3.A. Une nouvelle problématisation : les prémices de la loi de 1992
3.A.a. Nouvelle « crise des déchets » : perte de légitimé de la convention de 1975
Au croisement des décennies 1980 et 1990, la problématique des déchets ménagers revient
sur le devant de la scène publique. Cette résurgence des enjeux écologiques prend son essor sur
fond de révélations de scandales environnementaux largement médiatisés (trafic de déchets
hospitaliers ou de déchets toxiques(106), importation de déchets étrangers, décharges polluantes). « Au
début des années 1990, on calcule également la contribution des déchets à l’effet de serre,
contribution qui s’exerce notamment par les émissions du méthane formé dans les décharges. »(107)
Un autre motif de d’inquiétude est l’augmentation continue des tonnages collectés alors que
l’offre de services d’élimination se contracte. En effet, d’une part, des nouvelles normes
environnementales plus contraignantes et instituées au niveau européen rendent obsolètes certaines
installations de traitement des déchets. De l’autre, les populations et les élus locaux montrent de plus
en plus de réticences à accueillir des nouvelles installations de ce type, notamment des décharges
contrôlées, sur leur territoire. Cette réaction hostile des populations locales a été conceptualisée
sous le nom de phénomène NIMBY (« Not In My Back Yard ») qui, littéralement, signifie « Pas
dans mon arrière-cour » et qui traduit l’attribution d’un profil psychologique schizophrénique à la
population de la part des élus, des techniciens et des industriels : alors que le citoyen accepte tous
les effets positifs de notre modèle de développement, il refuse d’en assumer certaines conséquences
négatives.
3.A.b. Un désaveu qui implique la recherche de nouveaux moyens d’action
« Le service public d’élimination des déchets, placé sous la responsabilité des collectivités
locales, est ainsi apparu menacé dans sa viabilité technique, organisationnelle et politique, au terme
d’une longue période où l’on a privilégié les solutions qui minimisaient le coût financier de gestion
du système : en 1990, 52 % des déchets ménagers étaient éliminés en décharge et 10 % dans des
usines d’incinération sans récupération d’énergie. »(108). Ces mauvais résultats en termes de
valorisation du gisement d’ordures ménagères menacent de remettre en question la légitimité de la
politique française de gestion des déchets ménagers, d’autant plus qu’une directive européenne(109)
prévoit de fixer des objectifs exigeant dans ce domaine. Cette perte de légitimité de la convention
de 1975 relance le débat sur la valorisation matière (recyclage, compostage), le nouvel enjeu étant
de parvenir à réintégrer un maximum de matière dans le cycle de production pour réduire les flux à
éliminer face au problème des décharges qui débordent.
3.A.c. Opposer une alternative au modèle allemand pour préserver l’industrie
Ce nouvel enjeu a été saisi très tôt par les industriels, notamment ceux de l’emballage qui
sont régulièrement incriminés pour l’augmentation du volume de nos poubelles. Face à un modèle
allemand en plein développement et jugé trop contraignant – car imposant une prise en charge
directe des emballages par le producteur via un système de consignes -, les industriels français font
front et cherchent à développer un mode d’organisation alternatif. L’investissement des industriels
dans le développement des collectes sélectives peut être considéré comme une tentative de
reconquête d’une légitimité auprès de l’opinion publique tout en gardant une souveraineté sur le
choix des emballages pour ne pas perdre la valeur ajoutée que procure le packaging (ce que le
système de consignes risque de remettre en cause). Paradoxalement, alors que l’emballage est très
vite abandonné au fond de la poubelle, il est le fruit d’un investissement grandiloquent du marketing
car il est un des premiers facteurs qui oriente la décision d’achat du consommateur.
