Martine Dreyfus nous invite à distinguer deux formes de politiques linguistiques : « Une politique linguistique peut être caractérisée par les lois qui déterminent le statut des langues, elle est alors l’expression d’un volontarisme d’État. Elle peut aussi être définie à travers l’organisation et la gestion des langues ou des variétés dans la communication ordinaire par les groupes et les individus qui composent la société » (Dreyfus, 1996 : 75).
Nous voyons ici qu’il s’agit d’un côté d’une politique linguistique nationale, et de l’autre d’une politique mise en œuvre par la population elle-même. Concernant la deuxième, intéressons-nous à la famille nucléaire dans laquelle la politique linguistique nationale perd de son influence comme l’affirme Christine Deprez :
« … dès que l’on aborde la sphère de la vie privée, les décisions prises “d’en haut” perdent de leur impact. » (Deprez, 1996 : 35)
À cette politique « d’en haut », l’auteur suppose qu’il existe une politique « d’en bas », celle mise en œuvre au sein des familles elles-mêmes. En partant de la notion de politique linguistique nationale en vigueur dans le domaine public et en prenant l’exemple de la résistance des familles catalanes à parler leur langue à la maison malgré son interdiction pendant la période franquiste en Espagne, elle présente la notion qui nous intéresse :
«… on peut poser, par comparaison, l’idée d’une politique linguistique familiale pour rendre compte de la façon dont les familles bilingues gèrent leurs langues. » (Deprez, 1996 : 35)
L’auteur procède ainsi à une analogie depuis le macrosystème qu’est le pays, vers le microsystème représenté par la famille. Nous pourrions pourtant nous étonner de l’utilisation, à l’échelle familiale, du terme « politique »; cependant, nous rejoignons les propos de S. Haque qui le préfère à celui de « stratégie », car, selon lui, le premier est véritablement associé à celui des pratiques linguistiques alors que le second concerne l’apprentissage des langues (Haque, 2007 : 164).
Comment se met en place en place cette politique ?
« Cette politique linguistique familiale se concrétise dans les choix de langues et dans les pratiques langagières au quotidien, ainsi que dans les discours explicites qui sont tenus à leur propos, notamment par les parents. »(44) (Deprez, 1996 : 35)
Comme les politiques linguistiques nationales (désormais PLN), les politiques linguistiques familiales (désormais PLF) impliquent donc « des règles et des contraintes » opérées ici par les parents sur les pratiques langagières de la famille (Dreyfus, 1996 : 75).
PLN et PLF vivent cependant sous tension. Deux situations peuvent se produire comme le développe S. Haque :
« L’idéologie langagière des parents peut être en harmonie avec celle des instances gouvernementales et il y aura alors convergence entre les deux politiques – PLF et PLN. Dans le cas contraire où ces idéologies ne concordent pas, un conflit apparaitra entre ces deux politiques privilégiant les différentes langues. » (Haque, 2012 : 152)
Une relation conflictuelle peut ainsi s’établir entre les deux politiques. Dans sa thèse, l’auteur présente différents cas où la PLF des familles immigrantes entre ou non en conflit avec la PLN du pays d’accueil. En prenant l’exemple de la France qui a procédé à une « hyperstandardisation » du français à travers son histoire, il montre que certains pays s’inscrivent « dans cette catégorie de conflit élevé ».(Haque, 2012 : 213).
En ce qui nous concerne, comme nous l’avons vu dans la première partie de ce mémoire, la politique linguistique Québécoise a connu plusieurs projets de loi phares dont la loi pour promouvoir la langue française (loi 63), suivie de la loi sur la langue officielle (loi 22) pour atteindre son point culminant avec la Charte sur la langue française de 1977 (loi 101). Ces lois, au départ incitatives en faveur d’un bilinguisme français-anglais, sont devenues de plus en plus cœrcitives en faveur d’un unilinguisme français pour lequel les anglophones ne peuvent trouver leur compte.
44 Remarquons que « les discours explicites » dont parle l’auteur au sujet du choix de langues présupposent la mise en circulation de représentations sociales à leur endroit. Nous constatons donc à quel point les deux notions sont nécessairement imbriquées.
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