Le plagiat électronique n’en finit pas de susciter l’ire des universitaires, la curiosité des éducateurs et la perplexité des étudiants en partie, parce que le problème au moment où il est considéré, du moins par une poignée d’universitaires avertis comme une simple question de mésusage textuel, révèle un large éventail de complexités.( March, 2007 ; Neville, 2007)
D’abord, il est considéré dans le meilleur des cas comme une offense à l’éthique (Penslar, 1995 ; Parsons, 2005 ; Riedling, 2007 ; Richards, 2005 ; Rozakis, 2007 ), et dans le pire comme un vol voire un crime.(Robert, 2008 ; Leight, 1999 ; Randall, 2001 ; Roberts, 2008)
Or, pour le premier cas, l’éthique est plurielle. Il y’a en fait autant de standards éthiques que de cultures (Gudykunst, 2001). Pour le second cas, « […] la notion de vol d’idées est non seulement moderne mais profondément occidentale. » (Swearingen, 1999, p.21), ce qui fait qu’elle est étrangère à pas mal de cultures notamment orientales. Par conséquent, expliquer le plagiat conventionnel et sa version électronique à des étudiants « […] requiert une exégèse culturelle délicate et adroite » (ibid., p.19).
Pour ne pas s’appesantir sur ces arguties ético-culturelles, du reste éminemment utiles, disons que le plagiat électronique est « […] un continuum de croyances envers les sources de nos idées » (Carroll et Perfect, 2002, p. 148) et, à ce titre, ses causes ont à son images, aussi diverses qu’hétéroclites.
Ainsi Dordoy (2002) trouvent que les raisons les plus communes incitant les étudiants à recourir au plagiat électronique sont liées soit aux notes, soit à la mauvaise gestion du temps, ou soit à l’opportunisme. Les raisons qui lui ont été le plus citées par les étudiants sont :
Tableau 2.3. Causes du plagiat électronique selon Dordoy (2002)
Source : Dordoy (2002)
Pour sa part, Roberts (2007, p.2) suggère qu’une liste typique des raisons poussant les étudiants à faire du plagiat électronique se présenterait comme suit :
– Incompétence en méthodologie de recherche
– manque en compétence d’écriture
– Difficultés à évaluer les sources Internet
– Confusion quant à la manière de citer ses sources
– Idées fausses (misconceptions) sur la terminologie
– Pression
– Mauvaise organisation et gestion du temps
– Prédominance des devoirs écrits
– facteurs culturels (Notre traduction)
Des résultats similaires ont été trouvés en Suède par Hult et Hult (2003, cités par Eriksson et Sullivan, 2008, p.31) ; le top des réponses reçues est de remettre les devoirs à temps, les autres raisons incluent :
[…] L’accessibilité via Internet, l’anonymat que procure la taille du groupe, formes d’enseignement et d’évaluation, grande collaboration entre les étudiants, tout le monde le fait, le risque d’être pris est minime, et la morale personnelle. (Notre traduction)
Des résultats analogues sont reflétés dans d’autres recherches telles que :(Pupovac, Bilic-Zulle et Petroveckl, 2008 ; Williams, 2002 ; Harris, 2001 ; Bowman, 2004) Nadelson (2007), pointe du doigt la clémence voire la complaisance des enseignants qui, de par leur laxisme, indifférence ou évitement, encouragent, sinon favorisent les tendances plagiaires.
Par ailleurs, Perreault (2009) précise que les étudiants, forts de la culture du partage qui est la leur, perçoivent que tout ce qui est sur le web est du domaine public et, par conséquent copier-coller sans citer les sources est quelque chose qui va de soi. La faute est donc à la sensibilisation qui ne leur a pas été prodiguée. Par ailleurs, elle attribue le plagiat électronique à l’imitation des pairs mais aussi aux comportements de certains enseignants en matière de citation de source « (ou de non-citation devrait-on dire) » (ibid. p.19). Le même constat a été fait par (Standler, 2000, Buranen, 1999) qui reconnaissent que certains enseignants, censés être l’exemple, s’engagent eux-mêmes dans des actes de plagiat. En revanche, pour certains étudiants, leur plagiat est dû à un acte de résistance, quand leur background épistémologique est contredit par les formes rhétoriques dominantes (Bloch, 2008), ou de défit pour montrer leur dissidence et leur mépris de l’autorité. (Park, 2003). Ces étudiants explique Neville (2007, p.31) « […].sont aussi déçus par les méthodes désuètes d’enseignement et de l’assistance qui leur est accordée de la part du personnel…et voient le plagiat comme une forme de représailles ».
