Il existe actuellement plusieurs procédés pour étudier les variations des rythmes circadiens. On trouve parmi ceux-ci le paradigme de désynchronisation forcée, le paradigme de routine constante et enfin une investigation basée sur le chronotype. Ces paradigmes diffèrent considérablement dans la façon dont ils contrôlent les paramètres circadiens et homéostatiques.
3.5.1. Désynchronisation forcée
Il existe un paradigme qui permet de rompre le synchronisme entre les mécanismes C et S afin de déterminer l’impact de chacun de ces deux processus. Le paradigme de désynchronisation forcée consiste à isoler des sujets des indices temporels et de les soumettre à des durées de journées modifiées. Un exemple de cette technique est celui de Nathaniel Kleitman et Bruce Richardson en 1938 qui ont passé 32 jours enfermés dans une grotte du Kentucky (figure 6).
Figure 6 : Kleitman et Richardson enfermés 32 jours dans une grotte(1)
dès lors pas utilisée. Le paradigme que nous allons utiliser (expliqué plus loin) ne permet pas de différencier entre le processus homéostatique et circadien chez nos sujets. Cependant, bien que les bases neuro-anatomiques et fonctionnelles de ces deux processus semblent différentes, ils participent tous deux à la régulation du sommeil et à la performance en éveil (Schmidt, 2009).
3.5.2. Routine constante
Le paradigme de routine constante permet de démasquer les rythmes circadiens endogènes, normalement incorporés dans le cycle veille-sommeil. Les activités quotidiennes, qu’elles soient d’origine interne ou externe ont le potentiel de masquer les « vrais » rythmes endogènes.
Initialement, le paradigme de routine constante est défini par des conditions environnementales constantes. L’idée qui sous-tend ce paradigme est que la suppression des cycles périodiques extérieurs (ex : variation de la lumière) suffit pour découvrir la contribution du processus circadien. Ainsi, les études à long terme sur les animaux se font avec une lumière constante ou encore dans la pénombre de manière constante.
Les études sur les humains ont révélé que le contrôle des cycles périodiques extérieurs ne suffit pas à révéler la contribution directe de l’horloge circadienne. Les protocoles incluent désormais le contrôle du comportement. Ainsi, on prive les sujets de sommeil, on contrôle la position, la prise de nourriture, les activités. Pour observer un cycle circadien complet, une routine constante doit durer suffisamment longtemps pour que les changements résiduels se dissipent. Les routines constantes durent donc plus de 24h (Duffy & Dijk, 2002).
La limitation majeure de cette approche est qu’elle ne permet pas de séparer la composante circadienne du cycle veille-sommeil (Schmidt et al., 2007).
3.5.3. Chronotype
Chez les humains, les rythmes circadiens ont été mis en évidence depuis 1939 (Kleitman, 1963 ; in Mongrain, 2006). Il y a des personnes dites du matin (matinales), qui vont se coucher relativement tôt et qui ont davantage tendance à être actif le matin, d’autres personnes sont dites du soir (vespérales), elles se lèvent relativement plus tard et privilégient donc une activité plus tard dans la journée.
La phase circadienne se manifeste environ deux heures plus tôt chez les sujets ayant un chronotype du matin par rapport à des sujets vespéraux aussi bien au niveau physiologique que comportemental.
La régulation homéostatique réagirait également au chronotype. Les sujets matinaux dissipent plus vite la pression homéostatique que les sujets du soir au cours du sommeil. A l’éveil au contraire ils accumulent la pression homéostatique plus rapidement que les vespéraux.
Ces types circadiens peuvent être identifiés par questionnaires et fournir des informations sur les caractéristiques circadienne et homéostatique du cycle veille/sommeil d’un sujet (Taillard, 2009).
Dans l’état actuel des choses, deux questionnaires prédominent la littérature dans l’étude du chronotype (Schmidt et al., 2007), le plus populaire est le Morningness-Eveningness Questionnaire (MEQ, Horne & Östberg, 1976), l’autre est le Munich Chronotype Questionnaire (MCTQ, Roenneberg, Wirz-Justice, & Merrow, 2003).
Dans une perspective neuropsychologique, une limitation majeure de l’utilisation des protocoles de désynchronisation forcée et de routine constante réside dans la mise en place de tâches cognitives qui doivent être administrées à intervalle régulier. Dans cette optique, il semble que l’approche basée sur le chronotype soit davantage appropriée à l’étude de l’influence de l’horloge biologique sur les variations de performance dans les fonctions cognitives de haut-niveau (Schmidt et al., 2007).
