Etant donné que j’ai dressé le portrait de François précédemment (voir page 33), j’estime qu’il n’est plus nécessaire de le faire ici.
3.1. Les acteurs, la contextualisation et les faits
3.1.1. Première séquence de la situation
a) Les acteurs en présence
• François
• 1 fille de 9 ans du groupe vertical mixte (dans la pièce à côté)
• Moi-même
b) Le contexte et les faits observables
L’événement a lieu un mercredi d’hiver, en début d’après-midi, après le déjeuner. La neige étant tombée de façon abondante la veille, elle a laissé un tapis blanc bien ferme et durable au sol. Je décide de saisir cette belle opportunité pour organiser une petite sortie à luge avec trois volontaires. J’obtiens l’adhésion enthousiaste de Michelle. Cherchant ensuite d’autres amateurs de glisse, je m’arrête au salon où je trouve François très appliqué à jouer avec sa console DS. Le garçon est enfoncé dans l’angle d’un canapé (celui-ci est lui-même inséré dans un angle de la pièce de telle façon à ce que le visage du bénéficiaire soit visible de profil quand j’entre dans la pièce) et ses genoux – où sont appuyés ses mains pianotantes – sont ramenés vers sa poitrine. Pendant que je suis ensuite installé à côté de lui pour l’aborder verbalement, d’autres jeunes passent et repassent par le salon sans nous interrompre.
MOI (avec délicatesse) : « Tu joues à quoi, François ? »
FRANÇOIS (brièvement, sans lever les yeux vers moi) : « Pokémon… »
MOI : « Et tu es qui dans le jeu ? Pikachu ? »
FRANÇOIS : « Non, chui dresseur de Pokémon. »
MOI : « C’est quoi ta mission ? »
FRANÇOIS : « Je dois attraper des pokémons pour les mettre dans mon équipe. »
MOI : « Aha ! L’équipe a-t-elle aussi une mission ? »
FRANÇOIS : « Oui !… »
MOI : « Laquelle ? »
FRANÇOIS : « Se battre pour gagner des autres pokémons. »
MOI : « Tu me semble bien concentré dans ta partie, mais tu ne voudrais pas venir avec Michelle et moi pour une balade en luge sur le ravel ? »
FRANÇOIS : « Non… »
MOI : « Je pense que ce serait vachement chouette. Je ferai comme la semaine dernière avec Bryan et Michelle : vous êtes assis sur la luge et, moi, je vous tire avec une corde attachée autour de ma taille. On s’éclatera bien, qu’en penses-tu ? »
FRANÇOIS : « Je n’ai pas envie. »
MOI : « Ça ne t’intéresse pas de jouer à l’extérieur, alors que nous avons de la chance de pouvoir profiter d’une neige qui ne fond pas ? »
FRANÇOIS (les yeux toujours rivés sur sa machine) : « Non… »
MOI : « En plus c’est beau de voir la nature et les arbres recouverts de blanc »
François reste muet et continue de faire aller ses doigts sur les touches de sa console. La posture de son corps n’a pas changé depuis que je suis arrivé dans le salon.
MOI : « Pourquoi ne veux-tu pas profiter d’une belle occasion de sortir pour t’éclater autrement que de rester le nez dans ta console ? »
FRANÇOIS (connectant son regard sur le mien) : « Parce que je suis aguik. »
MOI : « Tu veux dire ”addict” ? »
FRANÇOIS (son regard semble à nouveau absorbé par l’écran numérique, et de rajouter mélodieusement puis brièvement) : « Non… Aguik ! »
MOI : « Et c’est quoi ”aguik” ? »
FRANÇOIS : « Ben aguik… Tu vois… C’est aguik ! »
MOI : « Mais addict à quoi ? »
FRANÇOIS : « Ben aguik aux jeux. »
MOI : « Pour moi, tu n’es pas addict aux jeux vidéo. Mais je n’ai pas le temps de rester pour en discuter avec toi maintenant car Michelle m’attend pour aller luger. J’aimerais en rediscuter avec toi à un autre moment, ça te va ? »
FRANÇOIS (débit de voix mélodieux) : « Ça va… »
Je quitte la pièce afin de m’apprêter pour rejoindre Michelle, qui m’attend dans la pièce à côté.
