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§2 – Obligation de conseil et arbitrage

L’assureur porte une obligation de conseil à l’instar de celle qui pèse sur le banquier,
désormais tenue, comme intermédiaire entre l’assureur et le client, de conseiller l’adhérent en
cas d’inadéquation entre les risques couverts par l’assurance groupe emprunteur qu’il a
souscrite et sa situation personnelle(162).

Le souscripteur peut être tenté d’assigner l’assureur en réparation du préjudice subi sur le
fondement du défaut de conseil. Le principe d’une telle responsabilité est admis par la
jurisprudence163. « Cette voie est rarement fructueuse, dès lors qu’il est établi que le choix du
contrat n’est pas contraire au profil de risque du client et que la compagnie d’assurance avait
informé le souscripteur de l’existence du risque financier. »164.
Désormais, l’ordonnance du 30 janvier 2009 aligne le devoir de conseil des compagnies
d’assurances et des intermédiaires d’assurances sur celui du secteur financier issu de la
transposition de la directive relative aux Marchés d’instruments financiers. Le récent article
L132-27-1, à effet du 1er juillet 2010, aménage une obligation de conseil à la charge de
l’assureur (à défaut d’un tel conseil apporté par l’intermédiaire d’assurances) préalable au
contrat selon sa situation financière et ses objectifs de souscription, conseils adaptées à la
complexité du contrat (en une forme d’obligation proportionnelle).
Le Décret n° 2010-933 du 24 août 2010 relatif au devoir de conseil et à certaines opérations
de prévoyance collective et d’assurance165 précise les conditions d’application du devoir de
conseil et de mise en garde de l’assureur, savoir formulé par écrit sur support papier ou tout
autre support durable facilement accessible, avec clarté et exactitude (entendons de manière
intelligible pour le prospect concerné).
Après avoir évoqué les sources de la récente obligation de conseil mise à la charge de
l’assureur, il convient de s’attacher à certaines problématiques qui illustrent les questions
soulevées par l’arbitrage, auxquelles se confrontent les parties au contrat.

A/ Définition d’un profil d’arbitrage

– L’autorité de contrôle prudentiel (la récente ACP commune désormais aux secteurs bancaire
et assurantiel) veille au respect par les intermédiaires en opérations d’assurances (au nombre
desquels les courtiers), de leur obligation166 de formaliser par écrit leurs conseils avant la
conclusion du contrat, en mentionnant (Art. L. 520-1 II 2°) les besoins et exigences du
candidat à l’assurance, les conseils, les précisions relatives aux besoins et exigences du client
et à la motivation du conseil qui devra reposer sur les informations communiquées par le
souscripteur et être adaptée à la complexité du contrat proposé. L’assureur porte désormais
cette responsabilité à défaut d’intervention d’un intermédiaire dans le processus de
souscription.

