L’état de l’avancement du projet pourrait constituer un facteur d’explication de cette faible densification du réseau, ce qui est plutôt positif. Cependant, les inégalités existantes au niveau des producteurs en termes de motivations, intérêts, partage d’idées et valeurs communs auraient aussi une influence sur le faible développement des relations de réciprocité bénéfiques pour l’existence des liens de collaboration entre producteurs. Pour Chiffoleau (2008), les motivations collectives dans un groupe de producteurs sont importantes pour sa bonne structuration, de même elle avertit que l’apparition de ruptures ou difficultés s’expliquent par des situations ou les intérêts personnels ont pris « le dessus sur les intérêts collectifs ». (Chiffoleau, 2008 : 7).
En effet, les inégalités relatives a la de taille d’atelier, au volume de production et a l’expérience en circuits courts peuvent exercer une influence directe sur les attentes, les intérêts et les motivations au sein du groupe des producteurs. Par exemple certains veulent s’investir dans ce projet pour trouver une voie alternative afin de mieux valoriser leur production, et d’autres veulent consolider leurs position comme producteurs en circuits courts dans leurs filières respectives.
Même si pendant les interviews réalisées aux producteurs du groupe, on avait une première impression d’investissement réel dans un projet collectif de la part de tous, certaines différences par rapport au projet envisagé et au fonctionnement interne du groupe ont été repérées petit à petit. Par-là, il existe 4 producteurs ayant un grand atelier en circuits courts et qui possèdent chacun déjà 3 ou 4 points de vente liés chacun a un mode de commercialisation spécifique. L’ouverture d’un cinquième point de vente, soit ici l’ouverture d’un Point de vente collectif, fait partie de leur projet pour augmenter leur chiffre d’affaire. Leurs intérêts seraient donc déterminés par l’aspect économique essentiellement.
Q. 1. En termes générales qu’est-ce qui vous a motivé à vous investir dans un projet de commercialisation en circuits courts ?
– Qu’est-ce qui vous motive au projet de l’ouverture du nouveau magasin à Saint Maixent?
Réponse 1 : « L’indépendance….Mais l’indépendance ça se paye, on ne peut pas tout avoir, donc, que des complications. Ce qui m’a motivé c’est pouvoir augmenter ma marge de bénéfices et mon cout de revient. »(40)
Réponse 2 : « Bah, la rentabilité du produit…» […] «C’est pour ça que je veux me tourner vers le magasin car, il y aurait un plus gros chiffre d’affaires et puis, il y aura du personnel pour s’en occuper des ventes et voilà quoi, ce côté sera plus tranquille pour moi, […] a moi ça me convient(41)
Réponse 3 :« Augmenter les volumes de ventes, [….], pour pouvoir faire plus de marge, » (Avec le Magasin), « Je gagnerai plus de rentabilité, pour moi ça serait plus rentable, […], c’est l’avantage pour moi, »(42)
On peut voir évidement que dans leurs discours, que la de recherche d’une augmentation de la rentabilité économique, et le développement des volumes de production, sont des thèmes prédominants. Aussi d’après le numéro 3 ci-dessous (Zoom du schéma numéro 1 et 2), il est clair que c’est justement au niveau des producteurs ayant des grands ateliers en circuits courts que des liens ou de connexions ne se sont pas rajoutés depuis le début de la constitution du groupe. La structuration du réseau entre ces adhérents reste le même, uniquement caractérisée par des liens professionnels.
Schéma No.3 Evolution des liens et relations chez les producteurs ayant un grand atelier en circuits courts
Source : Réalisation personnelle
Par contre, chez les petits et moyens producteurs le discours est diffèrent, caractérisé par le partage d’intérêts communs. Ici, les motivations économiques sont bien présentes certes, ce qui est normal aussi, et même si elles font parties des préoccupations principales, elles ne sont pas dominantes puisque les motivations non marchandes existent aussi et partagent une place équilibrée dans leur discours.
Q. 1. En termes générales qu’est-ce qui vous a motivé à vous investir dans un projet de commercialisation en circuits courts ?