3.1.2. Seconde séquence de la situation
a) Les acteurs en présence
• François
• 1 fille de 8 ans (elle se tient seulement à proximité, sans intervenir)
• Moi-même
b) Le contexte et les faits observables
Les interactions présentées se déroulent une semaine après la première séquence présentée. Nous sommes en fin d’après-midi d’une journée d’école, après l’achèvement des devoirs scolaires et avant le souper. François est une fois de plus installé dans le canapé dans la position que j’ai décrite auparavant, mais sans sa console de jeux vidéo. Toutefois, deux autres jeunes sont assis près de lui pour partager la télévision.
MOI : « François, tu te souviens de l’autre jour : quand j’avais dit que je voulais te reparler ? »
FRANÇOIS (mélodieusement) : « Ben oui… »
MOI : « Tu vois, je n’ t’ai pas oublié ! »
J’adresse un clin d’oeil à François qui, tout en restant silencieux, garde son regard fixé sur le mien sans autre mimique faciale.
MOI : « Tu viens ?… Je préfère t’en parler dans ta chambre car j’estime que ça ne regarde pas les autres. »
FRANÇOIS (voix altérée par un ton plaintif) : « Non pas maintenant, s’il vous plaît : j’ai envie de regarder la fin… »
MOI : « D’accord, ça va, pas de souci. De toute façon nous n’allons pas tarder de passer à table.
Alors c’est mieux aussi qu’on se voie après le souper. C’est bon pour toi comme ça ? »
FRANÇOIS : « OK… Ça va… »
Après le souper je viens donc une seconde fois à la rencontre de François au salon, tandis qu’il me semble à nouveau en osmose audiovisuelle avec la télévision. Je reste debout à l’extrémité du canapé d’où je l’aborde.
MOI : « Bon… François, tu viens ? »
François, sans mot dire, se lève d’un seul bon pour me suivre de suite.
Une fois que nous sommes entrés dans la chambre, François s’installe sur sa couche et contre l’angle mural dans lequel un coin de la tête de son lit s’insère. Il saisit l’une de ses multiples peluches qu’il plaque aussitôt contre lui, avant de rester complètement immobile. Je m’assieds spontanément sur le bord de son lit, à environ cinquante centimètres de lui. Il me fixe de ses yeux dirigés du bas vers le haut.
MOI : « Voilà… (soupir) Alors, ça va ? »
FRANÇOIS : « Ça va !… »
MOI : « Ne t’inquiète pas François : je n’ai pas voulu te parler à part pour te faire des reproches. »
FRANÇOIS (avec de la mélodie dans la voix) : « Je sais… »
MOI : « Pourquoi penses-tu que je voulais te voir alors ? »
FRANÇOIS : « Parce que je t’avais dit que je suis aguik ?… »
MOI : « Bingo !… Et c’est quoi ”aguik” pour toi ? »
FRANÇOIS : « Ben aguiiik… Tu vois… C’est aguik ! »
MOI : « Tu dis ”aguik” pour ”addict”, soit parce que tu es gêné d’en parler avec moi, soit alors pour me provoquer peut-être ?… »
Pas de réaction verbale de la part du garçon qui me fixe de ses yeux.
MOI : « Qu’est-ce que ça veut dire pour toi ”être addict” ? »
FRANÇOIS : « Ben… Euh… C’est aguik, c’est tout !… »
MOI : « Tu vois, François, je crois que c’est déjà un mot un peu compliqué et qu’on n’utilise pas forcément tous les jours. Je vais te dire, moi, ce que ça veut dire pour moi : ça veut dire être dépendant ou être accroc à quelque chose dont on ne peut pas se passer, parce que c’est plus fort que nous. Comme ça, on peut être accroc au chocolat, aux chiques et même – pourquoi pas – à sa console de jeux vidéo ou aux jeux à plusieurs sur Internet ou que sais-je encore ?… Maintenant, si déjà tu connais le mot, je pense que tu l’as entendu quelque part ou que quelqu’un t’as dit que tu l’étais en te voyant jouer très souvent à la DS pendant ton temps libre. Sinon, comment est-ce que tu m’aurais sorti ce mot pendant que tu jouais à la DS ?… C’est que tu as bien gardé ce mot, là, dans ta petite tête (j’appuie l’extrémité de mon index sur son front) et que tu sais par rapport à quoi il s’utilise, non ? Je me trompe ? »
Silence pendant que le bénéficiaire me regarde fixement avec un léger rictus à peine perceptible.
