Institut numerique

4. Présentation des résultats

Ce chapitre vise à présenter les résultats obtenus suite à l’analyse de nos données.

Pour ce faire, nous commencerons par présenter et justifier le choix de notre technique d’analyse dans la première section, la seconde sera consacrée à l’analyse proprement dite de quatre entretiens et la troisième à l’interprétation des résultats.

4.1. Présentation de la méthode de traitement des données

Pour analyser nos entretiens, notre choix s’est porté sur l’analyse structurale.

En tant que technique d’analyse de contenu, l’analyse structurale vise à faire émerger le sens du discours, l’objectif poursuivi est de « comprendre correctement celui qui s’exprime, autrement dit, d’attribuer à ce que dit le locuteur le sens qu’il y met effectivement ».(205)

Cette méthode d’analyse postule que c’est à travers les interrelations des éléments du discours qu’on pourra en dégager le sens : « ce sont les relations entre les éléments du texte (indépendamment de leur ordre ou de leur fréquence d’apparition), et non les éléments eux-mêmes qui permettent de découvrir la signification du discours du locuteur ».(206)

Dans l’analyse structurale, on distingue deux temps : « Le premier temps -dit de recomposition de la structure- consiste dans l’identification des « réalités » ou catégories, qui s’associent entre elles dans des relations d’opposition et d’équivalence. Dans le deuxième temps -dit de dynamisation de la structure-, il s’agit de distribuer les oppositions et associations identifiées en un modèle d’action ».(207)

Selon cette technique, la relation de base est la relation de disjonction, laquelle oppose deux termes dont l’un est l’inverse de l’autre et réciproquement.(208) Ces deux termes se réfèrent à la-même catégorie de réalité, appelée axe sémantique.(209)

Dès lors, toute disjonction se note de la sorte(210) :

X représente l’axe sémantique, A et B les deux inverses.

A chaque terme de la disjonction ne correspond qu’un seul inverse(211) qu’il soit manifesté dans le discours ou non. Dans le cas où il ne l’est pas, on parle de « non-A, autre que A, pas A, etc. ».(212) Mais, dans tous les cas, il faut veiller à rester au plus proche du matériau et du point de vue du lecteur : « Il s’agit de toujours décrire les réalités du matériau et non pas de décrire ce qui est évident, ce qui va de soi pour le descripteur (mais n’est pas contenu dans le matériau). Le descripteur doit faire table rase de ses conceptions propres […] pour saisir celles de celui qui parle ».(213)

En outre, chacun des termes de la disjonction est connoté : l’un l’est positivement, l’autre négativement. « Les indices de valorisation sont quelquefois disséminés dans tout le texte sous la forme de verbes (préférer, détester, faites,…), d’adjectifs (regrettable, bon,…), d’adverbes (plutôt, mieux,…), etc. ».(214) S’il n’y en a aucun, « le descripteur a la possibilité de formuler une hypothèse quant à la valorisation probable »(215), et doit alors l’indiquer entre parenthèses dans le schéma descriptif :

Pour ce qui est de la structure sémantique, elle peut être de trois types(216) :

« -Dans la structure parallèle, les disjonctions sont unies par une relation logique de double implication termes à termes :

-Dans la structure hiérarchisée, un des éléments du discours constitue à la fois le terme d’une disjonction et l’axe sémantique d’une autre :

-Dans la structure croisée, la plus complexe des trois, deux disjonctions constituent deux axes sémantiques orthogonaux dont le croisement génère d’autres disjonctions » :

A côté de ces structures assez statiques, on peut également présenter les réalités d’un matériau sous forme d’un schéma de quête qui permettra alors de rendre compte de la dynamique du récit, du discours tenu par le locuteur. « Le récit de quête organise les disjonctions selon un scénario dans lequel prennent place des rôles typiques, que l’on retrouve quel que soit le matériau. Ces rôles typiques sont appelés les actants ».(217)

Les principaux actants sont le sujet et l’objet que le sujet cherche à obtenir. Mais très souvent interviennent aussi d’autres actants tels que l’adjuvant, l’opposant et les destinateurs.

