Il est certain qu’il conviendrait de consacrer au moins une partie entière de cette étude au traitement de la problématique de la demande, malheureusement par contrainte de temps et de limites de taille, on s’est concentré dans ce mémoire sur l’étude de l’organisation interne de l’offre. Dans cette sous partie on va quand même tenter d’expliquer d’une manière très synthétique, pourquoi la structuration du groupe autour d’objectifs communs peut favoriser la compréhension des dynamiques de la demande.(54)
On tiendra en compte l’idée, que pour les producteurs, aborder cette problématique signifie qu’en fonction des besoins des consommateurs, des relations soutenables, doivent se construire tout en s’adaptant non seulement aux exigences constantes, d’une industrie alimentaire alternative, mais aussi en considérant les nouveaux enjeux du contexte agricole actuel avec les diverses pratiques spécifiques et locales de la consommation.
La demande potentielle en circuits courts cherche à transformer progressivement les habitudes alimentaires et à trouver des systèmes alternatifs pour satisfaire les besoins. Certes, une grande partie de ceux-ci fait référence à la recherche de produits élaborés de qualité, notamment caractérisés par le goût ou la fraicheur. En effet selon les focus groups réalisés, 8 consommateurs sur 13 associent la qualité au gout et à la fraicheur des aliments. Mais cette problématique ne peut pas seulement être abordée, comme plusieurs producteurs le pensent, à partir d’une simple transaction commerciale classique.
En fait, la satisfaction des besoins de la demande va bien au-delà d’une simple relation marchande, surtout où le territoire rural joue un rôle fondamental et déterminant dans la structuration de cette demande. Par exemple, dans le cas du pays Haut Val de Sèvre, il s’agit d’un territoire petit ou l’activité principale est l’agriculture. Les consommateurs participant ont bien montré cet ancrage territorial exprimé au travers d’une forte valorisation des produits locaux, et aussi d’une connaissance plus approfondie du monde rural, ses problématiques et ses acteurs.
La proximité géographique, favorable à ce processus, est fortement mobilisée et activée selon les divers besoins des acteurs. Elle détermine souvent les attentes et les habitudes d’achats alimentaires des consommateurs. Par exemple selon les résultats des focus groups, 9 consommateurs sur 13, connaissent des producteurs locaux « du coin » et s’approvisionnent d’au moins un produit alimentaire, auprès d’eux, même si les achats en grande surface restent majoritaires.
Selon Vincq, Mondy et Fontorbes (2010), les échanges en circuits courts « rompent avec les coordinations marchandes et industrielles ». Ici « la relation d’échange ne se satisfait pas […], de repères classiques de l’échange…». Selon les auteurs, il existe diverses caractéristiques de « services non marchands » demandés par les consommateurs qui vont être issues de relations réciproques. En ce sens les besoins ne peuvent être satisfaits qu’à partir d’un groupe de producteurs bien organisé.
En effet, la logique de réciprocité, constituant un mode de régulation de l’économie et le moteur de la production (Sabourin, 2012), serait fortement présente ici et elle se caractérise par des échanges de dons et contre dons (Le Velly, 2012 : 15) selon un système où il s’agit de « produire – pour – donner, consommer- pour – recevoir, et produire – pour – redonner » (Temple 2000, cite par Sabourin, 2012 : 45). Selon ce principe, les échanges vont accorder une responsabilité aux hommes « vis-à-vis du bien commun, de l’environnement… » (Sabourin, 2012 : 45) qui va être à la base de la confiance et fidélisation du consommateur face au produit issu du circuit court.
Pour cette raison, il est important de respecter le choix du consommateur qui montre la recherche constante d’un échange réciproque exprimé à travers le besoin du côté relationnel et du contact humain (notamment avec le producteur local(55)), associé aussi à la satisfaction d’un besoin de confiance. Le consommateur en circuits courts est à la recherche de la construction d’un espace identitaire partagé et d’appartenance (Cochoy, 2001, cité par Vincq, Mondy et Fontorbes, 2010 : 8) lié fortement à l’aspect relationnel avec les producteurs. Satisfaire cette demande est un impératif à suivre car à partir de cet échange réciproque, l’incertitude sur l’origine des produits par exemple diminuera progressivement. Selon une étude menée par Herault – Founier, Merle et Prigent-Simonin (2012), « la relation directe entre producteurs et consommateurs est un vecteur de confiance » envers le circuit court alimentaire. (Herault et al. 2012 :29).
