18. Vocabulaire propre.
– Toute discipline a son vocabulaire spécifique et technique. Les notions de dommage et de
préjudices doivent être distinguées (A). La réparation du dommage corporel mêlant à la fois la médecine,
l’économie et le droit, les concepts qu’elle utilise sont plus complexes à définir (B).
A/ Distinction fondamentale entre les notions de dommage et de préjudice.
19. Distinction du langage juridique.
– Dans le langage courant, les termes de dommage et de préjudices sont considérés comme synonymes.
Le Littré41 donne la définition suivante du mot dommage : « Préjudice ou dégât causé à quelqu’un, à quelque chose ».
Quant au terme préjudice, il se définit comme « tort, dommage »(42).
Le langage juridique(43) est spécifique et technique. Une partie de la doctrine(44) a prôné
« la reconnaissance d’une distinction conceptuelle entre dommage et préjudice »(45) pour faire
apparaître une nuance claire entre les deux mots. Le professeur Brun justifie cette distinction
de cette façon : « Il reste qu’à dissocier le dommage (atteinte matérielle), et le préjudice,
(conséquence juridique de cette atteinte), on fait justice au second de sa vraie nature, en
même temps qu’on réhabilite une exigence de raison une exigence de raison souvent
critiquée, mais jamais abolie, qui doit contribuer à fixer les bornes du préjudice réparable :
la lésion d’un intérêt protégé »(46).
20. Notion de dommage.
– Le dommage peut être de trois types : matériel, corporel ou moral. Le dommage corporel est donc l’atteinte
portée à l’intégrité d’une personne ou d’une chose. C’est le fait matériel de l’accident, le siège du dommage.
21. Notion de préjudice.
– Suite à l’atteinte physique, il va s’en suivre des conséquences « patrimoniales (diminution de la valeur du
patrimoine, perte de revenus, etc.) ou extrapatrimoniales (souffrance physique ou morale, essentiellement) »(47) : les
préjudices subis. L’intérêt de la barémisation repose sur l’ensemble de ces préjudices(48) : ils
vont déterminer exactement ce à quoi la victime peut légitimement espérer. Il existe plusieurs
sortes de préjudices : ils peuvent être matériels, immatériels, physiques, psychologiques ou
bien physiologiques par exemple.
Classiquement, le préjudice requiert la réunion de plusieurs critères pour donner lieu
à réparation. Il doit être actuel, direct et certain. Le professeur BRUN précise que « la victime
doit en principe exciper en outre de la lésion d’un intérêt légitimement protégé »(49). La
logique voudrait ne réparer que les préjudices effectifs au jour de leur évaluation, mais la
jurisprudence autorise la réparation du préjudice futur s’il est prévisible à court terme. Le
caractère direct du préjudice renvoie au lien de causalité entre le fait dommageable et le
préjudice subi par la victime(50). Par préjudice certain, cela induit qu’il est impossible
d’indemniser un risque de dommage à moins que l’exposition à ce risque soit en elle-même
une source de dommage. Quant à la licéité du préjudice51, ce critère est controversé en
doctrine(52) ; la réparation est refusée car l’intérêt prétendument lésé n’est pas reconnu par le
droit.
L’enjeu de l’élaboration d’une nomenclature des postes de préjudices s’avère donc
être capital pour le bien de la communauté. Avant toute estimation monétaire des
conséquences du dommage corporel, la fixation de postes avec une définition claire sécurisera
la situation des victimes. Elle garantira une prise en considération égale en droit.
B/ Complexité terminologique des concepts utilisés en la matière.
22. Sciences et droit.
– Le propre de l’évaluation du dommage corporel est de mêlé des éléments de fait scientifique et de droit.
Les sciences physiques peuvent être universelles, elles sont des sciences dures par définition.
Les vérités qu’elles délivrent sont le fruit de la connaissance humaine en la matière. L’approfondissement
des connaissances actuelles de la médecine conduit à son amélioration. La médecine a évolué de façon
spectaculaire ces dernières décennies. De nouveaux traitements sont découverts au quotidien,
les malades survivent mieux qu’auparavant. La science a cette certitude que le droit n’a pas.
Mouvant par nature, le droit est une science molle. Les concepts qui étaient à l’honneur le
siècle dernier ne le sont plus forcément aujourd’hui. Le droit s’adapte en permanence à la
société dans lequel il est appliqué. Le juriste, confronté au médecin et à l’assureur, doit
s’assurer que la personne qu’il représente sera indemnisée à la juste valeur de ses préjudices
subis.
23. Traduction juridique de faits subjectifs.
– La majeure difficulté tient à l’appréciation de faits non juridiques difficilement quantifiables
par la médecine même. Cette situation se rencontre à chaque fois que l’évaluation du dommage subi
implique une appréciation subjective de l’évènement. Le meilleur exemple est celui de la douleur.
