La directive du 29 avril 2004 dispose dans son article 13 a) que lorsque les autorités
judiciaires fixent les dommages et intérêts, elles « prennent en considération tous les aspects
appropriés tels que les conséquences économiques négatives, notamment le manque à gagner,
subies par la partie lésée, les bénéfices injustement réalisés par le contrevenant et (…) le
préjudice moral causé au titulaire du droit du fait de l’atteinte ».
La loi française a été fidèle à la directive, disposant que « la juridiction prend en
considération les conséquences économiques négatives, dont le manque à gagner, subies par
la partie lésée, les bénéfices réalisés par le contrefacteur et le préjudice moral causé au
titulaire du droit du fait de l’atteinte ». D’emblée l’on remarque que cette nouvelle mesure est
d’un genre différent de celles étudiées ci-avant pour les législations américaine et allemande.
En effet, il n’est pas question ici d’attribuer les bénéfices réalisés par le contrefacteur au
titulaire de droits victime(123). Ces sommes seront simplement considérées pour calculer le
montant des indemnités. Cette nouvelle donnée pose toutefois problème dans son
interprétation. En effet, l’on peut se demander quel emploi les juges feront de cette
disposition. Dans la circonstance où le titulaire ne parvient pas à prouver un préjudice élevé,
les juges s’en serviront probablement pour augmenter quand même l’indemnisation. Cette
solution serait donc contraire au principe de réparation intégrale, principe phare du droit
français de la responsabilité civile qui, comme il a déjà été signalé, pourrait donc être
abandonné dans une certaine mesure. Un auteur considère à ce sujet que « La rupture est, en
apparence, franche avec le droit commun. Il ne s’agit plus de réparer le préjudice subi par la
victime mais d’accabler le contrefacteur »(124) mais ajoute que « la rupture pourrait bien être,
cependant, plus apparente que réelle. Il est vraisemblable que les juges du fond intégraient
cet élément dans la fixation des dommages et intérêts qu’ils opéraient, assurés d’une relative
impunité compte tenu du contrôle classiquement discret de la Cour de cassation ».
Pour d’autres auteurs « sans obligatoirement l’égaler, l’évaluation des dommages et intérêts
devra désormais tendre vers l’addition du manque à gagner, des bénéfices réalisés par le
contrefacteur, du préjudice moral(125) et d’autres préjudices que le demandeur aura pris soin
de soulever »(126). Cependant, l’on peut douter que le système français devienne véritablement
« un Eldorado à l’américaine »(127) grâce à la transposition de la directive. Ce texte, dans son
considérant 26 dispose que le but n’est pas d’introduire une obligation de prévoir des
dommages et intérêts punitifs. Surtout, le rapporteur de la loi au Sénat s’est défendu
d’introduire en droit français de tels dommages et intérêts(128).
123 Ce que l’on peut regretter, avec un auteur qui proposait, en matière de brevet, d’ajouter au livre VI du CPI un
article disposant « Le propriétaire d’un brevet victime d’un acte de contrefaçon est en droit d’obtenir, à titre de
réparation complémentaire de son préjudice, le bénéfice intégral réalisé par le contrefacteur ». G. Triet,
«Indemnisation des préjudices en matière de contrefaçon: les entreprises françaises sont insatisfaites», RIPIA,
2000, p. 94.
124 H. Lécuyer, « L’indemnisation du préjudice en matière de contrefaçon », Gaz. Pal., du 23 au 27 mars 2008, p.
13.
125 La directive et la loi française font en effet mention du « préjudice moral causé au titulaire des droits du fait
de l’atteinte » qui doit être pris en compte pour le calcul des dommages et intérêts. Cependant, un tel préjudice
entrait classiquement dans le calcul des dommages et intérêts au titre de la perte subie, par exemple du fait des
atteintes au droit moral en droit d’auteur ou de la banalisation d’un produit ou d’une marque en propriété
industrielle… Pour un auteur « en le mentionnant, la loi nouvelle se veut peut être pédagogue. Beaucoup
déploraient, en effet, que le préjudice moral fût trop souvent oublié ou négligé. La référence explicite qui y est
faite dans le texte peut être vue comme constituant une piqûre de rappel », H. Lécuyer, préc.
126 M. Cousté et F. Guilbot, « Réforme de l’indemnisation du préjudice de contrefaçon en France : du jardin à la
française à l’Eldorado américain » ? Propriété Industrielle, décembre 2007, étude n° 26.
127 Selon l’expression de M. Cousté et F. Guilbot, préc. en référence aux dommages et intérêts punitifs (punitive
damages) parfois pharaoniques alloués par les tribunaux américains.
128 P. Kamina, « Quelques réflexions sur les dommages et intérêts punitifs en matière de contrefaçon », Cah. dr.
entr. 2007, n° 4, p. 35.
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