« C’est ainsi que naquirent plusieurs associations – Progrès et Environnement, dirigée par le
PDG de BSN, Antoine Riboud ; le Groupement pour le Récupération et la Régénération des
Emballages Plastiques Perdus – qui soutinrent ou lancèrent un certain nombre de collectes
sélectives. A la fin des années 1980, leur bilan est plus que mitigé. Les expériences pilotes de
collecte sélective menées à grande échelle au Havre, à la Rochelle et à Lyon connurent de
nombreuses vicissitudes et des problèmes de débouchés pour les matériaux récupérés. […] Les
options qui s’affrontent , notamment au travers du débat consigne versus recyclage, sont bien des
« projets socio-techniques », au sens donné à cette expression par Michel Callon : ils définissent
simultanément les objets ou les économies à construire et les environnements économiques,
réglementaires et sociaux qu’il est nécessaire d’aménager afin que ces objets ou ces économies
deviennent efficaces, rentables, performants… »(110). Antoine Riboud, qui souhaite contrecarrer le
système allemand, préconise, dans son rapport éponyme de 1991, « non la prise en charge par les
entrepreneurs du recyclage des déchets, mais le paiement d’une taxe en fonction des déchets qu’ils
produisent auprès d’un organisme agréé. Ce dernier aurait la charge d’utiliser les fonds ainsi
constitués à des fins de valorisation des déchets. »(111).
3.A.d. Un consensus de tous les acteurs autour du recyclage
Ces initiatives des industriels sont, dans l’ensemble, très bien accueillies par les pouvoirs
publics, les entreprises, les associations environnementales ou de consommateurs qui y voient un
signe manifeste de la volonté des producteurs d’emballages à prendre en main la fin de vie de leurs
produits. Yannick Rumpala a étudié les différentes justifications discursives avancées par les acteurs
et relève que les arguments en faveur du tri s’avèrent à la fois environnementaux (préservation de
l’environnement), économiques (utilisation parcimonieuse des ressources), techniques
(l’amélioration du recyclage passe par un tri à la source), financiers (maîtriser les dépenses en
valorisant la matière) et moraux (condamnation du gaspillage, responsabilisation du citoyen)(112).
Cet engouement collectif pour le nouveau système de gestion des déchets ménagers qui est
en train de se dessiner semble aussi être partagé par les ménages selon les sondages de l’époque(113).
Cet acteur, qui avait été évincé de la politique de gestion des déchets ménagers avec la loi de 1975,
occupe une place centrale dans le nouveau dispositif qui émerge de la loi de 1992 .
3.B. La loi de 1992
3.B.a. Le dispositif Eco-Emballages
Le « décret d’avril 1992 oblige les industriels de l’emballage à assurer ou à faire assurer la
gestion des déchets issus de la fin de vie de leurs produits. Une société privée, Eco-Emballages a été
constituée par les professionnels concernés pour organiser la prise en charge de cette obligation
légale de reprise. L’objectif qui lui incombe est de parvenir à valoriser au moins 75 %, en masse,
des déchets d’emballages ménagers à l’horizon de 2002. »(114).
Pour atteindre ces objectifs il a fallu trouver un cadre technique permettant de surmonter les
problèmes rencontrés dans les différentes expériences de collecte sélective menées avant 1992
(manque de financements pour soutenir les communes, manque de débouchés pour le produit de la
collecte avec la fluctuation du prix des matières premières) tout en préservant les industriels de
contraintes susceptibles de déstabiliser leur stratégie économique. C’est la solution d’Antoine
Riboud qui est finalement retenue avec la création d’Eco-Emballages : « Les industriels qui
adhèrent à cette firme payent une contribution sur chaque emballage mis sur le marché et reçoivent
en échange le droit d’y apposer un “point vert”. Le produit de cette contribution est utilisé pour
soutenir financièrement les opérations de collecte sélective et de tri menées par les collectivités
locales. […] Pour inciter les collectivités locales à développer la valorisation, et plus
particulièrement la collecte sélective avec tri, Eco-Emballages leur propose des contrats (d’une
durée de six ans) dans lesquels elle leur assure une recette minimale par tonne de matériau
valorisé. »(115).
3.B.b. Des contributions différenciées selon les solutions de traitement : une hiérarchisation explicite
Ce modèle français sera rapidement critiqué pour son manque de leviers incitatifs permettant
de favoriser le développement du recyclage par rapport à la valorisation énergétique mais Eco-
Emballages modifiera sa politique en 1996 en augmentant les contributions versées aux collectivités
locales pour la collecte et le tri à des fins de recyclage et en réduisant celles pour l’incinération avec
récupération d’énergie. Ces nouvelles orientations dessinent une hiérarchie assez explicite des
modes de traitement : la préférence va à la valorisation matière (recyclage, compostage), suivie de
la valorisation énergétique (incinération avec récupération d’énergie), puis de l’incinération sans
récupération d’énergie et, enfin, de la décharge.
