. Description
L’ISR combiné est celui défendu par les ONG telles que Les Amis de la Terre. Cet investissement n’existe pas encore et repose sur un corpus idéologique « alternatif ».Il prend ses sources dans l’écologie politique, la notion de circuits courts ou encore l’école de la régulation. Au delà de ce qu’il propose réellement, celui-ci s’articule sur une définition précise de l’ISR et une norme encadrant ses pratiques.
L’ISR combiné repose entre autres sur l’objectif de responsabilité mais critique les méthodes de l’ISR éponyme décrit dans la section précédente du fait de son champs de sélection en lui-même : celui des grandes entreprises. Sélectionner des multinationales n’autorise pas l’évaluation de ses impacts car il est impossible de contrôler des entités aussi grandes avec les moyens consacrés actuellement. D’autre part, une notation bien que complétée de visites terrain et d’un audit complet ne pourra pas prendre en compte « l’influence » de celles-ci.
L’ISR combiné propose donc de sélectionner les petites et moyennes entreprises qui ont plus de difficultés à accéder à des financements (interviewé 2 – ONG) et qui peuvent être contrôlés plus facilement.
De surcroît, les entreprises responsables sont aussi celles qui ont un impact positif sur la société dans la « réduction des inégalités sociales et territoriale » dans les « principes de l’économie sociale et solidaire »et dans la « prise en compte des impératifs écologiques »(56).
Cet impératif nécessite de favoriser certains secteurs à « valeur ajoutée positive » pour les populations et la planète. Il est intéressant de noter l’orientation de cette démarche qui se concentre aussi sur la finalité de la production outre la nécessité d’inclure des entreprises responsables. Néanmoins, il reste à déterminer quels secteurs seraient concernés par cet investissement.
Cette pratique existe déjà dans les fonds « thématiques » incluant une sélection « positive ».A titre d’exemple, le fonds Allianz Euréco Equity inclut des entreprises liées aux énergies renouvelables, aux services à l’environnement et à la réduction des émissions.
Bien que ce type d’ISR n’existe pas encore, du fait que tous les fonds intègrent un minimum de grandes capitalisations, il mérite une description car il reflète une vision alternative de la fonction de l’investissement responsable et qu’il pourrait éventuellement exister dans le futur.
Les fonds incluent présentement une grande majorité de grandes entreprises car elles émettent beaucoup d’informations contrairement aux PME qui sont encore une minorité à communiquer sur leur politique RSE.
Cependant, le décret de l’article 225 du Grenelle de l’environnement étendra (probablement) la publication d’informations pour les entreprises de plus de 1 milliard d’euros pour le total de bilan (ou 5000 personnes) dès la fin de l’année 2011 et les entreprises de plus de 400 millions d’euros de total de bilan (ou 2000 personnes) pour l’exercice clos de 2012.Le choix sera donc à l’avenir possible pour les investisseurs voulant recourir à cette méthode (si le périmètre est élargi aux entreprises de taille intermédiaires).
. Les failles de l’ISR combiné
La différence fondamentale entre l’ISR responsabilité et l’ISR combiné ne se situe pas au niveau de l’objectif (sélectionner des entreprises responsables) à atteindre mais sur les moyens d’y parvenir.
La première différence avec l’ISR responsabilité est le périmètre d’investissement : celui des PME.
L’ISR combiné mise sur plusieurs méthodes :
– La sélection positive (surpondération des secteurs jugés utiles) ou sélection thématique restrictive (ex : énergies renouvelables)
– Evaluation de la démarche de RSE et benchmark
– Exclusions sectorielles et normatives
Il s’agit dans un premier temps d’évaluer chacune de ces méthodes individuellement et de comprendre ensuite les avantages et les inconvénients de l’utilisation de toutes ces méthodes de sélection.