MOI : « C’est forcément quelqu’un du Foyer qui t’as dit ça, parce que c’est au Foyer que tu laisses ta console. A moins que ce ne soit ton grand-père ? »
FRANÇOIS : « Non… »
MOI : « Dans ce cas c’est quelqu’un du Foyer, autrement c’est pas possible ! »
FRANÇOIS : « Oui… »
MOI : « Un éducateur ? »
FRANÇOIS : « Non… »
MOI : « Une éducatrice ? »
FRANÇOIS : « Non… »
MOI : « Bon !… C’est forcément un enfant alors. »
FRANÇOIS (dans un rictus plus prononcé que précédemment) : « Oui… »
MOI (me frottant le menton entre l’index et le pouce) : « Aha ! T’aime bien jouer aux devinettes toi ? »
François me répond par un sourire avant de déconnecter son regard du mien en baissant les yeux.
MOI (dans un sourire et interrogeant brièvement) : « C’est qui ? »
FRANÇOIS : « Caroline. »
MOI : « Eh ben, moi, je trouve que c’est méchant de la part de Caroline de te dire ça : c’est comme si elle t’avait marqué sur le front : ”Je suis addict”, à l’indélébile !… Moi, je peux constater que tu ne l’es pas, bien que tu as tendance à abuser parfois avec la console, en restant dans un coin sans parler à personne, pendant que d’autres jouent ou discutent ensemble dans le Foyer. Addict tu ne l’es pas et je vais t’expliquer pourquoi… En fait, parce que tu vas à l’école et que tu fais d’autres activités comme les scouts, la piscine, le break ou encore le Conseil communal des enfants, et tout ça sans ta console, mec !… Est-ce que tu ne fais rien d’autre que penser aux jeux vidéo pendant que tu participes à l’une ou l’autre des activités que je viens de citer ? »
FRANÇOIS (débit de voix mélodieux) : « Ben… Non… »
MOI : « Ben voilà !… Dans ce cas tu n’es pas addict des jeux vidéo ou de ta DS. Si tu l’étais vraiment, tu y penserais sans arrêt. »
Sourire pincé de François.
MOI : « Bon maintenant, si un jour tu penses tout le temps à ta console et que cette pensée t’empêche de faire les choses convenablement dans une autre activité, alors là il faudra déjà plus s’inquiéter de l’addiction. Tu comprends ? »
FRANÇOIS : « Ben oui… »
MOI : « Moi ce que je peux te conseiller c’est d’avoir le plus d’activités possible et de te faire le plus d’amis possible dans la vraie vie, justement pour ne pas en arriver à cette addiction. Une addiction, c’est comme une prison qui peut nous couper des autres… En tout cas merci d’avoir accepté de discuter avec moi ce soir (sourire et clin d’oeil à François de ma part) . »
FRANÇOIS : « De rien… »
MOI : « Non, je te rassure, François, tu n’es pas aguik (sourire et clin d’oeil adressé de ma part à l’enfant). Mais évite de le devenir en essayant de tenir compte de ce que je viens de te dire. »
François sourit également.
MOI : « Allez, à plus. Et va vite te laver maintenant. »
Je quitte la chambre pour aller vaquer à d’autres tâches qui m’incombent.