« Souvent, le matériau présente le sujet comme partiellement démuni dans la mise en oeuvre de sa quête, partiellement incapable de mener les actions qui lui permettent d’atteindre l’objet. L’adjuvant, est ce (ou celui) qui aide le sujet dans sa quête, qui favorise l’obtention de l’objet positif. Celui qui détient ou possède l’adjuvant et qui permet au sujet d’en bénéficier pour mener à bien sa quête est le destinateur positif. De manière symétrique, certains éléments peuvent handicaper le sujet dans sa quête. L’opposant est ce (ou celui) qui contrarie le sujet dans sa quête, qui compromet ou empêche l’obtention de l’objet positif en poussant le sujet vers l’objet négatif. La réalité qui envoie l’opposant « barrer la route » du sujet est le destinateur négatif ».(218)

Si notre choix s’est porté sur l’analyse structurale pour analyser nos entretiens, c’est notamment parce que, selon Anne Piret et Etienne Bourgeois, c’est une technique qui peut « se révéler pertinente chaque fois que les questions de recherche nécessitent de prendre en compte le point de vue d’un sujet, ou d’un groupe de sujets, et que ce point de vue est (ou peut être) exprimé sous une forme langagière ».(219) Or, ce qui nous intéresse c’est justement le point de vue de nos répondants sur la situation de l’éducation en Argentine et la problématique des abandons scolaires, point de vue que nous avons recueilli suite aux entretiens semi-directifs.

Un des principaux atouts de l’analyse structurale est de pouvoir synthétiser les entretiens, de les présenter sous forme d’un « schéma de forme standardisée »(220) et dès lors, de permettre la comparaison entre des discours tenus par différents locuteurs ou par un même locuteur à des moments différents.(221) Dans notre cas, cette technique d’analyse nous semblait donc particulièrement intéressante pour comparer l’opinion de nos répondants, vu leurs différents profils.

En outre, un autre apport de l’analyse structurale est « de garantir, par le jeu de règles précises de traitement du matériau, la fidélité au point de vue, individuel ou collectif, exprimé par le locuteur, en se préservant de projeter dans l’analyse les hypothèses ou intuitions subjectives du chercheur ».(222)

Cependant, il existe toujours malgré tout une part d’interprétation car « il est quelquefois difficile d’échapper aux connotations que le sens commun attribue à certains termes et de restituer fidèlement les représentations du locuteur »(223), d’autant plus lorsque le locuteur lui-même est ambigu ou fait appel à l’implicite.(224) C’est pourquoi, on recommande idéalement l’interaction d’au moins deux analystes et la complémentarité avec d’autres méthodes qualitatives d’analyse de contenu, comme l’analyse thématique, ou des méthodes quantitatives, comme l’approche par questionnaire.(225)

Finalement, il convient aussi de garder à l’esprit que l’analyse structurale s’intéresse au point de vue des individus sur la réalité et non à la réalité elle-même.(226) Ainsi, à travers notre analyse, nous ne visons pas tant à expliquer pourquoi les jeunes abandonnent l’école en secondaire mais à comprendre comment nos répondants, eux, expliquent cette situation.

Nous nous intéressons donc à la réalité à travers l’opinion qu’en ont nos locuteurs, opinion que nous allons maintenant analyser dans la section suivante.

4.2. Analyse des entretiens

Avant de commencer notre analyse, il nous semble important de rapporter ici une remarque concernant la transcription des entretiens.

Comme le disent Stéphane Beaud et Florence Weber, la transcription transforme l’entretien, elle peut l’enrichir ou l’appauvrir considérablement :

D’une part, les normes du bien parler sont différentes des normes du bien écrire. […] D’autre part, en transcrivant, vous allez nécessairement modifier le statut de votre « source », altérer le sens de l’interview, figer des paroles et les « dégrader » ou les ennoblir en texte. Quelle que soit la qualité de votre transcription, vous allez faire perdre à l’entretien une partie de ce qui fait la richesse de l’interaction de face à face et des paroles qui s’y prononcent, notamment tout le subtil dégradé des émotions qui passent à travers la voix. […] On ne peut pas rester fidèle dans la transcription.(227)

Cette difficulté se double dans notre cas d’une deuxième : tous nos entretiens ont été menés et transcris en espagnol puis traduits. Dès lors, l’entretien de base s’est nécessairement vu transformé par la traduction. En effet, certains mots ou expressions n’existent qu’en espagnol et il est parfois difficile de les traduire littéralement. Nos matériaux ont donc subi une certaine perte d’informations par rapport aux entrevues d’origine. Ce n’est plus exactement le discours tel qu’il a été énoncé par notre locuteur, même si nous avons essayé de rester au plus près de ses termes.

Pour les raisons expliquées plus haut, nous avons retenu quatre entretiens parmi les sept réalisés. Notre but étant de comparer l’opinion de ces quatre répondants, nous avons sélectionné les passages à analyser en fonction de thèmes présents dans chacun des entretiens et jugés pertinents par rapport à la recherche.

Ces thèmes sont au nombre de trois : la situation actuelle de l’éducation argentine, la distinction entre écoles privées et publiques et, les abandons scolaires et les solutions.