3.B.c. La fin de la mise en décharge : incinération ou recyclage ?
La loi de 1992 réoriente ainsi toute la politique nationale de gestion des déchets ménagers et
stipule qu’à compter du 1er juillet 2002 les décharges ne seront autorisées à accueillir que des
déchets ultimes. « Tous les autres déchets devront faire l’objet d’une valorisation (par compostage,
recyclage, incinération avec récupération d’énergie, etc.) »(116). La règle de limitation de la mise en
décharge aux seuls déchets ultimes reste néanmoins assez souple pour s’adapter aux configurations
locales. En effet, puisque ce sont les communes qui ont la compétence de la gestion des ordures
ménagères, c’est à elles « qu’il revient de donner un sens au ”déchet ultime”, et donc de déterminer
la nature et le degré de valorisation à atteindre avant mise en décharge. Rapidement cette mesure est
interprétée comme la fin de la mise en décharge à l’échéance 2002, et contribue à un recours massif
à l’incinération, tandis que la contestation sociale, que l’on croyait ciblée sur la mise en décharge, se
déplace de l’enfouissement vers l’incinération. »(117). Assurément, les politiques locales de gestion
des déchets reposent sur la volonté des élus qui en ont la charge. Or, cette thématique n’est pas
politiquement porteuse pour ces élus qui ont donc tendance à recourir aux solutions les plus simples
et les moins couteuses pour le contribuable.
C’est d’ailleurs un aspect supplémentaire qui distingue le modèle français du modèle
allemand : alors qu’en France l’incinération avec récupération d’énergie est considérée comme un
mode de valorisation équivalent au recyclage, en Allemagne, cette technique est considérée comme
un mode d’élimination. Ainsi, la collecte sélective française tend autant à favoriser le recyclage que
l’incinération avec récupération d’énergie : en séparant les déchets on peut aussi orienter les matières
qui ont le plus haut pouvoir calorifique vers l’incinération.
3.C. Le principe de proximité
3.C.a. Décentralisation des choix techniques et organisationnels : mutualisation des expériences et regain de légitimité
Le dispositif Eco-Emballages s’appuie sur le principe de proximité qui s’oppose au dirigisme
technologique, c’est-à-dire que les choix techniques et organisationnels sont laissés à l’appréciation
des communes et ne sont pas imposés : il y a seulement un effet d’incitation avec des aides
financières et techniques. Ce sont donc les communes qui sont en charge de trouver la formule qui
convient à leur territoire selon les équipements de traitement disponibles.
De cette manière, le recueil d’expérience des différentes collectivités qui sont précurseurs
dans l’instauration d’une collecte sélective par l’ADEME permet un gain d’information qu’il s’agit de
révéler pour faciliter le développement de ce système sur tout le territoire national. L’action d’Eco-
Emballages et des communes « se déploie dans une perspective d’apprentissage »(118),
d’expérimentation.
Le principe de proximité est censé redonner une acceptabilité sociale aux projets
d’implantation d’installations de traitement des déchets en faisant coïncider le territoire de
production des déchets au territoire d’élimination (responsabilisation des citoyens vis-à-vis de leurs
déchets). Ce principe « n’est toutefois doté de valeur ni normative ni juridique. »(119).
3.C.b. Un transfert de contraintes de l’industrie vers les communes
En fait, en déléguant la mission de valorisation des emballages usagés à la société Eco-
Emballages, les industriels transfèrent les difficultés organisationnelles et techniques vers les
communes tout en veillant à ce que leurs intérêts soient préservés. « La logique de la formation d’un
accord interprofessionnel est d’éviter d’introduire toute disposition ayant pour effet de :
1. Limiter la taille des débouchés industriels ou modifier en profondeur les stratégies industrielles
poursuivies – ce qui serait par exemple le cas de contributions élevées ayant pour effet de réduire les
flux d’emballages à la source.