La sensibilité de chaque personne est unique à cause de la personnalité de chacun. La victime A
ayant subi un accident similaire à la victime B ne ressentira pas nécessairement la même
douleur : A ne la supportera pas alors que B en ressentira très peu. Cependant, est-ce une
raison pour ne pas indemniser la douleur du patient ? Une réponse négative est à prévaloir :
l’utilisation d’un barème médical permettra d’évaluer la douleur ressentie de la façon la plus
scientifique possible. Le doute reste entier malheureusement quant à la véracité des faits
déclarés. Encore faut-il prévoir la douleur comme un poste de préjudice autonome.
La notion de qualité de vie fait aussi partie de ces concepts propres à la réparation du
dommage corporel. Comment la définir et que représente-t-elle ? Est-elle indemnisable au
même titre qu’un autre poste de préjudice plus « classique » ? La permanence du
questionnement du juriste face à ces éléments de faits actuels ou bien futurs ne peut laisser
indifférent. Une mère de famille élevant des enfants sera-t-elle autant ennuyée dans son
quotidien de tâches ménagères qu’une jeune femme étudiante ? L’intérêt d’une barémisation
du dommage corporel se déduit facilement. Pour être le plus clair possible, cette branche du
droit doit définir avec précision les concepts qui lui sont propres par une définition au
minimum, proposer son mode d’évaluation selon des critères scientifiques et, enfin, organiser
un mode de calcul des indemnités lui correspondant.
Les exemples d’appréciation de faits subjectifs sont nombreux, peuvent être cités le
préjudice d’agrément, le préjudice esthétique, le préjudice d’établissement et bien d’autres
encore. La nomenclature dressée par le groupe DINTILHAC en 2005 sur les postes de
préjudices réparables est remarquable(53) sur ce point.
24. OEuvre jurisprudentielle et concepts spécifiques.
– Pour les besoins de prise en considération des éléments médicaux de l’évaluation du dommage corporel, la
jurisprudence a dû créer de nouveaux concepts afin d’affiner le plus possible le travail
d’évaluation de l’expert. En proposant des définitions, les juges du fond, souverains en la
matière, ont contribué largement à l’évolution de cette branche du droit. Face aux lacunes de
la législation en vigueur, la jurisprudence a su palier aux manques en définissant elle-même
les concepts nouveaux de la réparation du dommage corporel. Cette adaptation du droit aux
connaissances techniques a contribué à l’évolution de la matière : elle reste libre d’évoluer au
fil du temps.
Le danger d’une théorisation de l’évaluation du dommage corporel ici serait de figer
le droit en plein évolution. L’oeuvre de la jurisprudence n’est plus à démontrer, il ne faut pas
la sanctionner en proposant des définitions légales trop restrictives sans aucune possibilité
d’adaptation. La cristallisation du droit actuel ne devra pas enrayer l’opportunité de découvrir
de nouveaux types de préjudices dont les connaissances scientifiques et techniques n’ont pas
encore conscience.
La réparation du dommage corporel est donc une jeune branche du droit civil qui
s’est remarquablement développée ces dernières décennies, au point d’être présentée comme
un droit à part. Sa spécificité n’a fait que compliquer les notions et les concepts qu’elle
utilise : elle mélange des notions de droit et des connaissances scientifiques et techniques. Il
faut garantir un rapprochement du judiciaire et de la médecine pour estimer au mieux le
dommage et ses répercussions sur la vie de la victime. La pratique connait au quotidien des
difficultés d’estimation des préjudices de la victime.
41 Le Littré en ligne, http://littre.reverso.net/dictionnaire-francais/definition/dommage
42 Le Littré en ligne, http://littre.reverso.net/dictionnaire-francais/definition/préjudice
43 Pour aller plus loin, V. F. LEDUC, Faut-il distinguer le dommage et le préjudice ? : point de vue
privatiste, RCA 2010, n° 3, dossier 3.
44 Notamment L. CADIET, R. RODIÈRE, N. DEJEAN DE LA BÂTIE et Ph. LE TOURNEAU.
45 J.-S. BORGHETTI, Les intérêts protégés et l’étendue des préjudices réparables en droit de la
responsabilité civile extra-contractuelle,Mélange VINEY, LGDJ, 2008, p. 145 et s.
46 Ph BRUN, op. cit., n°174.
47 J.-S. BORGHETTI, art. préc.
48 Bien que l’auteur ait distingué les deux notions, ces deux mots seront employés comme synonymes.
49 Ph BRUN, op. cit., n°177.
50 Pour la distinction entre victime principale et victime par ricochet, V. infra n° 77.
51 Pour de plus amples développement sur la notion de licéité du préjudice, V. Ph BRUN, op. cit., n°187
et s.
52 Notamment M. PUECH.
53 Pour de plus amples développement sur ce point, V. infra n° 72 et s et Annexe 1 liste des postes de
préjudices accompagnés de leur définition de la nomenclature dite DINTILHAC.
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