Avant tout, il est nécessaire de rappeler au lecteur les différents acteurs et concepts théoriques qui ont permis le développement de l’Approche Processus.
Tout d’abord, pourquoi l’Approche Processus s’est-elle imposée ?
Jusqu’à l’aube des années 70, beaucoup d’entreprises sont organisées selon un modèle de type Taylorien, adapté à un environnement où la demande est supérieure à l’offre. La concurrence n’est pas mondialisée et les ressources sont facilement accessibles. Pendant cette période faste de croissance rapide, pour beaucoup d’entreprises, il suffit de produire pour s’assurer un développement parfois exponentiel et la fructification des capitaux.
Dans ce contexte d’économie en surchauffe, la performance opérationnelle n’est pas toujours spécialement recherchée. Les produits se vendent bien et les actionnaires sont satisfaits alors pourquoi chercher plus loin ?
Effectivement, pour beaucoup d’entreprises, le modèle de pilotage utilisé consiste à surveiller principalement des macro-indicateurs économiques liés à la rentabilité et à la croissance (ce que dénomme R. Demeestère en 1995, comme un “référentiel de rentabilité”) En schématisant, si les composantes financières de l’entreprise sont satisfaisantes (Chiffre d’Affaires, Résultat), aucune investigation organisée ne semble nécessaire puisque globalement, les seuls éléments factuels disponibles sont satisfaisants. Cependant, certaines parties déficientes de l’organisation peuvent pénaliser, de façon masquée, le résultat global de l’entreprise sans qu’il soit possible de réellement matérialiser ces dérives.
La survenance du 1er choc pétrolier change la donne.
A partir de 1974, l’environnement économique glissant vers une situation de crise, les entreprises sont dans l’obligation de repenser progressivement leur mode de gestion.
Les organisations doivent être plus efficaces et plus efficientes afin de pouvoir se développer dans un contexte difficile :
– La concurrence exacerbée devient mondialisée (Marché commun, Low-Cost Countries d’Europe, puis d’Asie) avec pour conséquence une abondance de produits et des marges en baisse ;
– Les énergies deviennent chères ;
– Les contraintes sociales, règlementaires et environnementales sont grandissantes.
Face à un environnement changeant, l’approche taylorienne traditionnelle n’est plus adaptée :
– Les ressources humaines sont sollicitées de telle manière que les acteurs ne peuvent plus être réduits à la simple réalisation de tâches dans un temps imparti : la proactivité, la participation au groupe de résolution de problèmes, la délégation d’une partie des responsabilités au niveau de la production, demandent un management différent du mode mécaniste pensé par Taylor ;
– Les produits sont customisés / personnalisés sur des séries plus courtes (flux tirés) : cela demande une flexibilité, une adaptabilité et des compétences supérieures de la part des hommes et des processus de l’entreprise.
– La séparation des tâches et des services n’est plus de mise : les cycles de développement courts et les produits complexes demandent une approche multidisciplinaire et une collaboration efficace des compétences mises en œuvre. Les activités de Conception, de Développement, de Production et de Logistique doivent interfacer parfaitement les unes les autres, mais aussi avoir un support toujours plus proactif des Achats, des Ressources Humaines et de la Qualité. Cela demande donc de mettre en œuvre une organisation transversale où les interactions sont définies de façon aussi précise et fiable que possible. Le tout étayé par une vision claire, à la fois de la stratégie globale de l’entreprise, mais aussi de la valeur ajoutée de chaque processus composant l’organisation.
A la charnière des années 70 et 80, beaucoup d’entreprises sont donc amenées à repenser la structure de leur organisation interne afin de l’adapter à ce nouvel environnement.
C’est probablement pour cela, qu’à partir de cette époque, l’Approche Processus va intéresser un public d’étudiants, de chercheurs et de managers sans cesse grandissant. A tel point d’ailleurs, qu’en 1998, le concept est intégré au projet de l’ISO9001-2000 allant servir, au cours de la décennie à venir, de modèle de système de management pour plus d’un million d’entreprise dans le monde.
En fait, qu’appelle-t-on exactement l’Approche Processus ?
Le concept initial a été développé par un chercheur autrichien ayant émigré aux Etats-Unis : Ludwig Von Bertalanffy.
Dès 1951, ce chercheur, à travers un article majeur publié dans la revue Human Biology sous le titre “General Systems Theory” énonce un concept novateur de “complexe d’éléments en interaction” posant les bases de l’Approche Processus.
L’idée d’un système de processus interagissant entre eux, n’est pas tout à fait une création ex-nilo de Bertalanffy. Ce dernier s’est appuyé sur plusieurs penseurs et philosophes (parfois anciens) qui avaient déjà tracé certaines des grandes lignes du concept, à commencer par Blaise Pascal qui dans “Les Pensées, XII/414” proposait en 1657 :
“Donc, toutes choses étant causées et causantes, aidées et aidantes, médiates et immédiates, et toutes s’entretenant par un lien naturel et insensible qui lie les plus éloignées et les plus différentes, je tiens impossible de connaître les parties sans connaître le tout, non plus que de connaître le tout sans connaître particulièrement les parties”.
Après Pascal et Bertalanffy, ce concept de “système” a été ultérieurement complété en 1975 par Joël de Rosnay qui écrivait : “un système est un ensemble d’éléments en interaction dynamique, organisés en fonction d’un but” (Le macroscope – page 101, Editions du Seuil).