Chaque entretien sera donc analysé à partir de ces trois thèmes communs.

En outre, par rapport au thème des abandons scolaires, nous prenons en compte deux sous-thèmes : le nombre d’abandons et leurs facteurs explicatifs.

Afin d’alléger la présentation, nous ne mentionnerons ici que les passages analysés mais avons placé en annexe l’ensemble des extraits choisis.

Pour chaque entrevue, nous présenterons dans un premier temps notre répondant et les conditions de l’entretien (lieu, heure, durée) pour ensuite détailler l’analyse des passages retenus. Pour des raisons déontologiques, nous avons décidé de préserver l’anonymat de nos enquêtés en remplaçant leur nom par une initiale (sans correspondance avec leur vrai nom).

4.2.1. Entretien avec Mme P.

Présentation : Mme P. est une institutrice primaire d’une cinquantaine d’années. Elle vit dans un quartier proche du quartier marginalisé Villa la Tela. Depuis le début de sa carrière, il y a une vingtaine d’années, elle a toujours enseigné à des enfants, dans différents quartiers marginaux. A présent, elle donne depuis trois ans des cours de primaire à des adultes et des jeunes de Villa la Tela, dans un centre prévu à cet effet.

Ayant grandi dans un quartier marginalisé et, aujourd’hui mère de quatre enfants (24, 18, 17 et 15 ans), elle considère leur niveau de vie et le sien bien meilleur que celui qu’elle avait durant son enfance.

Lieu et heure : L’entretien a eu lieu dans un des locaux vides du centre intégrateur communautaire de Villa la Tela, à mi-journée, et a duré environ 40 minutes.

Après avoir présenté notre recherche, Mme P. a commencé à parler de l’éducation en Argentine sans que nous ayons eu le temps de lui demander de se présenter. C’est au fur et à mesure de l’entretien que nous avons pu obtenir plus de détails sur notre répondante.

Cette volonté de passer directement au sujet est peut-être due au fait que nous connaissions déjà Mme P. avant l’entretien, pour avoir assisté à des débats organisés avec ses élèves avant son cours.

Ses réponses étaient en général assez brèves mais nous nous sommes rendu compte, à l’écoute de l’enregistrement, que nous posions beaucoup de questions d’éclaircissement, interrompant souvent sans le vouloir notre locutrice. Cela peut sans doute s’expliquer par le fait qu’il s’agissait de notre premier entretien et que nous souhaitions recueillir le plus possible d’informations. Mais finalement, cela a plutôt eu tendance à biaiser l’entretien et à le transformer en questions-réponses courtes. Toutefois, malgré la brièveté des réponses, certaines nous ont semblé intéressantes à comparer avec celles de nos autres répondants.

La situation actuelle

Selon Mme P., l’éducation actuelle en Argentine est bonne, mais parfois les politiques ne le sont pas. Elle ajoute : « L’enseignant fait tout ce qu’il peut pour que ça s’améliore mais parfois les politiques éducatives ne sont pas bonnes, alors nous ne réalisons pas ce que nous voulons ».

Elle oppose ici ce que fait l’enseignant et qu’elle considère positif, aux mauvaises politiques éducatives. Elle ne considère pas que toutes les politiques éducatives soient mauvaises, d’après le matériau, mais qu’elles le sont parfois et que cela entrave l’action des professeurs.

Plus loin elle précise : « c’est comme si chaque fois on permet plus de choses aux enfants, aux adultes et adolescents », en évoquant le fait, par exemple, qu’on les laisse maintenant passer avec trois cours de l’année précédente. Selon elle, ce n’est pas la bonne attitude, « il faut leur donner des outils pour qu’ils étudient, pour qu’ils apprennent ».

Nous voyons donc ici que Mme P., dans son discours, oppose de nouveau deux choses qu’elle valorise différemment : le fait de permettre chaque fois plus de choses est considéré négatif et le fait de donner des outils d’apprentissage aux enfants et jeunes, est vu comme positif.

Cela nous a donc évoqué la structure parallèle suivante :

Certains éléments dans cette structure sont mis entre parenthèses parce qu’ils ne sont pas formulés tels quels par notre locutrice. Nous avons condensé ses propos pour pouvoir les indiquer dans le schéma.

Plus loin, elle précise qu’à Cordoba, il y a beaucoup « d’abandon de la part du groupe familial, les enfants restent seuls » ; dans les quartiers vulnérables, dit-elle, les parents ne voient pas l’éducation comme quelque chose d’important parce qu’eux-mêmes ont rarement pu aller à l’école : « ils ne voient pas l’école comme quelque chose de bon pour eux, l’éducation. Parce que eux non plus ils ne l’ont pas eu, c’est récemment qu’il y a des gens qui se rendent comptent de ce qu’est l’éducation. Alors, quand tu ne l’as pas, tu ne penses pas que c’est important… ». Elle ajoute qu’il y a des écoles dans ces quartiers mais que les adultes ne s’en soucient pas.