Contrairement aux résultats des choix des scénarios présentés la deuxième partie de l’étude où la plupart des producteurs se sont laissé séduire par les résultats économiques et les bénéfices personnels, ici l’aspect relationnel (favorisé par le premier scénario), doit constituer un objectif commun prioritaire dans la future stratégie à mettre en marche. En effet, selon les préférences repérées par les consommateurs, le service de « conseil offert » associé à l’aspect « confiance »(56), doit être transmis par le producteur lui-même. Autour de lui un « repère collectif » va se construire, ce qui permettra le retour et la fidélité du client. (7 Consommateurs sur 13 s’expriment sur l’aspect conseil et l’associent à l’aspect relationnel avec le producteur et à la confiance)
V1 : « La fidélité elle est dans la rencontre, dans le contact et pas dans les cartes »
V2 : « Y a le bio du producteur auquel on peut faire confiance, le bio des Supers Marchés n’est pas fiable »
V3 : « Le conseille, ça nous intéresse, et cela nous donne confiance. »
V4 : « il faudrait que la personne qui donne les conseils soient un producteur »
Un deuxième objectif commun autour duquel le groupe doit se concentrer et se coordonner, est l’offre de produits qui visent à satisfaire les besoins d’un consommateur engagé. 9 consommateurs sur 13 émettent des propos engagés et militants quant à la préservation d’une agriculture locale et la défense de l’environnement lors de ses achats. Là encore, le rapprochement du monde rural avec les consommateurs du Haut Val de Sèvre pourrait expliquer leur prise de conscience et peut être un engagement majeur par rapport à un consommateur urbain vis à vis des enjeux actuels de l’agriculture et de ses principaux acteurs. Cet engagement militant s’expriment à travers le soutien de la production locale, et le choix de produits issus d’une agriculture alternative. L’information transmise par les producteurs vers les consommateurs et leur stratégie de communication (choix du nom du magasin, affichage clair de chartres, et engagements…) doit être précise et adaptée aux besoins du consommateur en milieu rural.
Au final, la « relation de services forte » (Vincq et al, 2010 : 6), présente dans la commercialisation en circuits courts, est liée sans doute d’une part à la recherche de la commodité pour l’achat, et aux besoins de transformations des habitudes d’achat dominantes afin de se retrouver dans un espace plus proche de leurs traditions. Dans ce sens, les consommateurs évoquent certes l’emplacement stratégique du magasin avec la demande d’un accès facile à proximité et la disponibilité d’un parking, mais par contre avec une ambiance intérieure spécifique, constituée non seulement par une présentation des produits « comme au marché », puis par le besoin d’une petite taille et une décoration précise qui garantissent le coté calme, familiale et conviviale du bâtiment. La compréhension, analyse et choix d’intégration de tous ces éléments dans le plan de projet, nécessite encore une fois, des producteurs ayant des accords communs pour la prise de décision collective.
V1 : « Le fait de passer un bon moment c’est important…Il faut que ça soit convivial»
V2 : « au Plaisirs fermiers (magasin de producteurs a Niort), les gens parlent comme au marché»
V3 : « faut pas que ce soit grand, avec les produits de base, convivial, s’il y a de la musique et l’animation, on retombe dans la Grande Surface, on va dans le magasin de producteur pour avoir le calme, si on commence à avoir l’animation et les caddys, on retourne au Leclerc »
Construction de réseaux et renforcements des liens pour l’innovation (Favorable pour l’adaptation et satisfaction de marchés porteurs)
S’adapter aux marchés porteurs c’est donc être mieux organiser pour mieux commercialiser, en passant par la compréhension de la structure d’une demande croissante et la satisfaction de ses besoins. Pour avoir une stratégie soutenue à long terme, l’innovation dans la production et dans la commercialisation en circuits courts est aussi un facteur essentiel duquel, les producteurs doivent être conscients. Ainsi ils resteraient compétitifs, flexibles et performants dans le marché de l’agro-alimentaire et soutenir l’économie locale sans laisser de côté la défense de l’environnement.
