Les rébellions armées en Afrique diffèrent des conflits conventionnels que le monde a toujours connus. Considérés comme guerre civile ou rivalité ethnique, ces affrontements trouvent leur sens avant tout dans le manque de confiance que les acteurs ont en eux.
Reprenant la pensée des observateurs du conflit afghan, on peut dire que la participation à la guerre, repose avant tout sur la notion de la paix. Cependant, la réalité pour qu’une rébellion armée sévisse dans un pays africain, n’est pas une guerre menée pour gagner le pouvoir mais un combat pour se faire entendre en usant des moyens déloyaux tels les armes, à voir les effets de la violence que cela produit comme dégâts collatéraux.
Pour placer les rébellions armées en Afrique dans la culture de la guerre, il est nécessaire de passer en revue quelques points qui caractérisent ce concept et leur influence dans les opérations armées comme sources de revendication. La culture de guerre, mentionnée dans les travaux de Pierre Renouvin sur « l’opinion publique et son rôle dans les relations internationales », est développée par Annette Becker et Stéphane Audoin-Rouzeau dans leurs travaux, « la Grande Guerre » (111).
Apparue comme repère dans la description des conflits, la culture de guerre traduit toutes les dimensions qui participent à la cristallisation d’un conflit. Par ce concept, on est emmené à comprendre « la façon dont chacun » apprécie l’idée de la guerre à travers les quatre dimensions que sont : la haine, le consentement à la guerre, la violence, et l’idée de la sauvegarde de la civilisation. Mais dans le cas des rébellions armées africaines, ces dimensions sont reprises sous l’angle culturel et anthropologique propre à l’Afrique et nous amène à relever quelle place occupent ces dimensions dans les affrontements qui sévissent.
3.5.1. La haine
Les rébellions armées en Afrique sont toutes marquées par la haine qu’un groupe ethnique ou politique a vis-à-vis d’un autre. L’adversaire ici nommé n’est rien d’autre qu’un concitoyen avec qui on doit s’asseoir pour discuter de la voie sur laquelle doit être conduit le pays. La haine se manifeste pour une raison de propriété régionale, de culture historique, ou encore c’est l’expression de fierté d’une classe à dominer l’autre. La haine ainsi décrite, émane de l’intérieur même de l’homme, de son cœur comme le décrit l’Ecclésiaste : « Ceci est un mal parmi tout ce qui se fait sous le soleil, c’est qu’il y a pour tous un même sort ; aussi le cœur des fils de l’homme est-il plein de méchanceté, et la folie est dans leur cœur pendant leur vie ; après quoi, ils vont chez les morts. Car qui est excepté ?…. »
Dans le cas des conflits armés en Afrique, les rébellions se manifestent parce qu’à la haine viscérale, s’ajoute la haine sociale ou culturelle qui est la résultante de processus historique des pays africains. De la tradition à l’indépendance en passant par la colonisation, la société africaine a vécu dans la violence et la brutalité. La haine qui est historique se ravit par des conditions politiques expansionnistes.
Dans leur pratique, les rébellions armées accentuent la haine entre les concitoyens, favorisent des fossés qui se créent et s’entretiennent ; pour affaiblir le gouvernement, elles s’attaquent à tout ce qui est symbole de l’Etat, les militaires qui tombent sous le coup de leur canon, considérés comme des héros ou victimes de la rébellion sont ressortissants d’une région. En perle, la haine se tisse et se radicalise. Le conflit prend une dimension avec des vœux délibérés.
3.5.2. Le consentement à la guerre
Sans consentement, aucune guerre ne peut résister. Cependant, les rebelles africains se sont engagés dans une sphère de violence qu’ils n’ont pas choisie mais contraints de la pratiquer. La situation sociale dégradante en Afrique, facteur favorisant de l’échec scolaire, du chômage, de la pauvreté, entretient toute sorte de délinquance. Les victimes de ce marasme qui sont à la recherche de survie, ou du travail pour subvenir au besoin de leur famille, ne peuvent pas résister à des promesses alléchantes, modiques, risquées soient-elles. Pour les rebelles, mieux vaut se sacrifier pour survivre que de vivre dans la pauvreté avec une souffrance à vie ; l’esprit de sacrifice pour soi que pour l’intérêt général, afin de se faire une place dans la société. Dans ces conditions, le consentement se décrit comme un contrat entre le combattant et la rébellion ; « nous gagnons tu manges, nous perdons tu meurs ». A ce prix, les rebelles se lancent dans des missions qui s’écartent de l’objectif de leur revendication : ils deviennent principaux acteurs des commerces illicites de toutes natures et auteurs de violences à tous azimut.
3.5.3. La violence
Une fois le conflit éclaté, les théâtres des opérations se transforment en site de catastrophes naturelles. La violence étant particulièrement destructrice. Les moyens militaires en provenance de n’importe quelle source et consistants au départ, donne une entière confiance à la rébellion qui dans la foulée veut montrer sa suprématie. La rébellion a une double pesanteur celle de prouver d’une part au monde entier, qu’elle a la force militaire de mener le combat et d’autre part de remplir son contrat celui de gagner du terrain pour continuer à bénéficier du soutien de ses bienfaiteurs. Il en résulte un débordement dans la conduite des opérations ; aucune discipline, ni de règle d’engagement ne soit en mesure de gouverner le moral des combattants sur le terrain. Composés des paysans non scolarisés ou en perdition scolaire, des anciens prisonniers, auteurs de violences, viols, vols, des drogués, des jeunes éleveurs, la bataille qu’ils mènent est contre tout ce qui est en face. Pas de distinction entre propriétés civiles et casernes militaires, entre femmes et hommes entre enfants combattants et enfants non combattants. Sans aucun respect du principe de droits humains, ils assassinent les malades civiles et militaires, détruisent les installations sanitaires, les plantations, brûlent les greniers et maisons d’habitation etc.…..
111- Annette Becker et Stéphane AUDOIN- ROUZEAU, la grande guerre, Gallimard, Paris, 1998, 160 p.