Lorsque nous lui posons des questions sur ses contacts avec les parents des élèves, elle répond qu’ils sont très rares, ils ne viennent que pour quelque chose de grave et ils ne se déplacent pas pour retirer les bulletins de notes. Ici, elle met donc l’accent sur la responsabilité des parents dans le manque d’intérêt pour l’éducation, ce n’est pas la faute des enfants : « Et nous essayons de lutter et de faire avancer ces enfants, pour qu’ils apprennent parce que ce n’est pas leur faute ».

Nous avons dès lors construit une structure hiérarchisée, puisqu’elle parle des quartiers vulnérables et on peut penser que la situation est différente dans les autres quartiers même si elle ne les mentionne pas (nous mettons donc l’inverse « quartiers non-vulnérables », entre parenthèses). L’inverse « quartiers vulnérables » est, quant à lui, l’axe sémantique d’une autre disjonction entre deux inverses : l’intérêt pour l’éducation et le « non-intérêt ».

En effet, elle nous dit qu’il n’y a pas d’intérêt pour l’éducation mais elle mentionne tout de même le fait que récemment, il commence à y en avoir. On peut donc considérer deux cas de figures dans les quartiers vulnérables : certains ne sont pas intéressés et d’autres si. Dans le cas où il n’y a pas d’intérêt, ce n’est pas la faute des enfants mais plutôt celle des parents, qui ne se soucient pas de leur éducation. Mais Mme P. n’émet pas vraiment de jugement à l’égard des parents, elle dit qu’ils ne s’intéressent pas à l’éducation parce qu’eux-mêmes n’y ont souvent pas eu accès. C’est plus une constatation qu’un jugement, c’est pourquoi nous mettons les valorisations entre parenthèses, de même que l’inverse « faute des parents », parce que cela n’est pas dit explicitement dans l’entretien.

Distinction entre écoles privées et publiques

Pour Mme P., il y a beaucoup de différences entre ces deux types d’institutions : le niveau économique des élèves inscrits dans le privé est plus élevé, il faut payer une contribution chaque mois et ils ont un meilleur accès aux livres. Avant, nous dit-elle, « l’Etat fournissait des livres à toutes les écoles pour qu’elles en aient mais…il se passe toujours la même chose, comme ça ne leur coûte rien, ils n’en prennent pas soin, alors ils ne sont plus utilisables par d’autres élèves ». Elle évoque ici le manque de soin qui existe dans les écoles publiques : les enfants ne prennent pas soin du matériel parce qu’ils ne doivent rien payer.

Pour représenter cette distinction entre écoles privées et publiques, la structure qui semble la plus adéquate est la structure parallèle :

Si cette structure permet de visualiser directement les différences faites par Mme P. entre les écoles privées et publiques, elle pose tout de même problème au niveau des valorisations.

En effet, si elle dit que les enfants cassent le matériel parce qu’ils ne doivent rien payer, cela ne signifie pas pour autant qu’elle valorise le fait de devoir payer une inscription. Ne lui ayant pas posé la question à ce moment-là, on ne peut faire que des suppositions… Ensuite, il n’est pas possible non plus de donner une valorisation au niveau économique des élèves, c’est pourquoi nous n’en avons pas mise ici.

Les abandons scolaires et les solutions

Selon notre répondante, il y a beaucoup moins d’abandons scolaires aujourd’hui que dans le passé. Elle explique qu’on contrôle plus les familles, les enfants, on cherche des incitations pour les faire venir et rester à l’école : « c’est comme si tout ça évolue, il n’y a plus tellement d’abandons scolaires comme il y en avait avant et le problème le plus grave c’est le comportement qu’ils ont ». Ce problème de conduite et d’agressivité, dit-elle, existe aussi bien dans le primaire que dans le secondaire et découle souvent de problèmes familiaux. Cela engendre des conflits entre les professeurs et les parents d’élèves, qui finissent par changer leurs enfants d’école voire à ne plus les y envoyer, si le problème persiste.

En outre, d’après notre répondante, beaucoup abandonnent aussi en secondaire suite à des redoublements, parce qu’ils n’étudient pas…et ce n’est pas seulement le cas des écoles publiques : « il y a des écoles privées où parfois les parents arrêtent de payer parce qu’il n’y a pas… Il n’y a pas de résultats ». D’après Mme P., les abandons et les redoublements existent donc aussi bien dans le privé que le public.

