La « mise en circulation »(83) est une notion issue de la loi de transposition(84) de la
directive du 25 juin 1985(85). La directive, qui emploie ce terme à plusieurs reprises, ne le
définit pas. Seul l’article 1386-5 alinéa 1er du Code civil en donne une définition succincte :
« Un produit est mis en circulation lorsque le producteur s’en est dessaisi volontairement ».
Le dessaisissement du producteur correspond à sa décision de mettre le produit sur le
marché(86). Pour certains auteurs, mise en circulation et livraison sont similaires. « Par
dessaisissement, il faut entendre la perte pour le producteur du pouvoir d’usage, de direction
et de contrôle du produit, au sens où l’on parle de garde d’une chose en droit de la
responsabilité civile du fait des choses ou de livraison au sens de l’assurance de
responsabilité civile après livraison »(87). Toutefois, il est nécessaire de maintenir la réserve
selon laquelle certaines définitions contractuelles ne prévoient pas les pouvoirs de contrôle et
de direction.
D’autres auteurs adoptent une position à l’opposé et distinguent clairement la livraison
de la mise en circulation. « La mise en circulation apparait comme une notion de fait excluant
toute référence à un contrat et à des notions telles que la livraison ou la garde du produit »(88).
Il est vrai que la définition offerte par la loi de transposition(89) est si brève qu’elle est
facilement sujette à interprétation. Certains critères peuvent tout de même être déduits. Tout
d’abord, il doit y avoir une volonté de la part du producteur. La mise en circulation ne peut
donc pas avoir lieu par vol. De plus, il doit s’être dessaisi du produit. Ce dernier ne doit donc
plus être en sa possession. Ce critère peut certainement correspondre au transfert de garde,
c’est-à-dire que le producteur doit avoir transféré la garde du produit à un tiers(90). Enfin, le
produit doit être mis en vente ou doit circuler par toute autre forme de distribution.
La Cour de Justice de l’Union Européenne a tenté à deux reprises de définir la mise en
circulation afin de répondre à deux questions préjudicielles lui étant posées. Dans une
première espèce, elle affirme qu’ « un produit est mis en circulation lorsqu’il est utilisé à
l’occasion d’une prestation de service concrète, de nature médicale, consistant à préparer un
organe humain en vue de sa transplantation et que le dommage causé à celui-ci est consécutif
à cette préparation »(91). Mais cette réponse est « très factuelle et se prête mal à
l’extrapolation »(92). La deuxième réponse qu’elle apporte est plus claire et permet d’avoir une
réelle définition communautaire de la mise en circulation. « Un produit est mis en circulation
lorsqu’il est sorti du processus de fabrication mis en oeuvre par le producteur et qu’il est
entré dans un processus de commercialisation dans lequel il se trouve en l’état offert au
public aux fins d’être utilisé ou consommé »(93). La Cour continue en déclarant qu’ « il incombe
aux juridictions nationales de déterminer, au vu des circonstances de chaque espèce et de la
situation factuelle de l’affaire qui leur est soumise, si les liens entre le producteur et une autre
entité sont à ce point étroits que la notion de producteur au sens des articles 7 et 11 de la
directive englobe également cette dernière entité et que le transfert du produit de l’une à
l’autre de ces entités n’emporte pas mise en circulation de celui-ci au sens desdites
dispositions ». Pour la Cour de Justice de l’Union Européenne, la mise en circulation
correspond à la commercialisation du produit. Elle n’est donc pas assimilable à la livraison
telle que prévue dans l’assurance de responsabilité civile produit livré qui n’est qu’une simple
situation de fait où la notion de commercialisation n’intervient pas. La commercialisation
n’est pas une condition de la livraison alors qu’elle semble être un élément essentiel à la mise
en circulation. Cependant, en pratique, cette notion est également importante lorsqu’il y a
livraison puisqu’un produit est généralement livré dans le cadre d’une activité commerciale
entre un producteur et son client. Or, la livraison par vol est possible, ce qui est en revanche
impossible dans le cas de la mise en circulation(94). Elle se ferait ainsi hors de tout commerce. Il
apparait donc logique d’en conclure que la commercialisation est indifférente à la livraison.
Ces deux notions ne s’éloignent pas seulement au sujet de la commercialisation.
D’autres critères spécifiques à la mise en circulation ne se retrouvent pas dans la livraison, et
particulièrement l’unicité de la mise en circulation. En pratique, un même produit ou un
même élément d’un produit peut faire l’objet de plusieurs mises en circulation successives
lorsque, par exemple, le fabricant d’un composant le livre à celui qui l’incorporera dans un
ensemble pour remettre celui-ci ultérieurement dans le circuit de la commercialisation, ou
lorsque le produit fini est stocké à plusieurs reprises dans son circuit de distribution avant de
parvenir au consommateur final. Cette question a été débattue au Parlement où deux thèses se
sont affrontées : une conception pluraliste, selon laquelle il y aurait autant de dessaisissements
volontaires du produit par les différents responsables potentiels : producteurs du produit fini
mais aussi producteurs des matières premières et des parties composantes, grossistes,
fournisseurs(95), et une conception unitaire, qui figurait dans la proposition de loi et était
soutenue par le Gouvernement. La conception unitaire fut finalement retenue(96). L’article
1386-5 du Code civil dispose donc qu’ « Un produit ne fait l’objet que d’une seule mise en
circulation ».