Dès lors que l’intermédiaire se revendique objectif pour analyser le marché sans lien
d’exclusivité ou de financement trop important avec certaines compagnies d’assurance, son
analyse devra se fonder sur un nombre suffisant de contrats, et ses liens de dépendance par
rapport aux sociétés d’assurance sont nécessairement précisés au client au-delà de certains
seuils.
En pratique, certains professionnels de l’assurance, estimant selon le dicton que qui peut le
plus peut le moins, se conforment aux exigences de la législation financière en la matière, ce
qui peut néanmoins induire une responsabilité accrue du professionnel : il peut être tenu
d’orienter d’autant mieux son client qu’il est dépositaire d’un nombre élevé d’informations.
– Le délégataire de la faculté d’arbitrage devra, quant à lui, établir une cartographie du profil
de son client afin de déterminer sa connaissance des marchés financiers, sa disponibilité pour
gérer son épargne et son contrat, son horizon de placement (la date à laquelle les fonds
peuvent devoir redevenir liquides), son aversion au risque ainsi que ses objectifs patrimoniaux
(constituer un capital pour la retraite, valoriser, se procurer des revenus, transmettre, etc. )
L’objectif sous-tendu par la détermination du profil consistant à proposer un contrat et des
choix d’arbitrage adaptés, le cas échéant.(167)
Les solutions relatives au devoir de conseil du banquier en matière d’assurance crédit peuvent
être reprises pour l’assurance vie dans la mesure où les obligations de conseil des assureurs et
leurs intermédiaires sont comparables en substance :
La jurisprudence apprécie la situation concrète des souscripteurs (leur expérience, leur
disponibilité, leurs compétences, leurs ressources, leur âge en relation avec l’espérance de vie,
etc…) et la qualité de l’information et du conseil délivrés (selon s’il est trop abstrait ou
énoncé dans un langage accessible) ainsi que leur régularité (sans toutefois retenir une
obligation d’alerter le client immédiatement d’une baisse des supports)168. Elle précise que
« l’appréciation de l’obligation de conseil doit être faite en fonction des connaissances du
cocontractant et de ses capacités à comprendre l’étendue de ses engagements ». Et encore
que “la pertinence et l’exactitude du conseil s’appréciant au moment où le conseil est donné
par référence au comportement d’un professionnel normalement diligent et avisé en fonction
des connaissances du contractant et de ses capacités à comprendre l’étendue de son
engagement”.
La question qui demeure la plus délicate consiste à déterminer le préjudice subi par le
souscripteur déçu. Dans l’arrêt récent qui nous sert d’étalon, le pourvoi niait jusqu’à l’existence
même d’un préjudice : « à supposer l’existence d’une faute, le préjudice […] est
hypothétique, la durée du contrat ayant été fixée à dix ans […] ; tant que le contrat n’est pas
dénoué, les capitaux investis évoluent en fonction des supports choisis de sorte qu’il n’est pas
démontré l’existence d’un préjudice certain ».

Ce n’est toutefois pas la solution adoptée par la Haute Juridiction, qui estime qu’« un préjudice
futur n’en est pas moins indemnisable quand son caractère virtuel est comme en l’espèce
démontré, la perte de chance d’obtenir un résultat financier meilleur ou à tout le moins
catastrophique étant acquise »(169) Si la perte d’une chance est certaine, c’est le montant de
l’indemnisation qui sera laissé à l’appréciation du juge, et plus sujette à discussion : le montant
des dommages intérêts ne compensera pas la perte de valeur subie par le souscripteur par
rapport au versement de ses primes.

B/ Obligation de conseil et frais d’arbitrage

L’opportunité d’arbitrer dépend des frais d’arbitrage qui grèvent le contrat au titre de ces
allocations. L’information relative à ces frais doit figurer au contrat, et fait l’objet d’une
obligation plus générale d’information loyale – est-ce dire que l’assureur devra attirer
l’attention de chaque souscripteur, en fonction de sa situation, sur l’incidence de ces frais sur
les différentes solutions qui s’offrent à lui ? Que l’obligation de conseil porte sur le coeur de
métier de l’assureur, certes, donc sur l’adéquation du contrat et ses caractères essentiels avec le
client ; sur l’opportunité d’oeuvrer à des arbitrages, peut-être, mais sur les rémunérations des
différents intervenants appelés à intervenir, cela semble lourd mais pèse à tel point sur la
performance que cela paraît être la voie à suivre.
C’est encore M. GUIDONI170, Médiateur de l’AMF, qui soulève à ce propos la problématique
des frais de surperformance pour les contrats en baisse. Il s’agit d’une rémunération acquise au
gestionnaire qui aura recommandé l’arbitrage en faveur d’une valeur qui “surperforme” le
marché en affichant une progression plus forte que le marché dans son ensemble, en
comparaison avec un indice de référence. C’est la pratique dite du benchmarking. Il est
fréquent que les gérants s’octroient ainsi une partie (entre 10 et 15 %) des gains réalisés. Cette
rémunération reste acquise quand bien même la valeur globale de la créance du souscripteur
contre l’assureur aurait perdu de la valeur, ce que le client a des difficultés à admettre :
Comment peut-on se satisfaire d’une performance supérieure au benchmark qui aurait luimême
baissé significativement ?
Même informé de ces subtilités, le client pourrait revendiquer un véritable conseil à ces sujets,
afin d’arbitrer ou de déléguer l’arbitrage en toute conscience. C’est la jurisprudence qui fixera
la limite de cette obligation, en estimant les abstentions fautives et la consistance du
préjudice.