2. Modifier les termes de la concurrence entre les productions respectives de ces professions, c’est à
dire, ici, entre les différentes filières de matériaux – ce qui serait le cas de contributions nettement
différenciées par matériaux d’emballage.
3. Perdre la maîtrise des relations contractuelles nouées avec les municipalités (en terme d’efforts,
de risques, de durée, de choix des partenaires) d’une façon qui puisse les amener à perdre le contrôle
de leur engagement financier. »(120).
Cette tendance de l’industrie à déplacer en amont les efforts d’adaptation se justifie par la volonté de
« minimiser les contraintes subies et les coûts afférents »(121). En préservant leurs intérêts, les
industriels français de l’emballage bénéficient d’une liberté d’action plus grande et d’avantages
comparatifs non négligeables sur les marchés de l’environnement qui sont soumis à la concurrence
internationale et qui connaissent un développement rapide et prometteur.(122) Pour simplifier,
l’économie spécule sur les problèmes environnementaux car ceux-ci sont créateurs d’activité.
3.D. Responsabilisation du citoyen. Les ménages : alliés ou obstacle ?
3.D.a. Une politique de gestion des déchets ménagers qui repose de façon croissante sur le facteur humain avec le développement de la collecte sélective
Comme nous l’avons vu, l’instauration d’une politique de recyclage efficace nécessite la
structuration d’une chaîne d’intermédiaires qui sera la suivante : ménage, centre de tri, industriels.
Dans cette chaîne, les centres de tri ont prouvé leur capacité de fonctionnement en combinant le tri
mécanique au tri manuel et les débouchés industriels pour les matières premières traitées et
collectées sont désormais garantis par Eco-Emballages. Le seul chainon instable, car difficilement
contrôlable, dans ce maillage en constitution est le ménage. La loi de 1992 transforme le simple
usager en « allié »(123) qui revêt désormais la qualité de « producteur-trieur inséré dans une filière
industrielle, dont il faut construire et maintenir la performance. »(124). « En fait, l’enchaînement est tel
que l’agencement finit par reposer pour une large part sur le facteur humain, qui devient dans les
raisonnements l’un des principaux pivots conditionnant les performances des collectes
sélectives. »(125).
3.D.b. Définir un cadre de production discursive pour informer les ménages
Cet impératif de participation des ménages, pierre angulaire de la collecte sélective, donne
naissance à tout un travail institutionnel de responsabilisation du citoyen devant aboutir à
l’incorporation de pratiques quotidiennes adaptées par ce dernier. Il s’agit de modifier certaines
représentations collectives, notamment le postulat « traditionnel et tacite selon lequel le particulier
n’aurait qu’à déposer ses déchets à la poubelle, sans avoir à se soucier des difficultés rencontrées
ensuite pour les traiter et les éliminer. »(126).
Pour ce faire, il a d’abord été nécessaire de définir un champ lexical qui soit commun aux
différents acteurs et qui paraisse intelligible aux ménages afin de parvenir à nommer ce qui,
jusqu’ici, était innommable : la poubelle traditionnelle et unique, dans laquelle se mélangeaient
toutes les matières déchues dans une masse indistincte, doit être remplacée par plusieurs poubelles,
ce qui nécessite la capacité d’identifier et de qualifier les différentes matières selon une terminologie
pré-définie pour éviter toute confusion. C’est ce que Rémi Barbier appelle la « mise en mots du
gisement » : « La principale difficulté vient de la rencontre entre un monde ordinaire, où les modes
de qualification utilisés peuvent rester souples et personnalisés, et l’alignement de type
professionnel requis par la collecte sélective. »(127). A cette mise en mots du gisement viennent
s’ajouter une « mise en conformité des pratiques »(128) (s’assurer que les gestes sont bien incorporées)
et une « mise en valeur du geste tri »(129 )(donner un sens positif, gratifiant à ces gestes) qui seront
promus par un dispositif de communication soutenu étant donné qu’il s’agit du principal levier
actionné pour obtenir une participation des ménages.