Pour elle, un des problèmes majeurs actuellement, c’est le faible niveau culturel des enseignants récemment diplômés : « c’est comme si chaque fois les enseignants viennent avec moins de connaissances », elle considère qu’ils ne sont pas préparés « pour cette société, pour ces enfants qui ont des problèmes ». Ils remplissent de nombreux rôles pour leurs élèves mais ne reçoivent aucune préparation : « il n’est pas seulement professeur, il est assistant social, compagnon, ami, il est tout pour l’enfant et on ne les prépare pas pour ça ».

A plusieurs moments de l’entretien, Mme P. a évoqué la charge de travail des enseignants : ils remplissent de nombreuses fonctions, travaillent non seulement en classe mais ensuite de nombreuses heures à leur domicile…et ne sont pas très bien payés.

Elle accorde un rôle important aux enseignants dans l’amélioration de la situation : « la différence se trouve dans l’enseignant, dans l’envie qu’a l’enseignant de donner des connaissances à ses élèves », c’est eux qui peuvent permettre aux enfants d’avancer…

Mais l’Etat aussi a des responsabilités : « L’Etat devrait essayer d’améliorer tout ça. Ils promettent mais le moment venu, ils ne donnent pas les budgets… ».
Ici, le schéma de quête nous a semblé le plus approprié pour rendre compte de la situation.

En effet, Mme P. aborde plusieurs thèmes mais ne les oppose pas vraiment. Par contre, avec le schéma de quête, il nous est possible de saisir la dynamique entre ces différents éléments.

Ce schéma permet donc de résumer le discours de Mme P. par rapport à la question des abandons scolaires. L’Etat est vu comme le destinateur positif, c’est-à-dire celui qui envoie les adjuvants permettant d’atteindre l’objectif : si l’Etat donne des budgets, des incitations, s’occupe de la formation des enseignants…les élèves seraient plus enclins à poursuivre leurs études (entre parenthèses parce que Mme P. ne le dit pas en ces termes-là).

Par contre, les problèmes de conduite, l’agressivité, les redoublements…vont plutôt les pousser à l’abandon scolaire.

Nous avons éprouvé des difficultés pour cerner un destinateur négatif dans le discours de notre répondante. Il semble, selon elle, que les problèmes familiaux soient souvent à la base des problèmes de conduite et de l’agressivité, mais concernant le faible niveau culturel des enseignants, nous n’avons pas creusé suffisamment la question au moment de l’entretien, et nous ne sommes donc pas en mesure d’en déterminer la cause selon notre répondante.

4.2.2. Entretien avec Mme S.

Présentation : Mme S. (environ 40 ans) travaille comme psychopédagogue dans une petite ong qui s’occupe d’enfants et d’adolescents en situation de vulnérabilité. Elle est également professeur de psychologie et de formation étique dans une école publique secondaire (agro-technique).
Issue de la classe moyenne basse, elle habite et travaille dans un quartier marginalisé au nord-est de Cordoba.

Lieu et heure : L’entrevue s’est déroulée dans le secrétariat de l’organisation, à mi-journée et a duré un peu plus de 40 minutes.

La situation actuelle

Mme S. considère que le niveau éducatif à Cordoba, et en Argentine en général, a beaucoup baissé et continue à empirer. Elle évoque surtout les différents changements qui ont eu lieu en éducation ces dernières années et qui n’ont pas eu les effets escomptés : modification du nombre d’années scolaires, de la quantité de matière,…

Tous ces changements, dit-elle, visaient notamment à mieux préparer les enfants pour leur passage du primaire au secondaire, mais sans succès.

Les enfants de 12 ans, ajoute-t-elle, ne sont pas prêts psychologiquement, ne sont pas assez mâtures pour entrer en secondaire, et « la deuxième année du secondaire, c’est comme une année charnière, à ce moment-là beaucoup redoublent » voire abandonnent.

En même temps, ceux qui terminent leurs études, sortent du secondaire avec un faible niveau académique. C’est en tout cas ce qu’elle remarque au niveau des écoles publiques.

« Mais l’Argentine dans le passé, elle était beaucoup mieux en Amérique latine, et au jour d’aujourd’hui non…il y a une crise des professionnels, de la préparation qu’ils ont, comme aussi en secondaire…combien entrent à l’université…très peu ».

Elle fait donc ici une distinction entre la situation actuelle, critique, et le passé où la situation était meilleure : « avant la classe moyenne et la classe inférieure entraient à l’université, au jour d’aujourd’hui non ».