L’investissement dans les PME :
Un gérant ISR n’investit que dans des entreprises côtés, ainsi la plupart des PME (selon l’article 51 de la loi de modernisation de l’économie, les entreprises entre 20 et 250 personnes dont le chiffre d’affaires ne dépasse pas 50 millions d’euros ou dont le total de bilan ne dépasse pas 43 millions d’euros) ne sont pas côtés en bourse. Selon le cabinet d’audit Deloitte, seuls 0,6% des PME ont accès aux marchés financiers en France, 0,2% (110) évoluent sur le marché Alternext et 0,4% sur le marché libre (soit 280 entreprises).
Le marché libre n’obéit pas aux principes des marchés réglementés. Les principales conséquences sont que les entreprises présentes sur ce marché n’ont pas d’obligation de publication de leurs comptes ni de leur chiffre d’affaires trimestriel ou semestriel. Le manque d’informations financières relatives aux entreprises de ce marché entraîne un risque financier important pour l’investisseur. S’ajoute à ceci le problème de liquidité liée à la taille du marché, le montant des échanges journaliers étant très faible.
De manière générale, les investisseurs évitent donc ces marchés. Les entreprises de ce marché sont en fait des petites entreprises, qui, au fur et à mesure de leur agrandissement évoluent sur des marchés plus réglementés. Etant donné leur taille et l’absence d’obligation de publication des comptes, ces entreprises sont peu susceptibles de publier des informations quant à leur démarche RSE.
Le marché Alternext crée en 2005, est réglementé et soumet les entreprises en son sein au devoir de publication des comptes. Une analyse plus poussée des entreprises présentes sur ce marché nous permet d’affirmer que seulement 99 entreprises sur les 176 répertoriées dans l’indice Alternext en 2011(57)sont effectivement des PME, les autres entreprises étant des ETI et ayant un effectif compris entre 250 et 5000 salariés (entreprises de taille intermédiaire). Cela vient du fait que le marché Alternext crée il y a 6 ans a vu certaines de ses entreprises croître au point de changer de statut.
Les pratiques de sélection des entreprises « responsables » et les exclusions normatives ont au moins un point commun, elles nécessitent l’accès à des informations extra-financières. Dans le premier cas, il s’agit de sélectionner les sociétés qui ont un niveau minimum de responsabilité ou les meilleures pratiques en la matière. Dans le deuxième cas, il s’agit de disposer d’informations sur les mauvaises pratiques de l’entreprise, voire de ses controverses.
Nous allons donc sélectionner un panel d’entreprises présentes sur le marché Alternext et essayer de déterminer le pourcentage des entreprises publiant des informations extra-financières. Nous nous intéresserons ensuite aux types d’entreprises ciblées par les ONG pour savoir si elles communiquent des informations « négatives » sur ces mêmes PME sélectionnés précédemment.
Tableau 9 : Divulgation d’informations extra-financières de trente entreprises cotées sur Alternext
Tableau 10 : Quelques exemples d’entreprises dénoncées par quatre ONG internationales
Nous constatons finalement que seules deux entreprises du panel fournissent des données extra-financières partielles présentes dans le rapport annuel sans que celles-ci soient regroupées au sein d’un rapport développement durable intégré ou séparé du rapport annuel. Concernant les impacts négatifs des entreprises, parmi les quatre ONG étudiés, nous n’avons trouvé que des multinationales qui ont été mises en causes. Les ONG ne semblent donc s’intéresser qu’à celles-ci, ce qui signifie qu’il ne faut pas compter sur les ONG pour obtenir des informations sur les impacts négatifs des PME.
Cette analyse nous fournit des éléments de réponse quant à l’applicabilité des méthodes d’exclusion normatives et de sélection ESG des PME qui paraît délicate au vu du manque d’informations sur les impacts tant positifs que négatifs de ces entreprises sur la société. Concernant plus particulièrement les exclusions normatives, la question demeure de savoir comment l’investisseur socialement responsable peut décider d’exclure une entreprise sans connaître les atteintes qu’elle exerce sur son environnement.
