L‘autorité et la légitimité de l‘état ont été affaiblies considérablement par des crises politiques à répétition depuis les années 90(113). Sans système de gouvernance politique et économique qui est à la fois viable et inclusif, l‘Etat fonctionnait en excluant une partie de population, notamment dans le secteur économique malgré l‘instauration du multipartisme en 1990.
Les déficits démocratiques avaient engendré des mouvements multiples de contestations et boycotts électoraux qui représentaient un facteur important de l‘éclatement du conflit armé. Entre la légitimité du gouvernement et le fractionnement non seulement politique et territorial mais aussi social du pays, l‘État peinait à préserver son autorité. Alors que le mouvement vers la démocratie prenait de l‘ampleur, l‘État s‘était efforcé de maintenir son autorité à travers l‘usage de la force. Loin de rétablir l‘ordre et l‘autorité de l‘Etat, cette action avait au contraire radicalisé davantage l‘opposition, et semé la défiance à l‘égard du gouvernement d‘autant plus que des multiples actes violents et d‘atteintes aux droits de l‘Homme par les forces de sécurité étaient commis en toute impunité.
Face à l‘impunité et à l‘insécurité grandissante, la crédibilité des secteurs clés de la justice et de la sécurité était entachée et les ministères sectoriels fragilisés par les diverses crises à répétition peinaient à fournir les services attendus par les Ivoiriens et Ivoiriennes, sur toute l‘étendue du territoire.
Au plan international, la Côte d‘Ivoire était classée parmi les pays ayant les plus faibles performances en matière de bonne gouvernance, notamment pour ce qui concerne le niveau de corruption, de violence et d‘instabilité politique et sociale, d‘inefficacité du gouvernement sur les questions de développement, de l‘Etat de droit et de la responsabilité. Dans chacun de ces domaines, la Côte d‘Ivoire avait enregistré un recul remarquable au cours de la dernière décennie, passant du groupe des pays à gouvernance « moyenne » en 1996 au groupe des pays à gouvernance « mauvaise » en 2007.
Au plan national, un sondage entrepris par le gouvernement en 2005 sur l‘état de la gouvernance avait révélé, entre autre, l‘opacité dans la gestion des affaires publiques et la persistance de la corruption et de la fraude comme manifestations importantes de mauvaise gouvernance en Côte d‘Ivoire.
Par rapport à l‘état de droit, on avait noté que la Côte d‘Ivoire s‘était dotée d‘un arsenal juridique et d‘institutions de qualité. Cependant, l‘exercice du pouvoir judiciaire restait faible en protégeant les populations et leurs intérêts. Selon une étude de 2006 commanditée par le gouvernement, 65% de la population ivoirienne estimaient que le système judiciaire était particulièrement inéquitable et qu‘il était manipulé en fonction d‘intérêts politiques et économiques. Les divers dysfonctionnements du système judiciaire sur le plan institutionnel et normatif, mais aussi sur le plan des infrastructures et des équipements avaient favorisé le développement de l‘impunité et la violation des droits humains. Ainsi, la police, la gendarmerie et l‘armée ivoirienne avaient été accusées, maintes fois, de graves violations des droits humains sans toutefois que cela puissent donner lieu à une poursuite judiciaire des coupables.
Dans le Centre, Nord et l‘Ouest, la question de l‘impunité était tout aussi sensible. L‘absence d‘autorité judiciaire effective avait exacerbé le problème de la corruption et du racket direct ou indirect pratiqué par certains magistrats et greffiers au préjudice des justiciables.
Ci-après les défis et principaux obstacles relevés par notre analyse :
• Le Fonctionnement des institutions républicaines : Les institutions démocratiques ne pouvaient pas jouer pleinement leur rôle de garants du respect des droits fondamentaux et des droits de l‘homme vu qu‘il y avait des lacunes dans l‘affirmation d‘un Etat fort et dans la séparation des pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire).
• Les défis institutionnels : Les juridictions suprêmes prévues par la Constitution telles que la Cour de Justice, la Cour de Cassation, le Conseil d‘Etat et la Cour des Comptes n‘avaient pu être mises en place du fait de la crise. Ce déficit institutionnel fragilisait le système judiciaire en raison du caractère incomplet du Conseil Supérieur de la Magistrature conformément à l‘article 105 de la Constitution, et renforçait les suspicions sur l‘ineffectivité de la séparation des pouvoirs.
• La justice et l‘état de droit : L‘accès au service n‘était pas équitable entre autres à cause de la cherté des frais de prestations, l‘éloignement des services judiciaires des domiciles ainsi que la méconnaissance de la loi, du droit et des procédures judiciaires par les populations.
• L‘impunité : Un climat d‘impunité qui régnait dans le pays depuis le début de la crise, particulièrement au niveau du système judiciaire. Ce vide dans le secteur de la justice constituait une des raisons profondes de l‘augmentation des actes de violence et de la criminalité.
• La corruption et le rackétage : L‘enrichissement illicite, la montée de la corruption sous toutes ses formes ainsi que le racket sur la voie publique par les forces de l‘ordre et dans les services de l‘administration publique affaiblissaient également le bon fonctionnement des institutions républicaines. Selon le rapport provisoire sur la corruption en Côte d‘Ivoire (Avril 2007), réalisé par le Centre Ivoirien de Recherches Economiques et Sociales (CIRES), 95% des personnes interviewées avaient affirmé que le phénomène de la corruption était développé en Côte d‘Ivoire.
113- Banque Mondiale.- Gouvernance locale et crise nationale en Côte d‘Ivoire, Version préliminaire.- Abidjan, avril 2008 ;
-PNUD-Cote d‘Ivoire.- Le Plan Cadre des Nations Unies pour l‘Aide au Développement (UNDAF) 2009-2013 en Côte d‘Ivoire.- juin 2008,
– République de Côte d‘Ivoire, Ministère de l‘Economie, Ministère du Plan et du Développement. Revue du Document de Stratégie de Réduction de la Pauvreté- DSRP-I.- juin 2008
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