3.2. Mon ressenti en situation et mon interprétation a priori des faits
• Par rapport à la première séquence présentée
a) Mes émotions et attitudes
• J’utilise comme stratégie d’ « accroche » de François mon intérêt pour son jeu, espérant qu’il s’intéresse ainsi à son tour à ce que je lui propose ;
• Lorsque François exprime sa réticence à changer d’activité, j’essaie de lui faire passer comme message qu’il serait bien plus passionnant de passer un bon moment de joie dans la neige que de rester « captif » d’un monde virtuel ;
• J’apprécie vraiment le côté féerique de la nature enneigée et j’essaye de communiquer cette enthousiasme au garçon ;
• En essayant de mesurer ce qui pourrait rencontrer son intérêt dans une activité saisonnière de plein air, j’entre en négociation avec lui ;
• Lorsqu’il maintient sa position à ne pas accepter ma proposition, je suis assez déçu ;
• Je suis un peu interloqué par sa prononciation du mot « addict », étant donné que je ne connais pas chez lui l’existence de difficultés de prononciation.
b) Mon interprétation
• L’enfant résiste à ma proposition de changer d’activité parce qu’il préfère rester plongé dans un monde virtuel pour anesthésier une angoisse existentielle ou une frustration passagère ;
• Il est bref dans ses réponses parce qu’il n’apprécie pas que je me sois immiscé dans sa « bulle virtuelle ».
• Par rapport à la seconde séquence présentée
a) Mes émotions et attitudes
• Je propose à François un entretien à l’écart de ses pairs parce que j’estime que la présence de ceux-ci en tant que « spectateurs » pourraient influencer ses propos ;
• Je lui propose que l’entretien se déroule dans sa chambre pour qu’il puisse se sentir plus en sécurité et être plus authentique sur son « territoire » ;
• J’accepte de postposer le moment de mon entretien avec François pour deux raisons :
• lui permettre de satisfaire son besoin de regarder son programme télévisé jusqu’à la fin ;
• le moment du souper se faisant proche, je n’aurais pas pu mener mon dialogue avec lui jusqu’au bout avant.
• En l’interrogeant pour savoir s’il a une idée du motif de ma sollicitation, je suppose qu’il a déjà un pressentiment de la raison.
• Je veux lui spécifié que je ne suis pas dupe : j’ai bien compris qu’il prononce « aguik » pour me parler de son attrait infatigable pour les jeux vidéo.
• Je suis fâché d’apprendre que quelqu’un ait pu lui coller une étiquette ;
• Pour lever toute stigmatisation éventuelle, j’argumente la raison pour laquelle je pense qu’il n’est pas dépendant.
• J’espère qu’il tiendra compte de mes quelques recommandations préventives.
b) Mon interprétation
• François a envie de regarder son programme télévisé jusqu’au bout parce qu’il est absorbé par l’histoire de la série qu’il regarde ;
• Une fois dans la chambre, il ramène sa peluche pour créer une barrière de protection entre lui est moi ;
• Il veut éviter de me dire pourquoi il dit « aguik » afin éviter des pourparlers : il a mieux à faire ;
• Il « me regarde fixement avec un léger rictus » parce qu’il est gêné par mon geste tactile sur son front ;
• « François me répond par un sourire avant de déconnecter son regard du mien » parce qu’il se sent « démasqué » dans le fait que je dise un peu vrai.
3.3. Des informations complémentaires
• François ne se laisse pas facilement interpeller pour une autre activité de loisir improvisée, même pour son tour de vaisselle officiel, lorsqu’il est absorbé par un écran : DS, ordinateur, télévision (constat établi par moi-même), mais semble davantage ouvert au dialogue depuis deux semaines (fait que je partage avec mes collègues à l’occasion d’une réunion d’équipe) ;
• François a été placé pour maltraitance parentale (rappel).
3.4. Ouverture du champ des possibles
3.4.1. Mon questionnement
• A l’examen de la première séquence
• François ne serait-il pas gêné de devenir « un objet de curiosité » quand je lui pose toute une série de question par rapport au fonctionnement de son jeu ?
• A-t-il pour objectif d’atteindre un certain niveau dans son jeu et se résigne-t-il par conséquent pour faire une quelconque autre activité ? Ou est-ce plutôt son discernement de ma stratégie d’approche qui l’ait mis en position de résistance ?
• Préférerait-il que ce soit un autre éducateur qui organise et anime la sortie que je lui propose ? Penserait-il mieux s’amuser avec autre éducateur pendant un tel moment récréatif ?
