6. Jacques Villeglé, ABC, collage d’affiches, 1959
Commençons par un collage de citation, soit Marc Guillaume citant Pierre Sansot citant John Cage : « Le monde est un immense collage… un autobus rempli de personnes qui ne se connaissent pas et qui passent devant une cathédrale gothique tandis qu’une publicité lumineuse vante une marque de cigarette (42)». La ville est un lieu de rencontre et d’expérience, à la forme multiple, changeante, glissante, bien trop grande pour être saisie par l’œil nu, bien trop détaillée pour être jamais lisible intégralement. La ville est un lieu d’esthétique et un lieu esthétique : un gigantesque musée de plein air au moins aussi fascinant que ses collections.
Krzysztof Wodiczko constate : « Depuis le XVIIIème siècle au moins, la ville fonctionne comme un projet esthétique et muséologique grandiose, comme une galerie d’art public monstrueuse, consacrée à d’énormes expositions, permanentes ou temporaires (43)». Architecture, jardins, peintures murales – officielles ou non –, spectacles, performances, événements en tous genres, spontanés ou programmés, parfois véritables « happening » politiques : la ville est une scène artistique toujours ouverte, mais aussi un théâtre du « politico-privé ». A la fois musée et collection, la ville est sans pareille pour son accès permanent et gratuit et pour le rapport au site que les œuvres exposées entretiennent : pas de White Cube qui tienne, le contexte détermine essentiellement la création et la réception.
Daniel Pinson fait remarquer que « l’art dans la ville est à distinguer de l’art de la ville (44)». L’art de la ville, c’est celui du maître d’œuvre, architecte ou ingénieur ; c’est donc la ville comme « artefact », produit et cause du développement de la culture humaine « dans une causalité circulaire (45)». L’art de la ville est la « composition d’ensemble de la ville comme celle de ses quartiers, les architectures, grandes et petites, qui en forment les pleins, et le traitement minéral et végétal de ses espaces publics, qui en forment les vides (46)». C’est la ville comme projet de vivre ensemble. L’art dans la ville est ce qui l’adorne, l’habite ; et « l’art de la ville constitue […] une part essentielle de l’art dans la ville ». Car, visuel ou « vivant », sculpture, peinture, musique ou théâtre de rue, l’art dans la ville est tributaire de l’organisation physique de la ville pour s’exposer ou se déplacer, tout comme l’art de la ville est formé par ces « événements ponctuels qui changent, pour un jour ou pour une période plus longue, le “visage” d’une ville et participent non moins que sa structure permanente de l’identité de cette ville ».
Venise est l’exemple parfait d’une « ville d’art » : connue à la fois pour sa structure, canaux et palais, et pour ses événements, biennale et carnaval, elle est le fruit d’une production collective et multiséculaire, guidée autant par des décisions esthétiques que par des nécessités naturelles, commerciales ou guerrières. La ville est donc « palimpeste », une « œuvre d’art collective du temps long ».
42 Marc Guillaume, La contagion des passions, p. 20
43 Krzysztof Wodiczco, Art public, art critique, p. 7 et citations suivantes
44 Daniel Pinson, Traité sur la ville, pp. 513
45 Jean-Marc Stébé, Hervé Marchal, « Introduction », in Traité sur la ville, p. 7-8
46 Daniel Pinson, Traité sur la ville, p. 513-514 et citations suivantes
Page suivante : 3.2 La ville au quotidien
Retour au menu : L’ART DE L’ESPACE PUBLIC : Esthétiques et politiques de l’’art urbain