Depuis la Seconde Guerre mondiale, le monde de l’entreprise au Japon a pris une importance économique et sociale telle, qu’elle permet au pays de vivre un véritable miracle économique au sortir de la guerre : première puissance commerciale dans les années 1970, puis première puissance financière mondiale dans les années 1980, avant la crise financière et l’éclatement de la bulle spéculative dans les années 1990.(17)
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Le monde de l’entreprise au Japon relève d’une véritable sacralité, auquel on attend de l’employé qu’il se dévoue corps et âme. Nilsy Desaint écrit en effet dans son ouvrage Mort du père et place de la femme au Japon, « de même que le culte des ancêtres sacralise le modèle familial, l’ensemble des règles exige l’adhésion de chacun à une entité fermée que constitue le clan ou la compagnie. »(18)
Chaque employé travaille de façon à assurer la bonne marche de l’entreprise, autrement dit, l’harmonie de travail. Notion séculaire au Japon, la notion de groupe ne disparait pas après 1945; le Japonais cherche toujours à s’adapter au groupe, à se fondre dans la masse salariale sans se démarquer, dans une attitude privilégiant la communauté et non l’individualisme, typiquement japonaise.
Le Japonais « prend tous les visages, sans révéler le sien propre » (19), il s’adapte constamment aux rôles qu’on attend de lui : père, employé, époux. L’importance de l’entreprise pour laquelle le Japonais travaille prend toute son ampleur quand on constate la façon dont ces derniers se présentent : citant d’abord le nom de l’entreprise pour laquelle ils travaillent, puis le nom de famille et le prénom. L’entreprise vient en premier, l’individu vient en dernier: d’où l’importance de travailler pour l’une des grandes entreprises japonaises, afin de montrer sa réussite professionnelle et sociale.
On comprendra ainsi la course effrénée qui se livre dès l’enfance, pour atteindre cette réussite, accessible si l’on a réussi à intégrer brillamment les universités les plus prestigieuses du pays. Ainsi, les nombreux cours du soir dans les écoles privées spécialisées, nommées les « juku », rencontrent un succès phénoménal, étant donné qu’elles donneront une meilleure chance à l’élève d’atteindre le niveau requis pour ces grandes universités, souvent seules voies d’accès au monde du travail et plus particulièrement au recrutement dans une multinationale, telle que Mitsubishi, Hitachi, Sony, etc. Ces grosses firmes attirent les jeunes diplômés car elles offrent de nombreux avantages sociaux, difficiles à obtenir ailleurs.(20)
Nous pouvons cependant observer qu’il existe une discrimination qui a persisté même après la Seconde Guerre mondiale : les grandes entreprises favorisent toujours des hommes plutôt que des femmes, encore plus fortement s’il s’agit d’un poste à responsabilités. En effet, au Japon, la séparation entre les études dites « féminines » et celles dites « masculines » est forte : « sur l’ensemble de la population féminine accédant au cycle universitaire, une fille sur quatre est inscrite dans une institution réservée exclusivement au sexe féminin » (21). En effet, la discrimination des femmes sur le marché du travail remonte à la division sexuée que l’on constate dans le monde estudiantin.
En effet, un traitement différencié persiste durant les études, menant les jeunes filles à choisir des filières « féminines », et non celles « pour les hommes » : ainsi les femmes se retrouvent souvent dans des filières littéraires, et les hommes dans les filières scientifiques, où l’on trouve encore très peu de femmes. Cette différenciation persiste et influe sur les postes que l’on attribue aux femmes ou aux hommes dans le monde du travail : en effet, « plus on monte dans la hiérarchie, plus les femmes se font rares » (22), et les fonctions où l’on retrouve des femmes tendent à être similaires à leur rôle « traditionnel » : s’occuper des enfants, servir le thé, etc.
Le monde de l’entreprise est un monde d’hommes, où les femmes ont du mal à trouver une place : les offres de postes sont inégales pour les hommes et les femmes, et souvent cachées derrière le prétexte de l’éducation, ou de la forte concurrence. En réalité, les grands patrons ont, de façon générale, la vision traditionnelle du rôle de la femme, qui veut que celles-ci n’aient pas accès aux postes à responsabilités car elles doivent s’occuper de la famille, tandis que l’homme est tenu de ramener de l’argent au foyer. Dans Japon, le consensus, ouvrage du CESEJ, comité de spécialistes du Japon, datant de 1984, il est écrit : « dans la mentalité japonaise, une femme mariée qui travaille est une mauvaise mère et une mauvaise épouse ».(23)
Les grandes entreprises ont ainsi vu le jour dès la fin de la guerre, mais ont longtemps discriminé les femmes. C’est un monde d’hommes, car ce sont les hommes qui s’éloignent du foyer familial pour se consacrer à l’entreprise, y passant au moins 40 heures par semaine (24). Ce sont également les hommes qui participent aux réunions très fréquentes, aux sessions de golf avec les patrons ou clients, ou qui peuvent être mutés, si besoin est, loin de la famille. L’important pour maintenir une bonne image en entreprise, être bien perçu par son patron et assurer sa place, est la disponibilité, ce que les femmes, dans la tradition, ne sont pas disposées à offrir. Ainsi, les employés restent de longues heures au travail, participent également aux « omikai », soirées arrosées entre patrons et employés, où les femmes sont assez rares.(25)
L’homme est aussi perçu de façon générale par les Japonais et les Japonaises, comme étant plus fort que la femme, et donc plus à même de supporter de longues heures de travail comme le demandent les entreprises. Le discours des femmes témoigne de ce consensus, comme le montre l’exemple de l’entretien d’une jeune Japonaise, Fumiko, en 2005 : « Les hommes sont bons pour travailler beaucoup. Les hommes ont plus de force que les femmes et c’est bien (…) la plupart des hommes travaillent plus que les femmes. ». Cela ressort également lorsqu’on parle des femmes à postes à responsabilités : « la femme qui ordonne de travailler à un homme, ce n’est pas sympathique ».(26)
A travers cette mise à l’écart de la femme dans l’entreprise, cet éloignement de l’homme de la sphère familiale depuis la Seconde Guerre mondiale, nous pouvons aborder la question de la séparation des sphères masculines et féminines, ancienne tradition qui se ressent encore en filigrane de la société aujourd’hui.
17 Bouissou Jean-Marie, Le Japon contemporain, éd.Fayard Ceri, paris, 2007, p.11
18 Desaint Nilsy, Mort du père et place de la femme au Japon, op.cit., p.118
19 Garrigue Anne, Japonaises, la révolution douce, op.cit., pp.51-52
20 Desaint Nilsy,Mort du père et place de la femme au Japon, op.cit., p.49
21 Ibid, p. 104
22 Ibid, p.96
23 Angeloni Vera, Le consensus au féminin, in Japon, le consensus, mythes et réalités, du CESEJ, Paris, Economica, 1984, p.302
24 Site officiel du ministère japonais de la Santé, du Travail et des Affaires Sociales, page consultée le 4/03/11
25 Lefrançois Mikaël, « S’intégrer dans une entreprise japonaise, un parcours initiatique », in Aujourd’hui le Japon, page consultée le 4/03/11
26 Desaint Nilsy, « Entretien avec Fumiko » in Mort du père et place de la femme au Japon, op.cit., p. 198
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