• L’ai-je pris au dépourvu ? Dois-je par conséquent lui proposer une activité, à réaliser avec lui, plusieurs jours à l’avance ?
• Sachant lui-même que Michelle participe à la balade, voudrait-il l’éviter et pour quelle raison ?
• Se sent-il jugé lorsque je lui demande pourquoi il ne veut pas se divertir dans la neige plutôt que de « rester le nez dans » sa console ?
• Quelle(s) activité(s) à vivre ensemble de la réalité non-virtuelle pourrait être source de plaisir à la fois pour lui et moi ?
• Quel est le sens pour lui de dire « aguik » au lieu d’« addict » ?
• Que suscite en lui le fait que je n’apporte pas de précision quant « à un autre moment » où « j’aimerais en rediscuter avec » lui ?
▪ A l’examen de la seconde séquence
• A-t-il vraiment envie de regarder son programme télévisé jusqu’au bout ou utilise-t-il un prétexte par crainte de se retrouver nez à nez avec moi, hors de la vue des témoins de la maison ? A quoi cette éventuelle crainte est-elle liée ?
• Ne suis-je pas finalement en train de me mettre en difficulté professionnellement en invitant le garçon à bavarder en l’absence de témoins, qui plus est dans un lieu d’intimité ? Voit-il comme intrusif le fait que je m’asseye sur le bord de son lit sans lui en demander la permission ?
• S’obstine-t-il à maintenir la prononciation hors norme en espérant me faire sortir de mes gongs un moment, par simple amusement ?
• Caroline l’a-t-elle vraiment taxé d’addict ou François invente-t-il cela pour faire cesser mon interrogatoire obstiné qui l’exaspère ? Quand bien même Caroline ne l’ait pas fait, quelle portée mes propos vis-à-vis d’elle auront-ils ?
• Est-ce un souci pour François qu’on puisse le désigner sous cette appellation ?
3.4.2. Mes hypothèses de compréhension
1) Il se divertirait davantage par le jeu vidéo que par une quelconque autre activité (première séquence) ;
2) Sa console est le comportement/moyen qu’il a trouvé – ici et maintenant – comme étant le mieux adapté pour sublimer stress, frustration ou angoisse ;
3) Il ne veut pas « décrocher » de sa console car il se serait fixé d’atteindre une performance à tout prix, pour développer son « image de marque » auprès de ses pairs. Cette forme de reconnaissance par autrui favoriserait en même temps l’augmentation de son estime de soi* ;
4) Il préférerait que la sortie se face avec un ou plusieurs autres de ses pairs, plutôt qu’avec Michelle avec qui il aurait moins voire aucune affinité (cf. L’identité sociale*) ;
5) Chacun de nous est en zone d’inacceptation* par rapport à l’autre : moi en communiquant des « messages* solution » et des messages dévalorisants ; le bénéficiaire par des messages d’évitement.
6) Mon mode de fonctionnement relationnel, dominé par les états du moi* de Parents nourricier et normatif négatifs*, ne viendrait pas rencontrer François dans ses désirs et attentes. Par conséquent, il se comporte le plus souvent selon un l’état du moi d’Enfant rebelle ou soumis*.
7) « Aguik » ferait partie de ses habitus* correspondant à un groupe ou sous-groupe de pairs auquel il appartient ;
8) Le garçon persisterait à employer une prononciation déformée du mot « addict » pour créer entre nous un jeu relationnel susceptible de favoriser l’escalade
symétrique*. Cette escalade l’amuserait ou serait une stratégie de diversion par rapport à ma sollicitation dont l’objet ne l’inspire pas vraiment ;
9) Lorsque je ne conviens pas avec lui des moment et endroit précis pour « en rediscuter », François pourrait ressentir une espèce d’ambivalence flottante ou rester avec une information qu’il peut oublier dans le temps.