C/ Obligation de conseil et situation fiscale

Incidence essentielle sur le contrat, la fiscalité fait-elle également partie du périmètre du
devoir de conseil ? – tout en sachant que le conseil fiscal fait partie du périmètre d’activité
réservé aux seuls avocats en qualité de profession réglementée -.
– Illustrons la problématique de la fiscalité sur les choix d’arbitrage par la question actuelle
des problématiques d’imposition de solidarité sur la fortune (ISF), qui peuvent se poser pour
une partie de la clientèle des contrats d’assurance vie multisupports. Rappelons qu’en matière
d’assurance vie, l’ISF grève essentiellement les patrimoines de contribuables ayant souscrit
des contrats rachetables.
A titre d’exemple, le conseiller pourra être amené à suggérer à un souscripteur redevable de
l’ISF l’arbitrage d’une partie de la performance du contrat dans un compartiment particulier
non rachetable pendant quelques années, dit « bonus de fidélité »171, qui se distingue de la
garantie principale : la valeur de ce bonus n’est pas intégrée à la base taxable au titre de l’ISF,
faute d’être rachetable car elle n’est acquise au souscripteur qu’au terme de la période de
fidélité fixée.
– Autre cas de figure, la place a pu s’interroger récemment sur l’évolution du contexte fiscal à
l’égard des contrats collectifs en euros diversifiés172 en vertu desquels les adhérents
s’interdisent contractuellement le rachat de provisions dites “de diversification” (par
opposition aux provisions mathématiques). Une instruction fiscale (qui ne fait pas droit) du
4 janvier 2010 (7 S 4-10) précise que la clause de non-rachat temporaire « ne remet pas en
cause l’existence d’une créance dans le patrimoine du souscripteur, y compris durant la
période d’indisponibilité » – ce qui implique que la valeur, liquide, de cette créance devra être
intégrée dans l’assiette taxable de l’ISF (885-E et F du Code général des impôts). Quelle
position les compagnies d’assurance devront-elles adopter, dès lors que ces produits ont pu
être promus notamment au regard de la fiscalité attractive pour les souscripteurs de moins de
soixante-dix ans173? Le devoir de vigilance exige-t-il qu’alors même que la décision de
l’administration fiscale ne ferait pas grief, ils alertent leurs clients sur la nécessité de déclarer
ces créances au titre de l’ISF ? Ou proposer à l’arbitrage dans ces contrats un compartiment à
bonus (lui-même défiscalisé pour ne constituer qu’une créance conditionnelle174) ?
L’obligation de conseil impose probablement d’attirer l’attention du souscripteur sur le risque
de perte de l’avantage fiscal tiré de l’allocation initiale : comme par exemple si l’arbitrage fait
franchir à la baisse le seuil minimum de détention de tels actifs définis légalement, dans les
contrat prévoyant une certaine ventilation de l’actif.

C’est le cas des contrat DSK et NSK qui “doivent respecter certaines règles d’investissement :
l’épargnant investit une fraction de ses économies sur des supports dont l’allocation doit être
obligatoirement investie en partie en actions. En contrepartie du respect de cette allocation,
les produits de ces bons ou contrats sont exonérés d’impôt sur le revenu, lorsqu’ils sont
souscrits depuis au moins huit ans. Pour éviter la perte de cet avantage fiscal, l’arbitrage ne
doit pas porter atteinte aux règles relatives aux quotas d’investissement obligatoires calculés
globalement sur l’ensemble du contrat. »(175)

§ 3 – Vers un devoir de mise en garde ?

