Longtemps considérée comme un modèle de développement et de stabilité politique, la Côte d‘Ivoire avait été sérieusement ébranlée économiquement. La crise avait eu des effets négatifs sur la croissance, au point où le pays n‘avait pu tirer profit d‘un environnement régional et international favorable depuis quelques années. Ainsi, la croissance réelle du PIB avait été fortement ébranlée en 2000, avec un taux annuel de -2,3%. Elle avait évolué négativement, dès le début de la crise en 2002 jusqu‘en 2003, puis avait connu une remontée, pour se situer à 1,8% en 2004 et 2005, pour s‘établir à +1,2% en 2006(164). Toutefois, malgré une bonne tenue du binôme café-cacao, l‘extraction pétrolière qui a connu une certaine embellie depuis 2004, à laquelle il faut rajouter un développement rapide du secteur des télécommunications avec l‘arrivée de nouveaux opérateurs sur le marché, on avait noté une baisse générale des activités avec pour conséquence, une incidence sur les finances publiques qui, malgré des performances des régies financières, avaient accumulé un niveau d‘arriérés intérieurs et extérieurs représentant 24% du PIB.
De nombreuses entreprises avaient délocalisé de la Côte d‘Ivoire. Le niveau des investissements avait fortement chuté passant de plus de 11% du PIB en 2002 à 8% en 2006. Le taux de chômage urbain avoisinait les 40% de la population active. Les magasins fermés, les impôts en souffrance et l‘absence d’interlocuteurs: l’économie de la Côte d’Ivoire, un moteur pour l’Afrique de l’Ouest, était menacée par le blocage politique. “Lequel allons-nous payer ? Ça ne peut pas durer longtemps car on ne va plus payer (les impôts à) personne”, avait expliqué Jean- Louis Billon, président de la Chambre de commerce de la Côte d’Ivoire. “Au bout d’un moment, l’Etat ne pourra plus payer ses fonctionnaires et je ne crois pas que l’armée ou la police accepteront de ne plus être payés”, avait-il ajoute. “Ça n’est jamais arrivé dans ce pays auparavant”, avait-il relève(165).
Le montant des impôts en 2009 avait représenté pour l’Etat 3,5 milliards de dollars (environ 2,7 milliards d’euros), soit 15% du PIB de la Côte d’Ivoire, selon la Banque mondiale. Le patronat ivoirien avait prévenu que le pays courait à la “catastrophe” si la situation n’était pas rapidement débloquée et avait recommandé à ses adhérents d’attendre des instructions sur le paiement des taxes. Le pays voyait en outre s’éloigner la perspective d’un allègement de dette de trois milliards de dollars car le Fonds Monétaire International(FMI) ne travaille pas avec les gouvernements non reconnus par l’ONU.
Les conséquences économiques de cette paralysie au sommet de l’Etat étaient difficiles à mesurer. La perte était importante pour l’industrie du cacao, qui représente plus d’un cinquième de l’économie ivoirienne. Les livraisons de cacao aux ports d’embarquement d’Abidjan et San Pedro avait accusé une forte chute. Seules 16.174 tonnes de fèves avaient été recensées durant la semaine s’achevant le 28 novembre 2010, jour du second tour d‘élection présidentielle, contre 128.090 tonnes la semaine précédente.
“Nous sommes inquiets. Nous ne savons pas qui est vraiment légitime dans la situation que nous vivons”, avait dit un exportateur de cacao. “On ne sait même plus qui doit signer les papiers d’exportation. Nous sommes préoccupés parce que si nous collaborons avec l’équipe actuelle et que la roue tourne, est-ce que nous ne ferons pas l’objet de représailles après ?”, s’interrogeait-il.
L’organisation patronale CGECI avait affirmé que le processus électoral, censé restaurer la confiance dans le pays et accélérer la réconciliation nationale, avait “trompé” les ivoiriens. “Pour de nombreuses entreprises, la situation économique et financière commence à déjà être difficile et elle risque de s’aggraver si la situation politique actuelle perdure au-delà du 15 décembre 2010,” avait dit la CGECI.”À cette date, de nombreuses entreprises ne pourront pas honorer leurs engagements fiscaux, tandis que d’autres risquent de mettre la clé sous le paillasson”, avait-elle ajouté.
Dans le même temps, l’instabilité et la fermeture des frontières avaient fait grimper les prix de produits de première nécessité comme la viande et le riz. Une tomate valait trois fois plus cher qu’avant l’élection. “Certains commerces sont ouverts, d’autres sont fermés, les gens sont tendus”, avait dit un chauffeur de taxi sénégalais rencontré à Abidjan, qui disait gagner près de deux fois moins d’argent depuis le second tour.
Cette situation de tension, qui avait commencé à embraser le pays par des violences perpétrées sur les populations, était loin d‘arranger l‘économie qui commençait à se refaire une santé. Au point où certains experts avaient tablé sur une croissance positive dans l‘ordre de 4% à 5%. Mais Laurent Gbagbo voulait changer la donne à cause de son obstination. Premièrement, les chances de la Côte d‘Ivoire d‘atteindre le point d‘achèvement dans le cadre de l‘initiative Pays Pauvre Très Endettés (PPTE) s‘amenuisaient fortement au fur et à mesure que l‘instabilité gagnait du terrain(166).