Le questionnaire de Horne et Östberg est le plus répandu pour mesurer le chronotype chez l’adulte. Le sujet est interrogé sur son état de fatigue et ses moments préférés de la journée pour la réalisation d’activités, pour les repas ou encore son cycle/veille sommeil au travers de 19 questions. Les scores du questionnaire vont de 16 à 86, le sujet est considéré comme extrême du soir si son score est en deçà de 31 et comme extrême du matin si son score est au-delà de 69.
Un nombre conséquent d’études ont suggéré que la performance circadienne à des tests cognitifs est largement dépendant de paramètres spécifiques de la tâche, incluant notamment la durée et la difficulté, la méthode d’administration et les variables mesurées (Bonnet, 2005 ; in Schmidt, 2009). La performance cognitive ne serait pas uniquement déterminée par l’activation des systèmes de régulation sous-jacents mais elle serait également modulée par des mécanismes compensatoires tels que des facteurs motivationnels ou les attentes vis-à-vis de l’expérience (Schmidt, 2009).
L’utilisation d’un protocole standardisé et hautement contrôlé (routines constantes et désynchronisation forcée) ainsi qu’une tâche de vigilance (PVT) ont permis de quantifier l’homéostasie éveil-sommeil et les effets dépendant des rythmes circadiens sur la cognition humaine (Blatter & Cajochen, 2006).
3.5.4. Contraintes méthodologiques
La performance cognitive englobe les réponses comportementales à des tâches de complexité différente, aussi bien au niveau de la réaction psychomotrice qu’au niveau de réponses nécessitant des fonctions cognitives de haut niveau (par exemple mémoire, langage, fonctions exécutives). Ces tâches sont clairement différenciées de l’humeur, de la fatigue et du sentiment d’endormissement bien qu’elles y soient corrélées.
D’un point de vue méthodologique, mesurer les rythmes circadiens dans la performance humaine est plus complexe que de mesurer les rythmes circadiens de température ou la sécrétion pinéale de mélatonine.
Deux problèmes principaux apparaissent dans la mesure de la performance cognitive circadienne : le type de tâches utilisé et les différences inter-individuelles de performance à une tâche (Blatter & Cajochen, 2006)
3.5.4.1. Difficulté de la tâche
A première vue, il semblerait que la complexité de tâche ne joue pas un rôle crucial dans la recherche circadienne. La PVT (ou tâche de vigilance psychomotrice), très sensible aux baisses de performances dues au manque de sommeil et à la variation circadienne peut difficilement être considérée comme une tâche complexe. Des tâches plus complexes testant les fonctions exécutives sont susceptibles également d’être sensibles à la perte de sommeil et à la phase circadienne.
Cependant, les résultats d’un des tests neuropsychologiques les plus utilisés, notamment dans les processus inhibiteurs, le test Stroop couleur de mots, montre des effets inconsistants d’une étude à l’autre, indiquant un effet du mot de la journée dans certaines études et pas dans d’autres.
Une explication pour ces résultats divergents est que le contrôle exécutif n’est pas un processus unitaire mais plutôt des processus indépendants qui sont reliés. La déprivation de sommeil et le moment de la journée n’affecteraient dès lors que certaines composantes du système exécutif (Blatter & Cajochen, 2006).
3.5.4.2. Différences inter-individuelles
On dénote des différences inter-individuelles marquées dans plusieurs aspects circadiens et reliés au sommeil de la physiologie tel que la longueur de la période circadienne (de 23,9h à 24,5h), dans le chronotype (matinal, vespéral), la durée de sommeil ou encore la perte de sommeil. La plupart de ces aspects sont liés à l’âge, aux traits de personnalité.
Des études ont révélé que les individus diffèrent dans leur propension au sommeil ainsi que dans la baisse de la performance cognitive observée pendant une privation de sommeil.
3.5.4.3. Inertie de sommeil
L’inertie de sommeil est une période suivant le réveil suivant laquelle l’attention et la performance des sujets sont affaiblies de telle sorte que le niveau d’éveil normal n’est pas rencontré (Balkin & Badia, 1988 ; in Silva & Duffy, 2008).
Silva et Duffy, 2008 testent des adultes âgés (plus ou moins 65 ans) au travers d’une tâche DSST au travers d’un paradigme de désynchronisation (13,33h d’éveil et 6,67h de sommeil par « jour »). La tâche DSST comprend des paires de nombres-symboles (ex: 1/┴, 2/ Λ) suivi d’une liste de chiffres dans laquelle le sujet doit compléter par le symbole correspondant. Ils constatent que la performance des sujets s’améliore au fur et à mesure de leur éveil.
1 http://www.archiveofsleep.com/post/4494298875/cave-experiment-by-nathaniel-kleitman-and-bruce
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