La Cour de cassation a pu sembler assimiler, dans un arrêt récent, obligation d’information et
devoir de conseil, sans se référer à la situation personnelle du souscripteur176, ce qu’une partie
de la doctrine estime “tout à fait regrettable” (S. ABRAVANEL-JOLLY). Quid du “conseil
négatif” appelé de ses voeux par C. WILLEMS, favorable à la “dissuasion contractuelle”177 ?
A l’image du banquier dispensateur de crédit désormais tenu de mettre en garde son client
emprunteur sur l’adéquation entre les risques couverts par l’assurance groupe emprunteur qu’il
a souscrite et sa situation personnelle178, l’assureur179, l’intermédiaire en opérations
d’assurances180 ou le souscripteur d’une assurance collective181 est-il tenu de mettre en garde
le client sur l’inadéquation entre ses choix d’arbitrage et sa situation ?
Ceci implique à la fois qu’il se maintienne informé de la situation patrimoniale du souscripteur
et de ses perspectives, et des choix d’arbitrage qu’il opère, et qu’il tire la sonnette d’alarme
quand sont franchis les seuils qu’il aura fixés en conséquence – ce qui implique une démarche
plus que réactive, “proactive” pour utiliser un néologisme explicite (l’assureur doit
s'”enquérir” des informations utiles et, à défaut, mettre en garde le preneur d’assurance).

161 Civ 1°, 13 mai 2008, RG 1A 07/04584
162 Ass. Plen, 2 mars 2007, RCA 2007 chronique 8 : posant le principe selon lequel le banquier doit éclairer
l’emprunteur sur l’adéquation des risques couverts à la situation personnelle de l’emprunteur [la remise de la
notice étant insuffisante à apporter cette preuve.
163 Cass. 2ème civ., 3 juin 2010, pourvoi n° 09-15580, note de S. GOSSOU, PG MARLY Banque et droit 2010,
n°132, p.40
164 M. LEROY, maître de conférence, Assurance vie : que faire en cas de perte sur son contrat ?
http://www.michel-leroy.fr/ 14 juin 2010 à 17:17 relativement à Cass. 2ème Civ., 03 juin 2010, n° 09-15580
165 JO du 25 août 2010
166 issue de la loi 2005-1564 du 15 décembre 2005, JO 292 du 16 décembre 2005, transposant la Directive
européenne 2002/92/CE du 9 décembre 2002.
167 Voir une illustration de questionnaire, en annexe
168 Com. 6 juillet 2010, pourvoi 09-13.4565
169 1147 du Code civil
170 in : N. DUCROS, “Assurance vie/Gestion sous mandat – une pratique non exempte de risques pour les
assureurs”, L’Agefi Actifs N° 423, 04/12/2009 Précité
171 R331-5 al. 2
172 L 142-1 et 8
173 M LEROY précité
174 M. LEROY, « Les contrats anti-ISF »,12/01/2010, blog
175 M LEROY, “A propos de l’arbitrage”, http://www.michel-leroy.fr/2010/08/25/a-propos-delarbitrage.
html?utm_source=rss&utm_medium=rss&utm_campaign=a-propos-de-larbitrage, 25 août 2010 à
11:48
176 RGDA 2009 n°2, 2è Civ, 12 mars 2009, pourvoi 08-15322 précité
177 Dr. et Patrimoine 2002, n° 1109, p. 32
178 Ass. Plen, 2 mars 2007, RCA 2007 chronique 8 : posant le principe selon lequel le banquier doit éclairer
l’emprunteur sur l’adéquation des risques couverts à la situation personnelle de l’emprunteur [la remise de la
notice étant insuffisante à apporter cette preuve]
179 Le récent article L132-27-1 aménage une obligation de conseil à la charge de l’assureur (à défaut d’un tel
conseil apporté par l’intermédiaire d’assurances) préalable au contrat selon sa situation financière et ses
objectifs de souscription, conseils adaptées à la complexité du contrat.
180 L 520-1
181 J. KULLMANN estime que le devoir de conseil du souscripteur d’assurance collective élaboré par la
jurisprudence est désormais “dû aux adhérents quelles que soient leurs qualités personnelles”

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