– Qu’est-ce qui vous motive au projet de l’ouverture du nouveau magasin à Saint Maixent?
Réponse 1 : « Mon intérêt est surtout pouvoir vendre plus localement, […], mon objectif est de mieux m’installer avec mes parents sur la ferme, sans forcément un agrandissement, […], ensuite c’est aussi le fait de na pas être tout seul, j’aime bien cet aspect relationnel dans un groupe et avec les clients »(43)
Réponse 2 : «On s’est retrouvé la dans la ferme, et vu la conjoncture actuelle, on s’est dit bon on va faire de la vente directe, mais nous ça nous plait la relation avec le consommateur, et nos amis nous ont aidé à lancer le truc, […] ah oui oui si ça ne te plait pas être en contact avec le client, faut faire une autre chose » […] « Nous c’est la vente à la ferme, les clients sont contents de venir chercher les volaille là, On aime faire de la qualité, c’est motivant »(44)
Réponse 3 : « Avec le prix du lait actuel, je préfère produire moins mais faire plus de valeur ajoutée, […], c’est-à-dire des produits de qualité, par exemple avec le moins de pesticides, pour que les consommateurs aussi se retrouvent… » « Le fait de travailler ce projet la en groupe c’est porteur, il faut continuer comme ça, unis »(45)
Ce partage d’idées explique peut-être la diversification des connexions relationnelles et échanges non marchands entre eux. Le schéma numéro 4 (Zoom du schéma numéro 1 et 2) permet d’observer qu’au sein des producteurs débutants et les propriétaires d’un petit et moyen atelier en circuits courts, des nouvelles relations et liens sont apparus depuis la constitution du groupe il y a un an.
Par exemple, une des nouvelles relations d’amitié créée entre deux producteurs et leur famille respective, est nait d’une relation d’entraide entre ces deux acteurs (Axe rouge du schéma). Il s’agit de deux producteurs aux situations similaires en termes de taille et d’expérience. Une famille de producteurs laitiers ayant besoin d’un camion pour leur exploitation et un producteur de volailles ayant une expérience dans l’achat de ce type de matériel agricole, s’est proposé pour les accompagner dans le sud de la France afin de concrétiser l’achat. Pendant le voyage il se sont mieux connu ce qui a permis de rendre ce lien plus fort et créer un scénario de confiance pour des futurs échanges.
Schéma No.4 Evolution des liens et relations chez les producteurs débutants ou ayant un petit / moyen atelier en circuits courts
Chiffoleau (2008) signale que lorsque les motivations sont guidées par les impératifs économiques à court terme, l’intensité de relations est « souvent plus faible ». De même, elle évoque l’idée que, quand le groupe ne s’auto gère plus ou peu, comme par exemple lorsqu’un employé gère les taches courantes et le fonctionnement d’un magasin de producteurs, et que la fréquence de rencontres est faible, la densité du réseau serait aussi affectée. Cette situation correspond bien à des cas ou les producteurs ne se sentent plus des « acteurs » mais des « Bénéficiaires », (Chiffoleau, 2008 : 6). Quand on analyse ce type de cas, l’impression est celle de sortir de l’aspect alternatif du projet pour rejoindre une démarche commerciale / rationnelle typique auprès d’actionnaires de l’agro-alimentaire.
Mise en situation des producteurs
Dans cette optique, on a choisi de non seulement interroger ouvertement les producteurs sur leurs attentes et motivations mais aussi de les soumettre au choix d’un scénario déterminé, créé pour bien confirmer leurs intérêts d’une manière implicite et pouvoir mieux comprendre certaines dynamiques existantes au sein du groupe(46). L’utilisation de cette démarche nous a semblé appropriée pour voir le décalage existant entre le discours utilisé par certains producteurs lors des réunions de concertation, et leurs intérêts lors de la prise de décision. La démarche ressemble à l’utilisation d’une méthode expérimentale inspirée à partir d’essais cliniques ou les individus sont soumis à une situation précise, pour ensuite analyser leurs réactions. Pourtant, il ne s’agit que d’un simple test de mise en situation, construit « artisanalement ». On tient à préciser que les deux scénarios ont été créés à partir de données et situations réelles issues de points de vente collectifs existants.