Dans la liste des causes, figurent également, la non compréhension pure et simple de ce qu’est le plagiat pour certains (Gatrell, 2006 ; McDonald, 2000 ; Gresham, 1996 ; Auer et Krupar, 2001 ; Solo, Arnand et McGee, 2004 ; Hall, 2005) et pour d’autres, c’est la croyance qu’ils ne seront pas pris (Auer et Krupar, 2001 ; Gatrell, 2006). Avis, complètement partagés par (Burnett, 2009, Carroll et Appleton, 2001) qui trouvent cependant que seule une minorité d’étudiants plagient délibérément.
Le plagiat électronique est par ailleurs mis sur le compte de l’affaissement éthique des étudiants. (Houtman et walker, s.d.; Nadelson, 2006 ; Penslar, 1995 ; Yu, 2007 ; Riedling 2007). En effet, Straubhaar et LaRose (2006, p.489) écrivaient: « Alors combien de mots est-il éthiquement acceptable de copier ? Aucun ! ». Cette réponse péremptoire, révélatrice de l’éthique devant être en vigueur en milieu universitaire, n’est pas du goût des étudiants plagiaires. Le fait est qu’ils accusent un relâchement éthique qui fait qu’ils ne font plus cas de valeurs académiques telles que l’intégrité intellectuelle, l’honnêteté, l’équité, l’égalité des chances…Or ce libéralisme est considéré par les instances universitaires comme « […] un acte répréhensible [et] une rupture du contrat pédagogique ».(Aron, 2009, p.31)
Toujours est-il qu’omettre de voir le côté illicite de l’acte plagiaire n’implique pas que l’on manque d’éthique. Raes (2009, p. 98), ne se résout pas à attribuer la recrudescence du plagiat à un affaissement éthique et, n’exclut pas en revanche « […] l’émergence d’un hiatus entre enseignant et enseigné, d’une opposition entre deux formes différentes d’individuation et peut être en fin de compte de deux paradigmes inconciliables ». Tant il est vrai que l’authenticité selon le paradigme de la culture digitale, est la répétition et le partage des connaissances en faisant fi de la propriété intellectuelle. Et, il n’est pas, de surcroît moins vrai, que « […] l’apprentissage a été axé principalement durant de nombreuses années sur l’acquisition de savoirs cognitifs et de savoir-faire dont l’évaluation ne conduit pas à des considérations d’ordre éthiques ». (ibidem.)
De fait, l’auteur en appelle à repenser les méthodes d’enseignement et à asseoir des démarches didactiques à même de donner du sens aux productions personnelles.
Il est aussi intéressant de souligner qu’une myriade de raisons invoquées par les étudiants « […] tombent dans une catégorie que les chercheurs nomment neutralisation(30) ». (Davis, Drinan et gallant, 2009, p.72) Les étudiants justifient leur forfait plagiaire par les actions similaires des autres. Une logique qui semble rimer avec « two wrongs can make a right » (deux erreurs font une chose juste). (ibidem.)
Il appert de par la littérature en la matière, que trois causes majeures reviennent comme un leitmotiv, à savoir la pression afin d’avoir de bonne notes (Neville, 2007 ; Dordoy, 2002 ; Szabo et Underwood, 2004, Power, 2008), la pression des pairs.(McCabe et Trevino, 1993 ; McCabe et Trevino, 1997 ; Ma, Lu, Turner et Wan, 2006) et la procrastination (Roig et De Tommaso, 1995 ; Olt, 2007 ; Breen et Maassen, 2005 ; Roig, 2008)
En effet, la course effrénée pour les bonnes notes a poussé les étudiants à développer des stratégies consuméristes. Puisque vivant dans une société de consommation, « […] ils ont acquis l’art subtile de l’analyse coût/bénéfice ». (Auer et Krupar, 2001, p. 422).
L’importance que la société accorde à la réussite est un facteur qui a boosté la nécessité impérative d’avoir de bonnes notes (Ordonez et al., 2009) et, tant que la fixation d’avoir de meilleures notes prime sur l’apprentissage, il y a des raisons pour que les étudiants optimisent leur temps et leurs ressources en plagiant.
