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3. Logiques du développement durable urbain au niveau de la gestion des déchets

Dans cette partie nous tenterons de saisir en quoi la gestion des déchets s’inscrit plus
largement dans le champ des politiques de développement durable urbain, à partir des travaux de
Philippe Hamman et Christine Blanc(66). Toutefois, il est impératif d’apporter, au préalable, un
éclairage sur ce que recouvre la notion de développement durable. Il s’agit, en effet, d’un concept
flou, d’un « mot valise »(67) si nous songeons à la définition donnée par le rapport Brundtland –
« répondre aux besoins du présent sans compromettre la possibilité pour les générations à venir de
satisfaire les leurs »(68) – ou au diagramme situant ce concept à l’intersection des dimensions
écologiques, économiques et sociales (présenté ci-après). Finalement, le développement durable est
une thématique transversale qui entraine des dimensions « multi-échelles » et « multi-acteurs » et
s’intègre aux politiques publiques sur le mode de l’expérimental puisque, sa définition restant large
et théorique, il n’existe aucune application pratique préétablie. Cependant, la production d’expertises
sur les différentes politiques publiques menées en matière de développement durable vise à
systématiser ces pratiques afin de dégager des modèles susceptibles d’être étendus.

Schéma 2 : Le diagramme du développement durable

Source : http://fr.wikipedia.org/wiki/Développement_durable (page
consultée le 17 mai 2012)

3.A. Dimensions « multi-échelles » et « multi-acteurs »

Selon Philippe Hamman et Christine Blanc les politiques publiques de développement
durable se caractérisent par des dimensions « multi-échelles » et « multi-acteurs » que nous
retrouvons de façon prégnante dans la politique de gestion des déchets du Grand Besançon. En
effet, la mise en place d’actions publiques de développement durable nécessite une collaboration
accrue entre divers acteurs qui agissent à des échelles différentes et influent sur la définition locale
d’une politique de gestion des déchets ménagers. Voici une présentation synthétique de ces échelles
qui s’imbriquent.

• Au niveau « macro », plutôt stratégique, nous trouvons :

– Le niveau européen avec l’établissement de directives fixant des orientations à retranscrire
dans le cadre juridique de chaque pays membre de l’Union Européenne ;
– Le niveau national avec l’adoption de législations précisant les orientations de la politique
nationale de gestion des déchets ménagers (loi de 1975, loi de 1992, Grenelle de
l’environnement) ;
– Le niveau régional avec les directions régionales de l’ADEME qui appuient les collectivités
dans la mise en place de solutions techniques favorisant la réalisation des objectifs fixés au
niveau national ;
– Le niveau départemental avec l’établissement de Plans d’Élimination des Déchets Ménagers
et Assimilés (PEDMA) qui définit pour les années à venir les objectifs de valorisation et de
réduction des déchets produits ainsi que les moyens d’une gestion des déchets durable et
respectueuse de l’environnement ;

• Au niveau « micro », plutôt opérationnel :

– Le niveau intercommunal large avec, pour l’exemple de Besançon, le regroupement de 198
communes (représentant 225 000 habitants) au sein d’un EPCI en charge du traitement des
déchets ménagers, le SYBERT ;
– Le niveau intercommunal restreint avec le regroupement de 59 communes (représentant 176
000 habitants) au sein d’un EPCI en charge de la collecte des déchets ménagers, la CAGB ;
– Le niveau communal avec le ville de Besançon (117 000 habitants) qui n’a plus la
compétence de la gestion des déchets ménagers mais s’attèle quand même à promouvoir des
opérations de réduction ou de tri des déchets au sein de ses différents services grâce à ses
chargés de mission développement durable (exemple : Lancement, en 2012, de
l’expérimentation de compostage dans les restaurants scolaires de Besançon avec la
direction éducation) et à travers l’adoption d’un plan d’action consigné dans l’Agenda 21
local(69) (qui est en partie commun avec la CAGB);
– Le niveau du quartier avec les Conseils consultatifs d’habitants qui sont des relais souvent
sollicités pour favoriser l’implantation de composteurs en pied d’immeuble.
Ces exemples montrent l’imbrication des enjeux de développement durable qui s’intègrent aux
politiques publiques par le biais de compétences obligatoires (par exemple, l’obligation de prise en
charge des déchets ménagers par les communes), de compétences partagées ou déléguées (par
exemple, la constitution d’EPCI pour la collecte et le traitement des déchets), voire d’aucune
compétence puisque « la définition du développement durable urbain reste suffisamment ”ouverte”
pour permettre aux différentes collectivités de s’y inscrire »(70) (par exemple, la direction éducation de
la mairie de Besançon et les Conseils consultatifs de quartier).