Le premier scénario concerne le cas d’un magasin de taille moyenne dans lequel le producteur est amené à être polyvalent et s’occuper de plusieurs tâches reparties entre les associes. Ce scénario demande évidement au producteur un bon investissement de temps, et des bonnes relations avec ses partenaires pour garantir la gestion collective. En exigeant une présence régulière au magasin et un contact quotidien avec les autres producteurs et aussi consommateurs, ce scénario serait à la base des créations de nouvelles connexions dans les relations humaines au sein du groupe. Au final il s’agit d’un scénario ou, par sa taille et moyens humains requis, la prise de risque pourrait être facilitée, par contre les chiffres d’affaire réalisés ici sont plus faibles que dans le deuxième scénario.
Le deuxième scénario est justement séduisant par son chiffre d’affaires. Ce critère peut cacher immédiatement les autres critères capables de constituer une menace pour le maintien du projet à long terme comme par exemple l’organisation de la gestion collective avec des réunions qui ne demandent pas la présence de tous les associes et uniquement de 2 sur 5 d’entre eux. La transmission et la transparence d’information ainsi que le contact avec les clients seraient ici affectés négativement. En effet, les producteurs seraient moins présents, les tâches seront assurées par des professionnels employés. (3 vendeurs, 2 Bouchers, 1 directeur a responsabilité étendue). La création de nouveaux liens deviendrait avec ce scénario, plus complexe.
Tableau No. 4 Scénarios caractérisant une situation précise de fonctionnement d’un Point de vente collectif
Résultats :
Au terme de cette mise en situation des producteurs face aux scénarios, la majorité des membres du groupe a choisi le scénario numéro 2 en se laissant guider par les chiffres d’affaires du magasin et les possibles bénéfices individuels réalisables à court terme. Plusieurs d’entre eux ont quand même hésité plusieurs fois à choisir le premier scénario, argumentant ne pas être d’accord pour la gestion collective du deuxième scénario. Cependant, les bénéfices matériels ont pris le poids de la décision. Ainsi, uniquement 3 producteurs ont préféré le cas d’un magasin favorisant davantage les aspects collectifs, relationnels et l’idée de projet commun. Au contraire, 6 producteurs ont choisi le cas du magasin ou la rentabilité existe au détriment d’autres critères qualitatifs.
On vient de voir que la proximité géographique existe en effet entre les différents membres du groupe de producteurs. Cependant le réseau relationnel des producteurs, n’a pas encore subie une structuration favorable au développement de relations de coopérations nécessaires à l’aboutissement du projet. Ceci pourrait s’expliquer par les différences au niveau de motivations et d’intérêts repérés chez les producteurs du groupe qui seraient dominées majoritairement par des intérêts individuels de recherche de rentabilité économique. Les inégalités matérielles de base, (taille, expérience, volume de production), serait à la base de cette problématique répertoriée.
D’après ce constat donc, les différences existantes, auraient-elles une influence dans la construction de la proximité organisée ? Dans quel état se trouve le groupe par rapport à la construction de cette proximité organisée ? Et en quoi celle-ci va permettre d’envisager l’adaptation aux marchés porteurs ?
40 Interview réalisé à Jean Robert Morille, Producteur de Canards, le 26 Juin 2013
41 Interview réalisé à Fabrice Texier, Producteur de Fruits, le 2 Juillet 2013.
42 Interview réalisé à Alain Gamin, le 2 Juillet 2013.
43 Interview réalisé a Guillaume Grasset, le Juin 2013
44 Interview réalisé à Bruno Fréchet, producteur de volailles, le 3 juillet 2013.
45 Interview réalisé à Joël David, producteur de lait, le Juin 2013.
46 Scénarios conçus et proposés auprès de l’AFIPAR, pendant ma mission de stage, afin d’affiner le diagnostic interne du groupe des producteurs. Construction détaillé des critères de fonctionnement de chaque magasin dans chaque scénario, réalisé par Laurence Rouher, Maitre de stage et animatrice a l’AFIPAR et du réseau régionale des circuits courts Poitou Charentes,
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