Institut numerique

3. La prise en compte du principe de précaution

Le principe de précaution figure à l’article 5 de la Charte de l’environnement sous ces termes « lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veilleront, par application du principe de précaution, et dans leurs domaines d’attribution, à la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage ». Les opinions sont très diverses quant à la possibilité d’une influence du principe de précaution sur le droit de la responsabilité civile. Pour certains, elle serait nulle, tout simplement parce que ce principe s’adresserait exclusivement à l’autorité publique. Il commanderait l’action politique et administrative, mais ne concernerait pas les décideurs privés . A l’inverse, d’autres auteurs pensent que le principe de précaution est de nature à transformer radicalement le droit de la responsabilité civile en ajoutant à sa fonction traditionnelle de réparation, tournée vers le passé, une fonction préventive, orientée vers l’avenir. Toutefois une majorité de la doctrine opte pour une position intermédiaire estimant que le principe de précaution ne doit pas bouleverser le droit de la responsabilité mais peut inspirer certaines évolutions vers une action préventive.

Les craintes en la matière, reposent sur le fait que lorsque les conséquences d’un fait ne sont pas avérées, on condamnerait son auteur de manière préventive. En effet, il parait nullement impossible que, sous l’influence du principe de précaution, le fait de n’avoir pas tenu compte d’un risque qui n’était pas totalement avéré au moment où le comportement du sujet est apprécié, mais qui reposait alors sur une hypothèse considérée comme plausible par une partie significative de la communauté scientifique, soit de plus en plus souvent considéré comme une faute de négligence. L’obligation de prudence se retrouverait ainsi renforcée par l’obligation de prévention du risque. Afin de servir l’objectif de prévention, on admet aujourd’hui qu’il est possible d’assimiler à un dommage certain, une menace sérieuse de dommage . La jurisprudence l’a déjà admis assez fréquemment et il n’est donc pas exclu que le principe de précaution amène à admettre qu’un danger supposé sur la base d’hypothèses scientifiques sérieusement étayées soit considéré comme suffisant pour fonder une condamnation à faire cesser et à modifier l’activité suspecte. Quand au lien de causalité, il est d’ores et déjà assez fréquemment présumé, notamment lorsque l’activité du défendeur présentait un danger.

L’application du principe de précaution dans le cadre des troubles anormaux de voisinage reste discutable. Normalement, la théorie des troubles de voisinage exige la démonstration de l’existence d’un trouble anormal. Cette condition joue le rôle d’un fait générateur pour engager la responsabilité. Dans les arrêts où la jurisprudence admet des troubles de voisinage en appliquant le principe de précaution, elle s’inscrit « dans un mouvement d’extension du trouble anormal de voisinage » . Nous ne sommes pas ici dans le cadre de la prévention mais de la précaution car le risque est incertain. Alors pourquoi ne pas franchir le pas et admettre que le principe de précaution, et non la théorie des troubles de voisinage, peut et doit constituer un fondement autonome sur lequel les victimes pourraient s’appuyer pour obtenir la prévention d’un risque incertain? Cela mettrait fin à la déformation maladroite de la théorie des troubles de voisinage. Chacun serait à sa place : la théorie du trouble de voisinage invitant à faire cesser les troubles, et de manière extensive les risques de troubles certains, le principe de précaution se cantonnant à admettre la prévention des dommages graves et irréversibles malgré leur incertitude.

La multiplication des antennes relais a généré des inquiétudes et les actions pour faire retirer ces antennes fusent. L’admission du principe de précaution en matière de responsabilité pour troubles anormaux de voisinage a de larges conséquences qui pourraient encore se voir élargies . L’arrêt du tribunal de Versailles de même que celui de Nanterre ou encore d’Aix en Provence vont dans ce sens en admettant qu’un trouble de voisinage était causé. De plus, de nombreuses procédures sont actuellement en cours, y compris contre des opérateurs comme Orange et SFR, basées sur ce fondement. Si ces décisions devaient être maintenues par la Cour de cassation, elles pourraient conduire à un nombre important de démantèlement d’antennes-relais. Dès lors, c’est la couverture réseau qui risquerait d’être atteinte, alors même que l’Etat impose une obligation de couverture de 90% de la population métropolitaine, ce qui suppose l’installation de nouvelles antennes. Les pouvoirs publics ne pourront certainement pas rester sans réagir. La secrétaire d’État au développement de l’économie numérique, Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET, a d’ailleurs suggéré le 5 février 2009 , un « Grenelle des antennes » pour répondre aux « attentes croissantes » du public concernant les dangers éventuels de l’exposition aux ondes électromagnétiques.

Retour au menu : Les troubles de voisinage et l’assurance