Comme de nombreuses politiques publiques, les MAEt sont élaborées selon un schéma « top-down ». Leur cahier des charges est construit à partir d’engagements unitaires élémentaires par concertation au niveau national et doit ensuite être adapté localement pour répondre de manière optimale aux enjeux locaux. Cependant, comme évoqué précédemment, la transition de l’échelon national à local comporte des risques : stratégies d’appropriation, adaptation sommaire aux enjeux locaux, non-adhésion des exploitants par manque de confiance envers leurs interlocuteurs… La mise en place de la gouvernance locale est rarement sans obstacle.
Plus rarement dans les politiques agri-environnementales, les mesures naissent d’une démarche « bottom-up ». Une succession d’initiatives locales réussies par les exploitants est portée jusqu’au niveau national. Dans ce cas, l’instrumentalisation des mesures ou la réticence des agriculteurs pour la contractualisation est limitée.
Récemment, un tel procédé a montré des caractéristiques intéressantes pour près de 1500 agriculteurs de l’ouest de la France : la MAE « Systèmes fourragers économes en intrants » (SFEI). Construite par les agriculteurs selon un ensemble cohérent d’engagements, la SFEI s’applique à l’ensemble de l’exploitation (de l’assolement à l’alimentation du troupeau en passant par la fertilisation) contrairement aux MAEt qui concernent le plus souvent les parcelles. L’intérêt d’une telle approche est de pouvoir reconcevoir le fonctionnement d’une exploitation sans les blocages occasionnés par les démarches partielles et monothématiques.
Dès lors, l’idée d’élaborer une seconde MAE généralisable à plusieurs types d’exploitations a fait son chemin en respectant la même démarche ascendante. La MAE « Systèmes de culture économes en intrants » (SCEI), applicable aux exploitations à dominante grandes cultures (aux céréaliers comme aux éleveurs de monogastriques), a été testée de 2008 à 2012 dans 56 exploitations volontaires aux conditions pédoclimatiques, aux orientations technico-économiques et au mode de gestion (intensif à agriculture biologique) différents. Le cahier des charges initial, difficile à mettre en oeuvre pour la plupart des exploitants par son exigence, a été amendé et simplifié en 2012 afin de le rendre performant au niveau environnemental et réalisable sur le plan technico-économique (Cf. Annexe). L’avantage second de cette MAE est l’utilisation de leviers agronomiques qui ont une certaine portée pédagogique et modifient progressivement et « en cascade » les pratiques sources d’azote. A titre d’exemple : l’interdiction de l’usage d’un raccourcisseur de tiges implique la réduction de la fertilisation azotée ; l’obligation de diversification des cultures induit la mise en place de cultures de printemps … La réussite d’une telle mesure implique la mise en action simultanéede tous les leviers. L’accompagnement de l’exploitant, sans toutefois lui imposer une solution « clés en main », est indispensable à ce type d’opération.
Les études en cours témoignent toutefois des difficultés de mise en place de telles mesures à grande échelle : modifications profondes de l’organisation du travail, augmentation des déplacements entre parcelles plus petites et diversifiées ou encore investissements en matériel qui « devraient » être compensées économiquement par la réduction des charges liées à l’achat d’intrants. Les SCEI possèdent le deuxième inconvénient d’être spécialisées aux régions du grand Ouest dont les systèmes de production bénéficient d’un atelier d’élevage.
Leur transposition aux exploitations spécialisées en grandes cultures pourrait poser un problème de débouché pour les cultures de diversification (fourrages, légumineuses) pour lesquels il n’existe pas toujours de filière ou d’atelier d’élevage pour valoriser la production.
Ce type de MAE pourrait cependant convenir aux exploitations présentes sur le bassin versant de la Seille. La SCEI nécessite également une adhésion de long terme qui doit être rendue possible par les politiques nationales.
Comme pour toute politique publique susceptible d’être implantée à grande échelle, il conviendrait d’évaluer les conséquences économiques de la généralisation des SCEI, non seulement sur les agriculteurs, mais également sur les acteurs économiques en amont et en aval des exploitations.
Tableau X : Récapitulatif des logiques d’action des différentes MAE
La démarche « bottom-up » apparait comme une démarche originale et plutôt pertinente pour l’élaboration de systèmes agricoles économes en fertilisation azotée. La réussite bretonne des SFEI et des SCEI ne garantit toutefois pas leur transposabilité à tous les systèmes de culture. En ce sens, une solution envisageable pourrait être de s’inspirer à la fois des MAEt et des SFEI. La définition des unités d’engagement dans les MAEt pourrait se doter d’un processus d’amélioration efficace et fondé sur les retours d’expérience inspirés de la démarche « bottom-up » à l’origine des SFEI. Inversement, la formation et l’animation inhérentes au dispositif MAEt devrait favoriser la diffusion des SFEI.
Il conviendrait donc, pour les gestionnaires, d’utiliser les MAE comme une « boite à outils » et non comme une solution « clé en main », figée. Il s’agit de ne pas privilégier une approche (biodiversité, eau…) sur une autre mais de réussir à les équilibrer et à considérer leur interaction avec les MAE voisines pour apporter de la cohérence au dispositif agri-environnemental (Par exemple, coordonner tous les volets « Eau » des MAEt d’un territoire)
Dans ce contexte, la caractéristique principale d’une politique publique agri-environnementale efficace en termes de réduction de la pollution azotée devrait être sa possibilité d’allier une démarche « top-down » qui assurerait la transposition d’un cadre commun au niveau local, et une démarche « bottom-up » qui laisserait la possibilité aux exploitants et aux acteurs locaux de définir eux-mêmes la forme des MAEt les plus à même de constituer des outils pour répondre aux spécificités de leur territoire.