Selon elle, la situation a changé en une quinzaine d’années. Elle déplore surtout qu’aujourd’hui, les parents se préoccupent beaucoup moins de l’éducation et qu’il y ait une dévalorisation du travail. Depuis que l’Etat octroie des subsides, elle trouve que les gens ne cherchent plus à étudier et travailler mais se contentent de les recevoir : « je crois qu’aujourd’hui les parents avec ce thème des subsides, ils attendent que l’Etat leur donne parce tu sais que l’Etat d’une manière ou l’autre va te…va te contenir. Alors bon, si tu n’étudies pas, tu auras quelques subsides…alors l’éducation a beaucoup décliné mais avant il n’y avait pas de subsides, tu devais étudier et te préparer pour pouvoir travailler ».

On peut donc représenter cette opposition entre la situation actuelle et le passé, par une structure parallèle qui reprend les différents éléments énoncés par notre locutrice :

La distinction entre écoles privées et publiques

D’après Mme S., le privé a plus d’exigences, un niveau académique plus élevé, plus de contenus, les enfants y reçoivent une éducation de meilleure qualité qu’à l’école publique. Cependant, ce n’est pas non plus l’école privée d’il y a 10 ans.

De même, elle raconte qu’aujourd’hui les écoles privées sont surpeuplées parce que de plus en plus de parents y inscrivent leurs enfants : « ce que recherchent certains parents, c’est que les enfants reçoivent une meilleur qualité éducative qu’à l’école publique…alors elles sont surpeuplées, tu as une école publique avec une classe de 25 enfants et dans l’école privée, 45 ! » On peut dès lors représenter cette situation par une structure croisée reprenant deux disjonctions : celle qui prend en compte la qualité de l’éducation et, celle qui prend en compte le nombre d’élèves.

Cette structure permet de voir que, dans le discours de notre répondante, l’école privée actuelle a toujours un meilleur niveau que l’école publique mais inférieur à ce qu’il était il y a dix ans. L’école privée actuelle est également surpeuplée, ce qui n’est pas le cas de l’école publique d’après Mme S., puisqu’une classe dans le public compte une vingtaine d’élèves.

La quatrième case correspondrait à une école où la qualité éducative ne serait pas très bonne et où il y aurait trop d’élèves, mais comme elle n’est pas évoquée par notre répondante, cette case se trouve ici hachurée.

Les abandons scolaires et les solutions

D’après son expérience professionnelle, Mme S. a pu constater qu’il n’y a pas tellement d’abandons dans le primaire mais bien dans le secondaire : « s’il y a 100 enfants qui entrent en première année, en sixième année n’arrivèrent que 30 ».

Les principaux facteurs qu’elle évoque pour expliquer les abandons sont les problèmes familiaux ou le fait que ces jeunes commencent à travailler. Elle dit aussi être souvent confrontée à des problèmes de violence dans l’école où elle enseigne. C’est un quartier de marginaux et les adolescents amènent avec eux différents problèmes à l’école : « il y a beaucoup de problématiques, auxquelles toi, par-ci par -là dans la classe, tu dois essayer de voir tout ça et puis donner cours… donc ça te prend plus de temps appeler et voir quelle est toute la problématique avec les enfants : la problématique juridique, familiale, financière… ».

Selon elle une des solutions pour améliorer la situation serait un plus grand engagement des enseignants : « dans le fait d’encourager les enfants à l’effort, au travail…à valoriser leur travail, c’est-à-dire leur travail scolaire, pas un travail rémunéré. Leur donner des devoirs et qu’ils les fassent…qu’ils s’engagent dans l’éducation par leur effort ».

Elle considère également très positive la remise en application des écoles techniques, délaissées jusque là à Cordoba.

Par contre, elle déplore que l’Etat ne s’occupe pas des aspects éducatifs et critique beaucoup les subsides qu’il octroie car, il pousse les gens à s’en contenter, à ne pas faire d’efforts, à ne pas étudier…et l’éducation décline.

Selon elle, si le gouvernement donne ces subsides, c’est parce que ça l’arrange : « c’est plus facile d’avoir des gens avec des subsides qui ne pensent pas, qui ne s’éduquent pas, qui ne se préparent pas…que des gens qui pensent ».

La plupart des données relatives aux abandons scolaires peuvent être représentées sous la forme du schéma de quête ci-dessous :

Ce schéma ne présente pas de destinateur négatif car nous n’avons pas pu en déceler un dans les propos de notre locutrice.

4.2.3. Entretien avec Mme D.

Présentation : Mme D. est une dame d’une quarantaine d’années, responsable d’une petite bibliothèque où se donnent des cours de soutien scolaire pour les élèves du primaire et du secondaire. Elle est située dans un quartier au nord de la ville, habité principalement par des personnes de classe moyenne basse. C’est dans ce même quartier que vit notre répondante.
Lieu et heure : l’entrevue a eu lieu dans la bibliothèque, en soirée, et a duré un peu plus d’une heure.