3.D.c. Une caractérisation de l’acteur « ménage »
La production d’un discours institutionnel s’adressant au ménage implique une mise en récit
qui donne à voir le jugement porté sur l’acteur ciblé. « De cette mise en récit découle l’appréciation
selon laquelle les ménages seraient incapables de gérer eux-mêmes leurs déchets […]. Cette
caractérisation des ménages, de leur « inquiétude », parcourt l’ensemble des débats
parlementaires »(130) traduisant une forme de paternalisme institutionnel : il faut « protéger » et
« éduquer » les ménages. « A cette psychologisation s’adjoint une critique de la rationalité des
ménages […]. Ils sont foncièrement pensés comme des être irrationnels »(131) puisqu’ils acceptent tous
les avantages de la société de consommation et refusent d’en assumer certaines conséquences en
s’opposant à l’installation de nouvelles unités de traitement des déchets. De même, en ce qui
concerne l’adoption du tri par les ménages, « les résistances entrevues sont pour une large part
reliées à des représentations erronées et à des blocages psychologiques »(132). Ces points de vue
institutionnels donnent naissance à des politiques d’information axées sur la rationalisation des
représentations et des comportements des ménages.
3.D.d. Une politique d’information soutenue qui vire à la persuasion
Pour Yannick Rumpala, l’information tend même « à glisser vers la persuasion » en mettant
« à contribution toute la panoplie des techniques utilisées dans l’univers commercial (études de
marché, identification de cibles prioritaires…). »(133). Reprenant les travaux de Jürgen Habermas, il va
même jusqu’à parler « d’instrumentalisation du monde vécu au profit de contraintes
systémiques »(134). Pour emporter l’adhésion du citoyen, tout un répertoire de justification est
mobilisé : l’intérêt général, le civisme, la protection de l’environnement, la lutte contre les excès de
la société de consommation, etc.
Cet assemblage discursif participe au processus que Rémi Barbier nomme « la fabrique de
l’usager »(135) et qui se concrétise par l’émergence de la figure de « l’éco-citoyen ». Cette redéfinition
de l’usager s’ancre dans un mouvement plus large que l’on peut relier au concept de « consommation
durable » qui « construit un lien entre des enjeux larges et des actions très quotidiennes. »(136). Or, le
concept de « consommation durable » est foncièrement ambivalent, ce qui le confronte à un
dilemme a priori insoluble : il faut « arriver à discipliner le consommateur sans toucher à la
dynamique de consommation qui est censée nourrir la croissance économique. »(137). D’un côté, on
exhorte le citoyen à laisser libre cours à ses pulsions consommatrices et, de l’autre, on l’enjoint à
devenir « responsable » en contrôlant ses désirs. Ce dilemme se ressent particulièrement chez
certains ménages : les plus insouciants préfèreront consommer le service de gestion des déchets et
délaisseront totalement le tri, alors que les plus concernés se mobiliseront pour trier et modifieront
leurs comportements d’achat. D’autres verront la bonne gestion de leurs ordures comme un moyen
de se déculpabiliser vis-à-vis de leurs pulsions consommatrices.
3.D.e. Des relais de terrain pour lutter contre l’information en vase clos ?
Comme nous venons de le voir, le principe d’information du public est au coeur du
développement des collectes sélectives car elle est censée orienter la rationalité de l’éco-citoyen en
devenir. Cette communication s’appuie sur « deux ”idées force” : la répétitivité et la proximité. »(138).
La répétitivité est nécessaire pour s’assurer que l’information soit bien reçue par le citoyen et
faire en sorte que celle-ci s’intègre à sa rationalité. Cependant, ce principe comporte des effets
pervers : le particulier croule sous une montagne d’informations et de recommandations, ce qui
implique qu’il va être amené à faire le tri parmi les informations qu’on lui adresse. Or, Dominique
Lhuilier précise à juste titre que « la méconnaissance n’est pas absence ou défaut de connaissance
qu’une information bien conçue suffirait à combler. Elle manifeste plutôt une intention active de
n’en rien savoir, un refus de connaissance. »(139). D’où ce constat paradoxal : la plupart du temps, ce
sont les citoyens les mieux informés qui sont les plus attentifs aux informations distillées par les
pouvoirs publics. Nous pouvons ainsi présupposer que la communication institutionnelle dessine un
système d’information en vase clos.