Nonobstant les contributions de ses illustres prédécesseurs, il est cependant possible d’affirmer que la “General Systems Theory” telle que l’a énoncée Bertalanffy en 1951, a développé et popularisé le concept de “système” en l’adaptant à l’approche scientifique du 20ème siècle…
Ce concept, initialement pensé par Bertalanffy comme un modèle universel pouvant s’appliquer autant à des objets inanimés qu’à des programmes informatiques, a ensuite été identifié comme un modèle pouvant être décliné en principe de management pour les entreprises. Cette translation vers la sphère des sciences de l’organisation a été réalisée par les travaux d’un chercheur du Massachussetts Institut of Technology : Jay W. Forrester.
Ce dernier fait paraître en 1961 un ouvrage titré “Industrial dynamics” qui est le trait d’union fondateur, entre la Théorie Générale des Systèmes et le monde de l’entreprise.
Concrètement, pour Forrester, l’entreprise n’est plus à considérer comme un tout mais comme un système composé de sous-systèmes (les processus) s’influençant mutuellement à travers des interactions et ayant leurs objectifs propres mais travaillant de concert vers un but commun.
Pour ce faire :
– Le système est nourri par des données d’entrées (inputs). Il peut s’agir par exemple de ressources financières et/ou de matières premières, d’exigences techniques ou sociales.
– Le système ventile en son sein les différents inputs vers les sous-systèmes le composant. Les sous-systèmes réalisent alors leurs activités en interagissant les uns les autres.
– Le système produit des données de sorties (outputs). Il peut s’agir par exemple d’un produit ou d’un service.
– La performance des activités individuelles des sous-systèmes et des interactions les unissant, détermine l’efficacité et l’efficience globale du système.
Déclinée pour les organisations, la force de l’Approche Processus, est donc de dire :
– Ne regardons plus l’organisation seulement comme un tout,
– Ne regardons pas, non plus, l’organisation comme un regroupement d’activités autonomes,
– Regardons plutôt l’organisation comme un ensemble composé d’entités corrélées interagissant entre elles et intéressons-nous en particulier à la “qualité” de ces interactions car c’est de ces dernières dont va dépendre la performance organisationnelle de l’entreprise.
En pratique, cette partition du système en sous-systèmes, appelés aussi processus, permet d’en étudier les interactions et de comprendre comment est réalisée l’atteinte du but commun. Ceci permet donc, non seulement de s’assurer de la maîtrise du résultat global, mais aussi de visualiser clairement les résultats de chaque secteur de l’entreprise.
En 1973, dans leur ouvrage de référence, Les systèmes de gestion (PUF), Pierre Tabatoni et Pierre Jarniou, souscrivent à cette approche et écrivent :
“Il apparaît effectivement que la théorie des systèmes doit permettre de mieux comprendre et maîtriser le fonctionnement des Organisations, de dépasser les théories de la Bureaucratie ainsi que les analyses économiques classiques de la Firme”.
Les définitions fournies par la littérature peuvent par ailleurs nous aider dans la compréhension du concept :
Pour commencer, l’ISO 9000 nous donne la définition suivante :
“L’identification et le management méthodiques des processus utilisés dans un organisme, et plus particulièrement les interactions de ces processus, sont appelés «l’Approche Processus»”.
De façon plus élaborée, l’ISO9001 §0.2 précise :
“L’Approche Processus désigne l’application d’un système de processus au sein d’un organisme, ainsi que l’identification, les interactions et le management de ces processus en vue d’obtenir le résultat souhaité. L’un des avantages de l’Approche Processus est la maîtrise permanente qu’elle permet sur les relations entre les processus individuels au sein du système de processus, ainsi que sur leurs combinaisons et interactions”
Certains auteurs complètent le propos et nous livrent leur vision personnelle de l’Approche Processus :
“L’Approche Processus est une méthode d’analyse et de modélisation. Elle consiste à décrire de façon méthodique une organisation ou une activité, généralement dans le but d’agir dessus” (H. Brandenburg – J-P Wojtyna, 2006).
L’Approche Processus “Consiste à considérer l’organisme comme un ensemble de petits organismes qui contribuent à réaliser un même produit ou un même service”. (M.Catan, 2005)
Pour R. Demeestère (1995), l’Approche Processus consiste “à repérer les contributions que peut apporter chaque activité (…) à la création de valeur par l’entreprise.
Enfin, P. Lorino nous rappelle : “La description en terme de processus regroupe et agence les activités selon une logique de finalité”. (RFG, 1995, page 55)
Cette nouvelle approche présente effectivement de nombreux avantages dont celui, majeur, de ne plus se contenter des performances globales du système mais d’analyser également les performances des sous-systèmes, les processus, et de leurs interactions.
L’intérêt étant que par l’amélioration des parties et de leurs interactions on augmente la performance du tout.
Les entreprises mettant en application ce principe peuvent donc :
– Identifier aisément les composantes (les processus) de leurs organisations les moins efficaces dans la réalisation de leurs activités ;
– Traiter les dérives ;
– Améliorer le résultat global.
En synthèse, l’évolution proposée est donc de translater d’une vision de l’entreprise comme ceci :
Vers une vision comme cela :
Avec l’Approche Processus, les performances internes sont matérialisées, les processus faibles sont traités, les processus forts renforcés. Par l’amélioration de ses composantes, le résultat global de l’organisation est amélioré.
Si nous voulions donc faire une synthèse des différentes notions et définitions qui nous sont offertes par la littérature, nous pourrions écrire :
L’Approche Processus consiste à considérer l’entreprise comme un système composé de sous-systèmes (processus), s’influençant mutuellement à travers des interactions et ayant leurs objectifs propres mais travaillant de concert, vers un but commun.
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