéry, le 4 février 2011 ; L.
CLERC-RENAUD, F. BIBAL, E. de La LANCE, D. MALICIER, art. préc.
125 Colloque “Le dommage corporel conjugué à tous les temps”, Chambéry, le 4 février 2011 ; L.
CLERC-RENAUD, F. BIBAL, E. de La LANCE, D. MALICIER, art. préc.
126 V. l’arrêt de principe Cass. Crim., 25 févr. 1986, n° 83-94544.
127 Lamy Assurance 2011, n° 2764.
128 Arrêt de principe : Cass. Req. 30 déc. 1946 : JCP 1947.II.3500 ; D. 1947.178 ; RGAT, 1947, p. 181,
note A. Besson ; Gaz. Pal. 1947, p. 183.
129 Colloque “Le dommage corporel conjugué à tous les temps”, Chambéry, le 4 février 2011 ; O. GOUT,
Le futur du dommage : aggravation et amélioration, Gaz. Pal. n° 99, p. 21 et s.
130 Colloque “Le dommage corporel conjugué à tous les temps”, Chambéry, le 4 février 2011 ; O. GOUT,
Le futur du dommage : aggravation et amélioration, Gaz. Pal. n° 99, p. 21 et s.
131 Cass. Civ 3e, 25 avril 2007, n° 06-10662 ; Bull. civ. 2007, III, n° 59 ; AJDI 2007.671, obs. R.
HOSTIOU ; D. 2007.2427, obs. N. FRICERO.
132 Colloque “Le dommage corporel conjugué à tous les temps”, Chambéry, le 4 février 2011 ; O. GOUT,
Le futur du dommage : aggravation et amélioration, Gaz. Pal. n° 99, p. 21 et s.
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