En dehors des bailleurs de fonds, la Confédération générale des entreprises de Côte d‘Ivoire (CGECI) avait menacé de ne plus honorer ses engagements fiscaux dont le paiement des impôts et de procéder à des licenciements et des chômages techniques si la situation perdurait au-delà du 15 décembre 2010. Depuis la proclamation des résultats, de nombreuses pertes de marchés à l‘extérieur et une baisse notable des activités avaient été enregistrés. Pendant une semaine, les activités économiques étaient restées en berne avec des conséquences évidentes au niveau des recettes fiscales et douanières. De sources bien introduites, la douane avait subi des pertes dans l‘ordre de 30 milliards en une semaine.
Au niveau du transport maritime, la destination Côte d‘Ivoire n‘était plus recommandée par les pays de l‘hinterland, au profit des autres ports de la sous-région. Il était clair que dans ce climat de tension, les difficultés de recouvrement des recettes publiques dans les régies financières se renforçaient. Ainsi, pendant que les recettes fiscales étaient en baisse, le déficit budgétaire connaissait une hausse. Le secteur des transports, quant à lui, avait beaucoup souffert de la fermeture des frontières et surtout de l‘instauration du couvre-feu entraînant du coup un renchérissement du coût des importations et une augmentation des primes d‘assurances.
De grosses pertes financières dues aux difficultés d‘exportation des produits vivriers et des cultures de rente avaient été enregistrées. Et la liste n‘était pas exhaustive. L‘intérêt du peuple ivoirien semblait être le dernier des soucis de l‘ancien président de la Côte d‘Ivoire. On n‘avait pas besoin d‘être opérateur économique ou économiste pour comprendre que si toutes ces menaces des bailleurs de fonds étaient mises en application et que l‘économie intérieure n‘était pas restaurée, la Côte d‘Ivoire courait à sa perte.
Dans l‘ensemble, après plusieurs années de tractation politique suivies de cinq mois de crise postélectorale, l’économie ivoirienne restait au bord de l’asphyxie. Le port d’Abidjan était désert ; la ligne de chemin de fer qui relie la capitale économique à Ouagadougou, au Burkina, était à l’arrêt ; la plupart des entreprises avaient été pillées et leurs patrons se terraient en ville ou s‘étaient exilés. Les banques ne fonctionnaient plus. L’aide humanitaire arrivait au compte-goutte. Plus de 1 million de personnes avaient fui les combats et plus de 200 000 habitants de l’Ouest avaient trouvé refuge au Liberia.
« Nous mettons les bouchées doubles pour reprendre nos activités », avait indiqué Dominique Lafont, directeur général de Bolloré Africa Logistics. Le premier navire en provenance de Dakar, était attendu le 16 avril 2011. Quant au personnel de la Sitarail, ils nettoyaient les voies. La réouverture de la Banque centrale avait eu lieu mardi 26 avril 2011. Un nouveau directeur national de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), Jean-Baptiste Aman Ayayé, avait pris rapidement ses fonctions pour donner un nouveau départ à cet établissement dont les coffres avaient été pillés par le camp Gbagbo. « J’ai demandé qu’Abidjan soit approvisionné au plus vite en billets pour que les banques commerciales puissent se réalimenter », avait indiqué Alassane Ouattara.
Charles Diby Koffi, le ministre de l’Économie et des Finances, était également à pied d’oeuvre. Après avoir assisté aux réunions de la zone « franc » à N’Djamena (Tchad), il s’était rendu du 14 au 17 avril 2011 à Washington pour assister aux Assemblées de printemps des institutions de Bretton Woods. Robert Zoellick, le président la Banque mondiale (BM), et Dominique Strauss-Kahn, lors directeur général du Fonds monétaire international (FMI), avaient promis un soutien d’urgence (100 millions de dollars pour la BM).
La France avait accordé quant à elle une aide de 400 millions d’euros pour régler, entre autres, les arriérés de paiement. « D’ici à un an, le pays pourrait bénéficier d’une réduction d’au moins 3000 milliards de F CFA (4,5 milliards d’euros) de sa dette extérieure, qui est estimée à plus du double » avait affirmé Charles Diby Koffi. L’Union européenne s’était également engagée à fournir une aide de 200 millions d’euros.
164 Voir à ce sujet, Revue du DSRP-I, MEMPD, juin 2008 et Le Plan Cadre des Nations Unies pour l‘Aide au Développement (UNDAF) 2009-2013 en Côte d‘Ivoire, SNU, juin 2008,Déjà cité
165 Le Nouvel Observateur – 10/12/10
166 Le Patriote – 10/12/10 : « Laurent Gbagbo aime se faire entendre toujours de la plus mauvaise des manières. La situation postélectorale le confirme, une fois de plus. A l‘issue du scrutin présidentiel 2010, où le Docteur Alassane Ouattara a été proclamé vainqueur, l‘ancien président de la Côte d‘Ivoire refuse de rendre le pouvoir qu‘il confisque malgré les appels de la communauté internationale et des pays africains de la Communauté Economique Des Etats de l‘Afrique de l‘Ouest (CEDEAO). Laurent Gbagbo prend ainsi le risque de couper le pays de l‘extérieur et de mettre son économie en péril. Les bailleurs de fonds, la Banque mondiale (BM), Banque Africaine de Développement (BAD), le Fonds Monétaire International (FMI) et les banques commerciales n‘ont pas hésité à sanctionner la Côte d‘Ivoire. Reconnaissant Alassane Ouattara, comme le nouveau président de la Côte d‘Ivoire, ces institutions ont tout simplement suspendus leurs financements extérieurs au pays. »
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