Traditionnellement, la chanson francophone se caractérise par ses textes et ses grands auteurs que
sont Brel, Brassens, Gainsbourg, Aznavour… tout naturellement, les styles musicaux modernes et
populaires chez les jeunes ont suivi : le rap a donné naissance à des auteurs/compositeurs
exceptionnels comme Akhénaton pour IAM, Grands Corps Malade, Abd Al Malik ou encore MC
Solaar pour citer parmi les plus connus ; le reggae a vu l’éclosion des groupes Sinsemillia, Tryo ou
Babylon Circus. Le punk en français aussi a eu sa période de gloire dans les années 80 avec
Bérurier Noir, Mano Negra,
Dans les années 90, une fois ces groupes terminés, la mode vient d’outre Atlantique et c’est
l’explosion des groupes chantant en anglais comme Seven Hate, ou plus tard
Uncommonmenfrommars et Freygolo.
Depuis, le français peine à s’imposer dans les textes des groupes de ce genre, surtout dans le
hardcore où il est quasi inexistant.
Alors que la langue française a parfaitement su s’adapter à d’autres genres musicaux, pourquoi celui-
ci fait-il de la résistance à cette langue ? Pour les groupes qui malgré tout l’utilisent, de quelle
manière le font-ils ? Pourquoi ce choix, quels messages cherchent-ils à véhiculer dans cette langue ?
Tel est le genre de questions auxquelles nous tenterons de donner des éléments de réponse dans
cette recherche. Grâce à de nombreuses interviews et une analyse de plusieurs textes, nous verrons
ce qu’en pensent les gens impliqués dans ce débat et quelles en sont les représentations concrètes
dans les paroles.
Autre différence entre les groupes punks et les autres : la dimension internationale du mouvement.
Pour continuer la comparaison avec les formations rap ou reggae, il est très rare de voir celles-ci
traverser les frontières et se produire avec succès dans le reste de l’Europe, voire du monde. Dans le
punk/hardcore, ceci n’est pas un problème. Comme on l’a déjà dit, la scène fonctionne en circuit
fermé, et quand on fait jouer un groupe allemand par exemple, chez soi, on se crée un contact en
Allemagne qui nous renverra l’ascenseur un jour. Pour citer un exemple, un groupe comme La
Fraction (l’un des rares à chanter en français, justement), qu’on n’entendra jamais à la radio ni ne
verra à la télévision, a tourné aux Etats-Unis sur plus d’un mois, en Allemagne, en Scandinavie, en
Europe de l’Est. Idem pour le groupe Rennais Banane Metalik : tournées triomphales aux Etats-
Unis, au Japon et au Brésil. Que dire du groupe de hardcore tourangeau Nine Eleven ?(qui eux
chantent en anglais) il a quant à lui tourné pendant la quasi totalité de l’année 2010 dans toute
l’Europe, jusqu’en Russie et en 2011 est parti en tournée en Indonésie et en Malaisie… ; tandis que
des groupes d’autres styles, infiniment plus connus en France ne se produisent que très rarement,
voire jamais, à l’étranger.
L’échange marche dans les deux sens : la France accueille des groupes du monde entier et rien qu’à
Saint Etienne on a pu voir se produire l’an passé les néo-zélandais d’EcoWar, les Sud-africains The
Mochines, les Singapouriens de Wormrot et nombre de groupes venus d’Amérique du Nord et du
Sud, d’Australie et de toute l’Europe.
En ce qui me concerne, l’organisation de ce concert avait, entre autres buts, celui de montrer que la
langue française avait sa place dans ce milieu, qu’il est possible de faire un groupe dans cette
langue, et de tourner comme les autres.
Quand on parle de « diffusion du français », on pense immédiatement à « à l’étranger ». Or si ces
deux mots n’apparaissent pas dans le nom de cette discipline, c’est bien qu’elle a également sa place
sur les territoires où le français est langue maternelle et en France notamment. Elle peut par
exemple se faire dans des milieux socio-professionnels où la langue française peine à s’imposer
même chez ses locuteurs natifs comme l’informatique, la publicité, et donc le punk/hardcore. C’est
pourquoi j’ai décidé de prendre l’initiative en joignant une passion à ma profession, à savoir ce style
de musique et le FLE.
« L’envahissement réel de la langue française par des mots anglais témoigne d’abord d’une certaine
suprématie technologique des pays de langue anglaise, et si l’on considère cela comme une
« épidémie », il faut alors étudier l’épidémiologie. »
(Louis Jean Calvet, « la guerre des langues », hachette 1999)
Attention, et je pense qu’il important de le préciser, le but de cette manifestation n’était pas du tout
de dire : « non au punk hardcore en anglais » ou « vive le punk en français, soyons fiers de nos
couleurs ». La nationalisme n’a rien à voir dans cette démarche, le message est plutôt : « il est
possible de faire du bon punk hardcore en français, la preuve ». Comme on le verra dans les
interviews, cela a déjà été fait et perdure aujourd’hui, et surtout il existe trop de groupes français
chantant dans un mauvais anglais, avec un accent à la limite du ridicule et parfois avec des fautes de
langue qui gâchent tout. Comme le disent les Vulgaires Machins dans leur interview : « Je n’ai
aucun intérêt pour les groupes qui chantent un anglais cassé et mal écrit. Il existe trop d’excellents
groupes anglophones qui écrivent de très bonnes paroles et chansons pour perdre mon temps avec
ça. » On n’est pas dans une optique « langue française versus langue anglaise », mais « langue
française avec langue anglaise ».