10) Le garçon aurait des réactions d’auto-protection (déclination de venir s’entretenir une première fois, placage d’une peluche contre lui, regards bas ou fuyants, léger rictus, etc) là où il se sentirait menacé dans son intégrité psychocorporelle, par l’actualisation de peurs archaïques* possiblement liés aux maltraitances de sa petite enfance ;
11) Lorsque je suis en position de jugement de valeur, François ne serait pas rejoint dans ses besoins de sécurité et d’estime et l’empêche par conséquent de s’épanouir pleinement.
3.5. Hypothèse d’intervention
Je sélectionne les hypothèses d’interprétation 5 et 6 pour en dégager des pistes de solution. Pour être pertinente, mon intervention devra consister à (r)établir et maintenir une relation de confiance avec François :
1° Par l’exercice de plus d’empathie* vis-à-vis de ses besoins explicites et implicites ;
2° En m’exprimant en « je » lorsque je suis en zone d’inacceptation ;
3° En induisant les transactions* suivantes :
3.6. La mise à l’épreuve de l’hypothèse
Cette entreprise va se dérouler en deux temps :
1° J’entrerai dans un véritable dialogue avec François qui me semble dans de bonne prédispositions relationnelles, puisque c’est lui-même qui viendra me solliciter ;
2° J’organiserai une sortie VTT dont le parcours et la destination semble l’intéresser et à laquelle il participera avec une grande motivation.
1) Par un après-midi ensoleillé d’avril, une éducatrice et moi-même encadrons un groupe de six enfants du Foyer sur une plaine de jeux communale. Pendant ce temps, François et d’autres jeunes du Foyer, accompagnés par une autre éducatrice, sont à la piscine communale qui se situe juste à côté du terrain de jeu.
Lorsque le groupe dans lequel se trouve François revient de sa séance nautique pour nous rejoindre à la plaine, ce dernier vient vers moi pour me demander poliment si je veux bien l’accompagner pour aller au « terrain de sport ». L’endroit auquel il fait allusion est en fait un espace de plein air aménagé au moyen d’appareils de fitness – conçus pour résister aux intempéries – destinés aussi bien à l’usage par des sujets « valides » qu’aux personnes en situation de handicap. Là il me demande de lui montrer concrètement comment utiliser chaque machine. Je m’exécute et il semble manifester beaucoup d’attention car il regarde fixement chacun de mes faits et gestes, tandis que je lui explique soigneusement mes mouvements. Il prend mon relais, après chacune de mes explications, en testant les spécificités de chaque dispositif.
Ensuite, je lui demande s’il apprécie les séances de piscine et ce qui le motive précisément pour s’y rendre. Il me répond qu’il aime bien y aller parce qu’il est capable de faire beaucoup plus de choses dans l’eau que les autres enfants du Foyer qui y vont en même temps que lui. A ma demande, il me décrit une à une ses performances nautiques.
Enfin, il me confie qu’il aimerait revenir un autre jour avec moi sur ce terrain de sport. Dans un premier temps, je lui explique que ce ne sera pas possible pour moi étant donné que, en tant que stagiaire, je ne suis pas autorisé à utiliser le véhicule de transport du service parce que je ne suis pas assuré à cet effet. En conséquence il me déclare que je peux bien utiliser ma propre voiture. Je l’informe encore que je ne suis pas assuré pour utiliser mon véhicule personnel à des fins professionnelles. Il semble déçu car il détourne aussitôt son regard de moi et s’éloigne pour s’asseoir sur un autre appareil. Puis, réflexion faite, j’interpelle François pour lui demander s’il n’était pas partant pour revenir un jour ici à vélo, par le RAVeL, en partant de l’institution. Il semble manifester beaucoup d’enthousiasme à cette idée : « Ouais !… Cool !… ».
Je lui dis que je retiens ce projet en sa faveur en lui promettant de le réaliser dès que le temps le permettra, mais qu’il y aura certainement d’autres enfants du Foyer qui seront avec nous. Il m’affirme explicitement que ça ne le dérange pas.