Le flou des exclusions sectorielles et de la surpondération :
Le même problème se pose que pour l’ISR responsabilité concernant les exclusions sectorielles. Il existe une différence de perception entre les investisseurs et les ONG. Les investisseurs agissent pour le compte de leurs clients et proposent des exclusions « éthiques » afin de se conformer aux valeurs de leurs clients. Pour cette raison, les exclusions sectorielles sont encore dominées par des considérations morales largement discutables. Est-il moral d’investir dans l’industrie pornographique ? En effet, d’aucuns peuvent considérer que cette industrie répond à un besoin immanent de la personne humaine, d’autres jugeront que la consommation de films pornographiques peuvent générer une addiction et des problèmes de désir chez l’homme(58).
Les ONG se réfèrent davantage au développement durable et considèrent davantage les industries suffisamment grandes pour avoir un impact sur le futur de l’humanité et sur l’environnement de manière globale. Ainsi, celles-ci auront une inclination plus grande à exclure l’industrie nucléaire (les déchets nucléaires pèseront sur les générations futures), les OGM (accusés de réduire la biodiversité et la souveraineté alimentaire) et l’industrie pétrolière (pour sa participation massive au changement climatique).
Somme toute, il s’agit de déterminer ici quel regard les acteurs de l’ISR vont avoir lorsqu’ils décideront d’exclure une valeur du périmètre d’investissement.
La surpondération (thématique) des entreprises pose trois problèmes distincts :
– Sur quelle base considère-t-on qu’un secteur apporte une meilleure contribution à l’humanité qu’un autre secteur ? Force est de constater qu’ici encore, les acteurs selon leur positionnement ne sont guère d’accord. Les Amis de la Terre accusent ces fonds d’être des « fourre-tout » car les investisseurs peuvent être amenés à y inclure des entreprises ayant plusieurs activités dont une seule considérée comme vertueuse.
– Même s’il existait des secteurs meilleurs que les autres pour l’Humanité de manière absolu, les entreprises de ce secteur ne sont pas pour autant abrités des mauvaises pratiques. Le secteur de la santé est symptomatique de cette discorde, les entreprises pharmaceutiques sont régulièrement accusées de s’opposer au libre accès des brevets ou encore de violer les règles de « bioéthique » (ex : Novartis accusé d’utiliser des organes transplantés de condamnés à mort en Chine).
– Certains secteurs jugés positifs ne peuvent être évalués car les capitalisations des entreprises du secteur sont faibles et celles-ci ne fournissent pas d’informations sociétales aux investisseurs. D’autre part, les secteurs qui ont un bénéfice direct pour la société (ex : réinsertion, logement social) ne sont pas cotés et sont davantage l’apanage de l’investissement solidaire que de l’ISR.
En conclusion, les méthodes proposées paraissent intéressantes mais chacune pose des problèmes rendant leur pratique concrète très compliquée. Les exclusions sont le fait de choix individuels pas toujours en rapport avec la responsabilité sociale et environnementale des entreprises, la pratique thématique est sujette à polémique et les pratiques de ces entreprises sont difficiles à évaluer.
Enfin, le périmètre d’investissement proposé est très restrictif et il paraît difficile d’investir 60 milliards d’euros uniquement dans les PME.
La grande majorité des PME ne publient pas de rapport développement durable rendant impossible l’évaluation de leur « niveau de responsabilité » .Une solution consisterait néanmoins à élargir le périmètre d’investissement aux ETI. Ces entreprises ne donnent pas non plus toutes des informations extra-financières. Le décret de l’article 225 du Grenelle de l’environnement ouvrira des possibilités d’investissement dans une partie de ces entreprises puisque dès 2013 (exercice clos de 2012), les entreprises de plus 2000 personnes seront (probablement) soumises au reporting sociétal et devront donner des indicateurs précis. Nous étudierons sur la base de ces conclusions la faisabilité d’un tel ISR.
56 Les amis de la Terre. Ibid, 2010.
57 Bloomberg. relevé du marché Alternext. 28 septembre 2011.
58 Gentside. http://www.gentside.com/insolite/les-films-x-rendraient-les-hommes-impuissants_art29605.html. www.gentside.com. [En ligne] octobre 2011.
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