Dans la même veine, Pope (2001, p.139) apostrophe sans ambages les écoles qui ont échoué à récompenser et,
[…] qui, d’une certaine manière, n’encouragent nullement la bonne conduite des étudiants. Quand tellement d’importance est accordée aux notes et à l’accomplissement individuel, le système semble générer la malhonnêteté. Les étudiants apprennent à réussir par tous les moyens possibles quittes à compromettre leur intégrité pour obtenir des notes meilleures.
Autrement dit, les structures institutionnelles reposant elles-mêmes sur la certification et la notation sont par trop incitatives au plagiat électronique. Hunt (2002) illustre ce constat en donnant l’exemple d’une personne qui voudrait apprendre à jouer de la guitare ou écrire en HTLM(31). Tricher dans ce cas serait pour elle impensable. Par contre si elle veut un diplôme attestant qu’elle peut en jouer ou produire une page Web, tricher serait dans ce cas envisageable.
Pour ce qui est de la pression des pairs, McCabe et Trevino, (1993, pp.530-532) spécifient que « […] le comportement des pairs est de loin le facteur le plus influent pour ce qui est de la malhonnêteté académique ». Celle-ci dont le plagiat électronique fait partie, est, selon ces deux chercheurs, apprise en observant le comportement des pairs qui de surcroît devient un support normatif à la triche plagiaire. La théorie de l’apprentissage social (TAS) de Bandura (1986), qui a servi par ailleurs de soubassement théorique à cette recherche, était effectivement ces résultats en les apparentant à ce que la théorie nomme « L’apprentissage par imitation (ou apprentissage par observation ou apprentissage vicariant) » (Seron, Lambert, et Van der Linden, 1977, p.66)
Selon ce principe, un comportement peut être appris ou modifié simplement par l’observation d’un modèle qui joue le rôle d’intermédiaire par rapport à l’observateur. En outre le modèle doit être dans le voisinage de l’observateur en termes de caractère socioculturels, de sexe et d’âge. (Cottraux, 2004)
Quant à la procrastination, qui s’avère être un facteur précurseur du plagiat (Roig et Tammaso, 1995), elle est définie comme : « […] un retard téléologique à commencer ou à achever un travail académique » (Ferrari et Beck, 1998, p.529). Elle est connue dans la littérature pour avoir des conséquences sérieuses sur les étudiants universitaires, dont la vie estudiantine est rythmée par des dates limites pour la soumission de leurs travaux. Tice et Baumeister (1997, cités par Chu et Choi, 2005) soulignent que les étudiants qui enregistrent un taux élevé de procrastination, non seulement reçoivent les notes les plus basses mais font montre aussi d’un haut degré de stress. Aussi recourent-ils à des raccourcis tels que le plagiat électronique. S’il est avéré cliniquement que la procrastination pourrait être une stratégie délibérée pour s’auto motiver pour quelques étudiants qui ont besoin d’un niveau intense de stimulation pour être adéquatement motivés, elle est « […] le plus souvent une excellente excuse pour des performances médiocres ». (Ferrari, Johson et McCown, 1995)
30 La neutralisation est une composante comportementale qui « intervient pour supprimer la pensée intrusive, prévenir les conséquences anticipée ou réduire la responsabilité » (Bouchard, 2000, p.60) La neutralisation se fait par le biais de cinq techniques : « la métaphore du grand livre (les bons résultats l’emportent sur les conséquences négatives du crime), le défense de la nécessité, le déni de la nécessité de la loi, la revendication du droit et la croyance que « tout le monde le fait » » (Waters, 2002, p.13) La neutralisation fait que le transgresseur s’accorde des excuses, voire des circonstances atténuantes qui font pour ainsi dire du délit un acte banal. Pour Skys et Matza, (1957, cités par Debuyst, Digneffe et Pires, 2008), les mécanismes de neutralisation sont au nombre de cinq :
– Le déni de responsabilité (le jeune se voit comme une « boule de billard » (p.362), impuissant devant ce qui lui arrive et, trouve toujours des excuses à son comportement déviant)
– Le déni de la faute (minimisation de l’acte déviant)
– Le déni de la victime (Elle n’en est pas vraiment une et mérite ce qui lui arrive)
– La condamnation de ceux qui condamnent (ceux-là sont eux-mêmes corrompus)
– L’appel à des loyautés supérieures (telle l’importance de la fratrie)
31 HTML (Hyper Text Make up Langage) : C’est un langage informatique qui permet de réaliser des pages HTLM (textes, images, formulaires…) qui peuvent être lues par des navigateurs tels qu’Explorer ou Netscape. (Beguelin, 2000)