L’innovation appliquée à l’industrie et au commerce est un processus qui peut être défini comme issue d’une invention et peut constituer un nouveau produit, une nouvelle méthode de produire, de commercialiser, ou de transporter, des nouvelles sources de matières premières, ou des nouveaux types d’organisation.(57) Selon Faure (2010), ces processus d’innovation dans le domaine agricole, rentrent dans une logique de collaboration et de partenariat pour combiner des savoir-faire ainsi que la production de connaissances, envisager une transformation de réalités sociales et parallèlement provoquer un renforcement de compétences individuelles et collectives.
L’action économique ne peut être comprise sans faire référence à une action collective dont « un ensemble de règles sociales, politiques et culturelles »(58). Ceci renvoie à analyser la question de l’encastrement de la sphère économique dans la sphère sociale (Polanyi, 1983), pour comprendre que le processus d’innovation ne peut pas se développer tout seul. Sa réussite dépend fortement des niveaux d’organisation et de réciprocité existants au sein du groupe, leur permettant de maintenir le capital social qui va ensuite favoriser l’élargissement des relations envers d’autres acteurs externes.
Par-là, le rajout de connexions au niveau des réseaux sociaux devient indispensable pour l’émergence de ce processus d’innovation. La théorie de réseaux sociaux conçue par Granovetter (cité par Asselineau et Cromarias, 2011 : 153) montre l’importance des relations informelles et des liens faibles favorables a la transmission d’information nécessaire pour créer des processus de collaboration afin d’innover dans un milieu donné. Ceci constitue sans doute un facteur d’avantage compétitif pour le milieu dans lequel le processus d’innovation sera mené.
Par exemple, dans notre cas d’étude les liens faibles pourraient se créer avec d’autres magasins existants sur le territoire local ou niveau national afin de structurer un réseau solide. Cela permettrait de partager l’information sur des nouveaux processus de production par exemple ou sur des nouvelles méthodes innovantes de fidélisation de clients qui dépassent les stratégies commerciales classiques. Par ailleurs, l’offre diversifiée de produits, aussi évoquée comme un besoin des consommateurs dans les focus groups, soit l’élargissement de la gamme est important, mais cela doit veiller à une intégration des produits nouveaux, des éléments innovants, issues de nouvelles techniques performantes de production, sans tuer le côté traditionnel-artisanal et sans passer non plus du côté industriel. Une forte cohérence interne au sein du groupe, des motivations communes et un engagement réciproque élevé des producteurs fermiers, vont être déterminants dans ce processus.
Au terme de cette partie, on a étudié l’état du groupe vis-à-vis de la construction de la proximité organisée. Il reste encore 2 ans avant l’ouverture du magasin, et le travail à faire autour de la construction d’une vision collective est primordiale pour mener le groupe à augmenter leurs liens d’appartenance et pouvoir entrer dans une voie coopérative approfondie. Cette dynamique d’action collective au niveau intra organisationnelle, reste la condition la plus importante et indispensable pour comprendre la structuration d’une demande de plus en plus exigeante et croissante, qui cherche à satisfaire ses besoins marchands et non marchands auprès d’un groupe de producteurs unis dans un même projet et qui soit capable d’innover et s’adapter aux attentes réciproques du marché en circuits courts.
54 Lors du stage mené à l’AFIPAR, on a eu l’opportunité de participer a deux Focus Group dans le cadre du projet CODIA, qui ont été animés par l’Institut national de la consommation. On a procédé ensuite a une analyse des verbatim par thèmes, dont certaines tendances de pratiques de consommation vont être utilisés dans cette sous partie comme support pratique.
55 Résultats des Focus Group de consommateurs réalisé le 13 et 20 Juin à Saint Maixent l’Ecole
56 Résultats des Focus Group de consommateurs réalisé le 13 et 20 Juin à Saint Maixent l’Ecole
57 Définition concept clé de Joseph Schumpeter, (Echaudemaison, 2006, Dictionnaire de sciences économiques et sociales, Editions Nathan, Paris)
58 Cité dans, Plociniczak, 2002, « Action économique et relations sociales : Un éclairage sur la notion d’encastrement de Karl Polanyi et Mark Granovetter. »