La situation actuelle

Mme D. trouve que l’éducation en Argentine a beaucoup décliné par rapport aux années où elle était encore à l’école, dans les années 60-70. Elle rapporte qu’à cette époque, le niveau de l’école publique était très bon et puis « tout s’est démonté » et il y a eu divers changements : fermeture des écoles techniques, transfert du budget des écoles nationales aux provinces,…

D’après elle, c’est cela qui est responsable du déclin de l’éducation : « c’est là que surgit il me semble le problème de l’éducation parce que c’est comme si ils surchargent, ils ferment des écoles ou retirent le budget des écoles nationales pour…et ils le passent aux provinces, les provinces n’ont pas beaucoup de ressources et le niveau commence à décliner un peu… ».

Elle énumère ensuite plusieurs problèmes que connaît actuellement l’éducation en Argentine : le fait que certains enseignants ne vont plus donner cours, l’embauche de professionnels (un comptable pour les mathématiques par exemple), qui n’ont pas la pédagogie pour enseigner et donc que les élèves ne comprennent pas, la tendance à laisser passer les élèves pour ne pas avoir trop de doubleurs,…

C’est surtout le passage du primaire au secondaire qu’elle considère problématique : les enfants n’ont pas le niveau, redoublent… : « on ne passe pas dans les premières années et les pauvres, les enfants en première année avec autant de matières et de ne rien savoir et passer en secondaire ».

Quant aux professeurs, ajoute-t-elle, même si ils ont toujours été mal payés, la crise les a vraiment affectés ainsi que l’école publique, où beaucoup d’enfants se rendaient parfois pour manger dans les cantines, plutôt que pour étudier.

A ce stade, la seule opposition qu’il nous semble pouvoir représenter, est celle entre la période où notre répondante était encore à l’école et où, dit-elle, le niveau était très bon et, la situation actuelle, en déclin.

La distinction entre écoles privées et publiques

Une des principales différences que note notre répondante est liée à la conduite des élèves.

Dans le privé, il faut payer et donc les élèves sont pour ainsi dire obligés de bien se comporter, tandis que dans le public, « il faut tout casser, c’est à tout le monde et à la fois à personne ». Les professeurs, quant à eux, n’interviennent pas, laissent casser, pour éviter des problèmes avec les parents. Selon Mme D., le respect de l’autorité est en train de se perdre et est notamment lié à l’anarchie qui existe dans les familles : certains parents deviennent plus des amis ou des frères et soeurs, les rôles changent, « les enfants perdent les limites ».

A propos de cette distinction entre le privé et le public, nous pouvons la représenter sous forme d’une structure parallèle :

Mme D. nous dit que dans les écoles privées, il y a des frais à payer et donc que les enfants sont tenus de bien se comporter. Cependant, il n’est pas possible de savoir si elle valorise pour autant le fait de payer par rapport à l’inscription gratuite. C’est pourquoi nous avons mis ces valorisations entre parenthèses. Ensuite, si elle parle de la non-intervention des professeurs dans le public, elle n’évoque pas l’intervention dans le privé. Nous plaçons donc également ce terme entre parenthèses.

Les abandons scolaires et les solutions

Si les jeunes abandonnent l’école aujourd’hui, nous dit Mme D., c’est parce qu’avec le développement des technologies et de l’information, ils surpassent les enseignants en connaissances : « l’éducation est restée en arrière par rapport à toute la technologie et à toute l’information que les enfants reçoivent ». Dès lors, ils sont désintéressés, s’ennuient ou dérangent les cours.

Pour elle, la solution passe par la formation des enseignants, ils doivent chercher des stratégies pour intéresser leurs élèves. Mais l’Etat doit également donner les moyens pour que les enseignants soient mieux formés, « il doit former d’une autre manière ».

La remise en application des écoles techniques est également un point positif selon elle.

Ces écoles avaient été fermées fin des années 90, pour diminuer les dépenses de l’Etat, mais pour notre locutrice, elles permettent à ceux qui ne souhaitent pas continuer d’études, de trouver un travail à la sortie de l’école. Dans le cas de Cordoba, par exemple, et des villes voisines, il faut selon elle, miser sur l’hôtellerie et le tourisme.

Il est possible de reprendre la plupart de ces éléments dans le schéma de quête suivant :

L’Etat est vu comme le destinateur positif, celui qui doit permettre de mieux former les professeurs, de développer l’enseignement technique…et donc celui qui envoie les adjuvants pour la poursuite des études.