2) Début mai, les prévisions météo indiquent un temps au beau fixe pour quelques jours. Avec l’aval du chef-éducateur, j’en profite pour programmer deux sorties VTT qui se dérouleront chacune lors d’un jour férié inclus dans la période de ces bonnes prévisions. Pour chaque cyclo-randonnée, je compte trois enfants adhérant au projet. Bien qu’il ne soit pas possible d’aller jusqu’au terrain de jeux du mois dernier (un tronçon du chemin nous obligerait à emprunter
une route nationale trop dangereuse à cause de sa sinuosité et son trafic), François garde sa motivation car la nouvelle destination ainsi que le programme du circuit l’intéressent également.
François participe à la seconde virée avec Michelle et moi-même, la troisième cycliste potentielle s’étant désisté. Le garçon semble avoir pris en considération les recommandations de sécurité que j’avais faites au groupe avant le départ, car il les applique toutes. Chaque fois qu’il décide de prendre une initiative personnelle faisant une entorse à mes consignes de route, il m’en demande expressément la permission. Comme tout se passe bien, je n’hésite pas à lui octroyer une marge de manoeuvre susceptible de lui faire expérimenter liberté et responsabilité personnelle. Chemin faisant, je réponds à ses nombreuses questions touchant à l’environnement comme la faune et la flore. Je suis ravi qu’il s’intéresse à ces éléments de la nature et le lui exprime.
Lorsque nous arrivons dans la commune de destination, je propose à mes compagnons de route de nous arrêter sur la plaine de jeux de notre point d’arrivée où je les guide, au gré de leurs sollicitations, dans l’exploration d’un portique métallique censé solliciter toutes leurs dextérités physiques. Ensuite un autre dispositif ludique à axe rotatif central et flanqué de deux sièges semble les attirer de façon plus exclusive car ils y retournent souvent. Un moment, je décide de les faire tourner sur ce module en les poussant répétitivement. La vitesse favorisée par cette poussée répétitive semble les amuser car, dans le tournoiement interrompu, ils rient aux éclats et en redemandent de façon inconditionnelle.
Après avoir pris le goûter de seize heures sur l’aire de jeux, nous nous déplaçons vers un second endroit de divertissement. Il s’agit d’un terrain vague dont les monticules de terre successifs, irréguliers les uns par rapport aux autres en taille et volume, sont coiffés d’une piste cyclable formant un circuit. J’ai désigné cet endroit tant convoité, auquel les enfants n’avaient pas attribué de nom, par « piste de cross ». Je participe à leurs multiples passages sur cette piste en exprimant, comme eux, ma joie d’expérimenter ce manège.
Nous rentrons finalement tous les trois au Foyer comblés par notre escapade.
François est tellement satisfait qu’il me demande d’organiser une réunion où chacun pourrait exprimer son ressenti par rapport à la sortie vécue ensemble. Je suis OK pour ce débriefing.
Michelle ne souhaite pas y prendre part, je ne l’y oblige donc pas. François et moi échangeons mutuellement ce que nous avons le plus apprécié au cours de notre aventure. Je n’oublie pas de le remercier pour sa contribution au déroulement positif de notre activité partagée.
3.7. Evaluation de l’impact de mon action
1) Dans la première situation, le bénéficiaire vient me trouver de son propre chef par rapport à un désir. Je réponds à son besoin et lui fais des propositions allant dans le sens de ses attentes, en tant que Parent nourricier positif. Nos échanges s’en trouvent enrichis et nous rapprochent dans la relation, puisque le garçon lui-même finit par exprimer son désir d’une activité future à réaliser avec moi.
2) Dans le second cas de figure, je fonctionne tout d’abord en Parent normatif positif en posant un cadre de sécurité avant notre départ. Une fois ces consignes intégrées et appliquées par les enfants, je peux d’une part mieux fonctionner en Parent nourricier positif*. D’autre part cela m’ouvre le champ à l’expression de mon Enfant libre qui va partager plaisirs et joies avec l’Enfant libre* des usagers, sans risquer de perdre le statut d’autorité* au sens étymologique du terme. Le résultat s’en avère véritablement satisfaisant étant donné que François lui-même réclame l’évaluation collective de cet après-midi récréative. Ceci a pour effet de m’enchanter pleinement et m’amène à attribuer un renforcement positif qui me semble resserrer notre lien de plus belle.