La question se pose alors de déterminer le moment de la mise en circulation
concernant les produits composites. Pour certains auteurs, chaque élément du produit fini
serait lui-même un produit susceptible d’engager la responsabilité de son producteur, mais
cela seulement jusqu’à son incorporation au produit fini. « La mise en circulation unique
signifierait seulement qu’elle ne peut résulter du dessaisissement par des grossistes et des
distributeurs »(97).
C’est essentiellement sur ce point que la mise en circulation se distingue nettement de
la livraison. En effet, la livraison peut être multiple. Par exemple, lorsqu’un produit est vendu,
il y a une première livraison. Une deuxième livraison du même produit peut avoir lieu,
lorsque ce dernier est ramené par le client au service après vente, puis qu’il lui est rendu après
réparation. Dans un tel cas, la mise en circulation n’intervient qu’au moment du premier
dessaisissement, soit lors de la vente.
Ainsi, la livraison diffère sur de nombreux points de la mise en circulation. Cela se
comprend aisément puisque ces deux notions n’ont pas le même intérêt. En effet, la livraison
est le point de départ de l’assurance et la mise en circulation est celui de la responsabilité
civile. De plus, l’assurance garantissant la responsabilité civile du fait des produits livrés est
susceptible de jouer dans d’autres cas que ceux où la responsabilité est fondée sur la loi de
1998(98). Cependant, cette distinction n’est-elle pas source de difficultés, puisque l’assurance de
la responsabilité civile après livraison est liée à la responsabilité et plus spécifiquement à la
responsabilité civile du fait des produits défectueux ?
83 CONFINO J.-P. ; Gaz. Pal., 3 fév. 2001, n°34, p. 2
84 Loi n° 98-389 relative à la responsabilité des produits défectueux du 19 mai 1998, J.O. du 21 mai 1998
modifié par la loi n°2004-1343 du 9 décembre 2004, J.O. du 10 décembre 2004, et par la loi n°2006-406 du 5
avril 2006, J.O. du 6 avril 2006.
85 Directive 85/374/CEE du Conseil, du 25 juillet 1985, relative au rapprochement des dispositions législatives,
réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux
86 KULLMANN J., Lamy Assurance, n°2180, Editions Lamy, 2010
87 CHAUMET F., Les assurances de responsabilité de l’entreprise, 4ème édition, l’Argus de l’Assurance, 2008,
p.238
88 GHESTIN J., Les conditions de la responsabilité, 3ème édition, traité de droit civil, 2006, p.879
89 Article 1386-5 du Code civil : « Un produit est mis en circulation lorsque le producteur s’en est dessaisi
volontairement. »
90 Pouvoir d’usage, de direction et de contrôle
91 CJUE, 10 mai 2001, aff. C-203/9, RTD civ. 2001, p. 898, obs. JOURDAIN P.; JCP. 2002, II, 10141, note
GAUMONT-PRAT H.; D.2001, p. 3065, note KAYSER P.
92 GHESTIN J., Les conditions de la responsabilité, 3ème édition, traité de droit civil, 2006, p. 880
93 CJUE, 9 fév. 2006, aff. C-127/04, JCP 2006, II, 10083 note J.-C. ZARKA; RTD civ. 2006, p.331, obs. P.
JOURDAIN ; D., 2006, Pan. 1937, obs. Ph. BRUN.
94 La mise en circulation est un dessaisissement volontaire. Le vol d’un produit ne peut donc pas induire sa mise
en circulation.
95 Rapport P. FAUCHON, Doc. Sénat, n°377, p. 16 ; JO Sénat du 22 avril 1998, déclaration de M. FAUCHON,
p.1701
96 JO Sénat du 6 fév. 1998, déclaration de Mme GUIGOU, p.685 ; JO AN du 26 mars 1998, déclarations de M.
FORNI et de Mme le garde des SCEAUX, p. 2136 et 2137
97 GHESTIN J., Les conditions de la responsabilité, 3ème édition, traité de droit civil, 2006, p.883
98 Loi n° 98-389 relative à la responsabilité des produits défectueux du 19 mai 1998, J.O. du 21 mai 1998
modifié par la loi n°2004-1343 du 9 décembre 2004, J.O. du 10 décembre 2004, et par la loi n°2006-406 du 5
avril 2006, J.O. du 6 avril 2006.
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