Cet alignement est constaté quant à la notion même de préjudice (a) et quant à l’indemnisation du préjudice né de la perte d’une chance (b).
a) Quant à la notion même de préjudice
Comme le juge civil, le juge administratif entend réparer le préjudice né de la perte d’une chance, lorsque cette chance est certaine, ce qui exclut tout préjudice hypothétique ou encore éventuel.
Cependant, pendant longtemps, la perte d’une chance a été considérée comme un élément apportant la preuve de la certitude du dommage final. Le juge administratif envisageait dès lors cette notion comme un « facteur de causalité », un substitut du lien causal et non comme une véritable catégorie de préjudice. Finalement, ce système de perte de chance était différent de celui du droit privé, ce qui avait une incidence sur l’indemnisation du préjudice dans la mesure où la totalité du préjudice final était indemnisée. En réalité, la notion de probabilité n’apparaissait pas dans les arrêts rendus par le Conseil d’Etat.
Cette situation a bien changé surtout depuis l’arrêt du 5 janvier 2000 où il semble que le Conseil d’Etat ait adopté le raisonnement de la Cour de cassation en la matière. Ici, la perte d’une chance de survivre est examinée comme le préjudice à indemniser et non comme un moyen d’apporter la preuve de l’existence d’un lien de causalité entre la faute et le dommage final.
b) Quant à l’indemnisation du préjudice né de la perte d’une chance
Nous l’avons vu, le Conseil d’Etat considérait qu’une causalité même partielle entre un fait générateur fautif et le préjudice subi par la victime justifiait l’indemnisation intégrale de cette dernière (hors le cas d’un défaut d’information).
L’arrêt rendu le 21 décembre 2007, analysé comme un arrêt de principe, marque la fin du règne de la réparation intégrale du préjudice corporel. La section du contentieux du Conseil d’Etat a ainsi jugé que l’indemnisation de la perte de chance devait être évaluée à une fraction du dommage corporel établi en fonction de l’ampleur de la chance perdue. Désormais, la causalité étant « partielle » doit entraîner une « indemnisation partielle ».
Pour la Haute Assemblée, l’endophtalmie dont était atteinte la victime, constitue une complication rare de la chirurgie du glaucome et peut conduire, même traitée à temps, à la cécité de l’œil. Or à supposer que l’infection oculaire soit guérie, le pronostic visuel demeure en effet aléatoire. Aussi, pour le Conseil d’Etat « dans ces conditions, le retard fautif n’a entraîné pour l’intéressé qu’une perte de chance d’échapper à la cécité totale de son œil droit.» La réparation incombant à l’établissement public hospitalier devait dès lors être évaluée à une fraction du dommage corporel.
Dans cette affaire, le Commissaire du Gouvernement, Terry Olson, avait souhaité que le Conseil d’Etat indemnise intégralement la victime mais seulement « à concurrence de la fraction correspondant à la perte de chance subie » pour les raisons suivantes :
– l’exigence d’un lien de causalité direct entre le préjudice et le droit à réparation.
– La nécessité d’une cohérence entre les juridictions civiles et administratives.
– L’intérêt des victimes dans la mesure où selon Terry Olson « la jurisprudence actuelle aboutit en pratique à ce que le juge se montre très exigeant quant à l’affirmation du caractère sérieux de la chance perdue »
C’est bien en ce sens que sont allés les juges suprêmes.
Cette position a par la suite été confirmée par le Conseil d’Etat le 21 mars 2008 et sera de nouveau retenue dans différentes affaires récentes.
Cette évolution de la jurisprudence administrative démontre que le système d’évaluation mis en œuvre par le juge judiciaire est le plus satisfaisant. Un alignement de ces deux jurisprudences aboutit a une meilleure cohérence entre les deux juridictions qui traitent souvent d’affaires similaires. Malgré tout, l’étude qui va suivre révèle une réelle opposition quant à l’étendue de la réparation du préjudice né de la perte d’une chance.
Retour au menu : LA PERTE DE CHANCE EN MATIERE DE RESPONSABILITÉ MÉDICALE