Cependant, Philippe Hamman et Christine Blanc montrent que c’est le niveau
intercommunal qui a un rôle moteur en matière de développement durable et qui s’affirme de plus
en plus face à la ville. Toutefois, ce constat est à nuancer puisque la ville-centre, qui concentre la
majorité du poids socio-démographique et économique, est souvent à l’origine et au coeur du
regroupement intercommunal. Ainsi, c’est la ville de Besançon qui a impulsé une dynamique
novatrice dans la gestion intercommunale des déchets ménagers.

3.B. Des pratiques expérimentales

Le cas bisontin de la gestion des déchets ménagers confirme que « les projets de DD urbain
s’inscrivent d’abord dans des pratiques expérimentales, à petite échelle et marquées par la dimension
processuelle de leur concrétisation. […] La notion d’expérimentation renvoie à la fois au droit à
l’erreur, au développement de projets temporaires et à la mise en oeuvre sur des échelles réduites.

Elle est au centre d’un grand nombre d’actions en DD urbain : ce serait là un mode pertinent
d’application de projets, quand bien même on peut y voir une bifurcation par rapport à une politique
de plus grande ampleur. […] C’est cette expérimentation territorialisée qui permettrait une mise en
place concrète du DD, au-delà des grands principes. […] Cette démarche implique d’élaborer, au fil
des questions qui se posent, des solutions techniques »(71).

Afin d’en rendre compte, nous allons désormais focaliser notre analyse sur la politique de
prévention des déchets menée par le SYBERT depuis 2010 et notamment le compostage en habitat
collectif. Tout d’abord, notons que, contrairement aux solutions d’élimination classiques
(incinération, décharge) qui dessinent des modèles d’action stabilisés, voire figés, les actions de
prévention (compostage, éco-gestes, etc.) sont diversifiées et se développent de façon processuelle(72)
à travers des pratiques expérimentales.

Ainsi, « au printemps 2009, le SYBERT a lancé une étude stratégique, SYBERT 2025, afin
de trouver une alternative au vieux four d’incinération dans une logique de réduction des déchets
résiduels. L’objectif principal porte sur le détournement de la matière organique (déchets de cuisine
et autres déchets fermentescibles) de l’incinération et sa valorisation sous forme de compost et/ou
de biogaz. »(73). Au terme de cette étude stratégique, diverses solutions se profilent, notamment
l’instauration d’une collecte sélective des bio-déchets pour un traitement par méthanisation ou par
compostage industriel. Finalement, il s’avère que les solutions techniques avancées nécessitent des
investissements importants qui risquent de faire exploser le coût du service pour l’usager. Le
SYBERT réoriente alors sa politique en s’appuyant sur l’instauration de la redevance incitative pour
chercher des pistes alternatives(74) répondant à l’objectif de prévention.

La solution finalement retenue concernant les déchets organiques possède un caractère
expérimental : il s’agit de développer la gestion de proximité dans un contexte urbain où le
compostage en habitat collectif est un pari osé au vu du peu de retours d’expérience disponibles sur
ce type d’actions(75). En effet, seules quelques villes pionnières telles que Rennes se sont à l’époque
lancées dans la promotion du compostage en pied d’immeuble et cette solution technique est encore
à l’état embryonnaire. Affichant des objectifs de valorisation organique exigeants à moyen terme, il
s’agit dès lors pour le SYBERT de contribuer à l’expérimentation d’un nouveau modèle d’action en
vu de sa systématisation.

3.C. Dépasser l’expérimentation grâce à l’expertise

Dans cette perspective, « la constitution de l’expertise apparaît nécessaire pour produire des
instruments et outils »(76) qui servent à la fois à évaluer, orienter et consolider l’action menée. Cet
impératif se traduit par le renforcement du service valorisation organique du SYBERT via le
recrutement d’un maitre composteur et de la personne actuellement en charge de ce service. Le
SYBERT organise des formations de guides composteurs dès novembre 2010 reprenant un modèle
et une terminologie qui se sont répandus et standardisés au sein du monde associatif durant les
années 1990(77), avant de s’intégrer aux politiques publiques de prévention des déchets ménagers. Ce
phénomène se rattache à ce que Philippe Hamman et Christine Blanc nomment la « stabilisation de
”modèles” d’action en développement durable » et qui s’opère par des échanges entre collectivités et
associations.