Des limites de ce premier principe découle le second : il est nécessaire de développer une
information de proximité à travers des intermédiaires diversifiés qui ont directement accès au public
ciblé. Ce système permet de s’assurer que chacun a bien reçu les informations tout en sondant les
connaissances et les points de réticence des ménages. Il permet également de donner une plus
grande légitimité aux comportements prescrits par une mobilisation d’acteurs de terrain variés
(associatifs, élus, techniciens, instituteurs, ambassadeurs du tri, citoyens, etc.), ceci dans une
logique de « dissémination de la relation de service »(140). Cette exigence est renforcée par le fait que
la forme que prend l’organisation de la collecte sélective varie d’une collectivité à l’autre (consignes
de tri qui divergent) : l’information se doit donc d’être différenciée.
106 À ce titre, le cas des déchets toxiques (futs de dioxines) issus du démantèlement de l’usine responsable de la
catastrophe de Seveso (Nord de l’Italie) est assez exemplaire. Ces déchets, dont a retrouvé la trace quelques années
plus tard sur le territoire français, devaient initialement être traités à Bâle.
107 BARBIER Rémi, op. cit., p. 89.
108 DEFEUILLEY Christophe, Godard Olivier, « La nouvelle politique de gestion des déchets d’emballages. Quand
concertation et décentralisation ne riment pas avec incitation. », in B. BARRAQUÉ et J. THEYS (dir.), Les
politiques d’environnement. Évaluation de la première génération : 1971-1995., Paris, 1998 : Éd. Recherches, p.1-2.
109 Directive n°91-158 du 18 mars 1991.
110 BARBIER Rémi, op. cit., p. 67.
111 PANAFIT Lionel, op. cit., p. 32.
112 RUMPALA Yannick, op. cit., p. 610.
113 Selon un sondage SOFRES réalisé en janvier 1991 pour l’ANRED, « 71 % des Français étaient favorables aux
collectes sélectives » et « 70 % estiment que les déchets constituent un problème très important ».
114 DEFEUILLEY Christophe, Godard Olivier, op. cit., p.1-2.
115 Ibid., p. 4-5.
116 DEFEUILLEY Christophe, Godard Olivier, op. cit., p.2.
117 ROCHER Laurence, « Les contradictions de la gestion intégrée des déchets urbains : l’incinération entre
valorisation énergétique et refus social », in Flux, 4/2008 : n° 74, p. 23.
118 DEFEUILLEY Christophe, Godard Olivier, op. cit., p. 7.
119 ROCHER Laurence, op. cit., in Flux, 4/2008 : n° 74, p. 25.
120 DEFEUILLEY Christophe, Godard Olivier, op. cit., p. 14-15.
121 RUMPALA Yannick, op. cit., p. 624.
122 Cette stratégie est même un des piliers du projet législatif de 1992 : « Sur ce dernier point il convient de rappeler
que, compte tenu de l’importance prévisible des marchés de l’environnement (25 à 30% de l’ensemble des marchés
pour le prochain millénaire), la France doit dans ce domaine valoriser au maximum ses atouts qui sont réels ».
Assemblée Nationale, Impressions, 1991-1992, 2745, p. 8.
123 RUMPALA Yannick, op. cit., p. 613.
124 BARBIER Rémi, « La fabrique de l’usager. Le cas de la collecte sélective des déchets. », in Flux, 2/2002 : n°48-49,
p. 39.
125 RUMPALA Yannick, op. cit., p. 611.
126 Ibid., p. 613.
127 BARBIER Rémi, op. cit., p. 39.
128 Ibid.
129 Ibid.
130 PANAFIT Lionel, op. cit., p. 36.
131 Ibid., p. 36-37.
132 RUMPALA Yannick, op. cit., p. 614.
133 Ibid., p. 619-620.
134 Ibid., p. 625.
135 BARBIER Rémi, op. cit., p. 35-46.
136 RUMPALA Yannick, « La ”consommation durable” comme nouvelle phase d’une gouvernementalisation de la
consommation », in Revue française de science politique, 5/2009 : Vol. 59, p. 976.
137 RUMPALA Yannick, op. cit., p. 969-970.
138 BARBIER Rémi, op. cit., p. 42.
139 LHUILIER Dominique, COCHIN Yann, op. cit., p. 90.
140 BARBIER Rémi, op. cit., p. 43.