En effet, les collectivités n’ont pas le monopole des questions techniques et « les
compétences constituées ”à l’interne” ne sont […] pas toujours suffisantes sur des problématiques qui
se complexifient, d’où l’appel à des prestataires externes. […] En parallèle, se renforce aussi un pôle
associatif expert sur les questions de DD urbain, en direction des acteurs publics. »(78). Tel est le cas
avec l’attribution du marché d’accompagnement des copropriétés à un prestataire externe :
l’association Trivial Compost.

66 HAMMAN Philippe, BLANC Christine, op. cit., 260 p.
67 Ibid., p. 20.
68 BRUNDTLAND Gro Harlem, Notre avenir à tous, Rapport de la Commission mondiale sur l’environnement et le
développement de l’ONU, 1987, p. 14.
69 « Le ”Sommet de la Terre” de Rio en 1992 a débouché sur l’adoption par 173 pays de la démarche d’Agenda 21 (pour
le 21e siècle), dont les Agendas 21 locaux sont une déclinaison territoriale, à travers un certain nombre de plans
d’action portés par les collectivités. Ces démarches se sont multipliées ces dernières années, en tant que telle ou via
des chartes s’en rapprochant ». Cependant, les Agendas 21 locaux constituent plus un support de débat public qu’un
outil opérationnel. HAMMAN Philippe, BLANC Christine, op. cit., p. 135.
70 Ibid.., p. 30.
71 Ibid., p. 139.
72 Comme le soulignent Philippe Hamman et Christine Blanc « l’opérationnalisation du DD urbain passe par des
pratiques graduelles, où l’on distingue de véritables cheminements de concrétisation. […] Cette progressivité du
raisonnement sur le plan technique se conjugue qui plus est avec des évolutions normatives courantes qu’il s’agit à
chaque fois d’intégrer ». Ibid., p. 142-143.
73 SYBERT, Lettre aux élus, mars 2010, p. 3.
74 La recherche de pistes alternatives répond aux objectifs suivants :
– écarter les investissements lourds ;
– réduire massivement la quantité de déchets par la prévention ;
– gérer localement les bio-déchets ;
– développer de nouvelles filières ;
– trouver des solutions alternatives pour l’excédent d’ordures résiduelles (exportation vers des incinérateurs
voisins) ;
– optimiser et mutualiser les outils existants ;
– utiliser au mieux les financements publics ;
– créer des emplois locaux.
75 Hormis la thématique des bio-déchets, nous retrouvons cette démarche expérimentale dans le domaine de la
promotion des éco-gestes via une communication basée sur une « expérience réalité » intitulée « Le ménage presque
parfait de Besançon et sa région », opération consistant à suivre une dizaine de foyers dans l’adoption de pratiques
quotidiennes destinées à réduire la production de déchets ménagers. Un site Internet permet aux participants de faire
part de leur expérience, d’échanger des conseils ou des pratiques, tout en constituant un support pédagogique
d’information pour la population bisontine.
76 HAMMAN Philippe, BLANC Christine, op. cit., p. 109.
77 Le « concept » de maître composteur apparaît en 1989 au Canada (Toronto). « En 1991, l’organisme à but non
lucratif Nature-Action Québec traduit les manuels de Compost Ontario et réfléchit à un centre de démonstration sous
l’impulsion de sa présidente Edith Smeesters, biologiste belge expatriée. L’organisme propose dès 1992 des
formations de maîtres composteurs d’abord sur la base du bénévolat puis, depuis 1995, grâce à des subventions
d’Environnement Canada. Le programme de formation québécois a été copié par la Belgique en 1996 » avant de
s’exporter en France quelques années plus tard. « En conclusion, cette nouvelle activité est relativement standardisée
du Canada à la France et on suppose qu’il existe un langage et des messages communs à travers ce mouvement
international. ». PHILIPPOT Véronique, Approche ethnologique de la pratique du compostage collectif citadin. Les
vertus citoyennes à l’épreuve de l’enquête., 2011, p. 97, Mémoire de master « Évolution, patrimoine naturel et
sociétés » au Museum national d’histoire naturelle en cohabilitation avec AgroParisTech.
78 HAMMAN Philippe, BLANC Christine, op. cit., p. 110.

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