En revanche, le manque de formation ou la formation inappropriée fait que l’école reste en arrière par rapport au développement des technologies. Elle entraîne le désintérêt des élèves, alors plus enclins à abandonner leurs études qu’à les poursuivre.

4.2.4. Entretien avec Mr. O

Présentation : Agé d’une vingtaine d’années, Mr O a récemment terminé ses études d’histoire à la Faculté de Philosophie et de Sciences Humaines de l’Université Nationale de Cordoba. Il travaille à présent comme précepteur dans une école secondaire publique, en 6e année et en orientation Economie et Gestion des Organisations.

Cette école est également celle où il a fait ses études secondaires.

Elle est dépendante de l’Université Nationale de Cordoba, et est considérée comme ayant un niveau académique élevé.
Lieu et heure : L’entrevue s’est déroulée en fin d’après-midi, à notre domicile sur place, et a durée environ une heure et demie.

La situation actuelle

Mr O considère la situation actuelle de l’éducation très précaire, aussi bien au niveau du primaire que du secondaire, et elle continue à se détériorer jour après jour, ajoute-t-il.

Selui lui, il s’agit d’un processus qui fait partie de la détérioration sociale de la société. Les gens ont de plus en plus de mal à satisfaire leurs nécessités basiques (alimentation, logement, santé, éducation). Beaucoup de secteurs de la population disposent de bas salaires, et l’inflation a détérioré leur pouvoir d’achat. Ce sont des problèmes qui touchent la société de manière générale et se répercutent à l’école, touchée également par des problèmes de violence, de toxicomanie…

Les enseignants, dit-il, sont très mal payés, ce qui les amène à faire grève un certain nombre de jours pendant l’année et cela entrave la bonne poursuite des cours.

Globalement, leurs faibles conditions de rémunération se reflètent dans la vie quotidienne de l’école : « Ça se reflète dans la salle de cours parce que, si d’un côté on doit s’adresser aux élèves et leur dispenser un enseignement, de l’autre côté, on vit la torture de penser qu’on ne va pas arriver à la fin du mois avec son salaire… ».

Il souligne aussi le mauvais état général des locaux : « des espaces qui peuvent s’effondrer, où le froid est extrême en hiver et la chaleur étouffante au printemps et en été…Où les toits tombent, les sanitaires ne sont pas dans de bonnes conditions… ».

A cela se rajoute les classes surpeuplées, avec parfois 40-50 élèves et les problèmes sociaux des élèves (« violence, agressivité, faim, marginalisation »), leur manque d’attention ou leurs faibles capacités « dues à une alimentation incorrecte durant leur enfance précoce et leur développement à l’adolescence ».
Pour lui, un des grands problèmes actuels de l’éducation, c’est qu’elle n’a plus pour vocation de former des professionnels ni des travailleurs qualifiés, mais une main-d’oeuvre bon marché pour les entreprises. C’est un problème qui n’est pas nouveau, dit-il, mais alors qu’avant c’était indirect, aujourd’hui on le fait de manière directe.

L’école primaire n’enseigne que les contenus nécessaires pour accéder au secondaire, et le secondaire ne vise pas l’accès aux études universitaires mais la sortie sur le marché du travail.

En outre, il existe un grand écart entre le primaire et le secondaire, les enfants ne sont pas suffisamment préparés en primaire et cela se note quand ils passent l’examen d’entrée pour le secondaire. Mais, cela se voyait déjà, lorsqu’il a dû lui-même passer cet examen, il y a une dizaine d’années. En effet, il a fallu baisser à 40 %, la limite de réussite initialement fixée à 70 %, et cela vu le très faible taux de réussite (30 candidats sur 800, avec de la place pour uniquement 256 d’entre eux).

Ici, nous ne sommes pas en mesure de représenter ses propos sous forme d’un schéma, il donne son « diagnostic » de l’éducation argentine actuelle mais n’émet pas vraiment d’oppositions entre les différents éléments.

La distinction entre écoles privées et publiques

Lorsqu’il est passé du primaire au secondaire, il est passé d’une école privée à une école publique, laquelle avait un niveau académique plus élevé. Mais aujourd’hui, dit-il, il n’y a presque plus de différences entre ces deux types d’institutions : elles ont pratiquement le même niveau éducatif, elles connaissent toutes les deux des problèmes de violence, les salaires des enseignants sont bas,… La différence, selon lui, se situe essentiellement au niveau matériel : il n’y a pas d’édifices détériorés, mal conditionnés comme dans le public. Elles ont de meilleures ressources éducatives vu l’apport des familles et les grèves y sont moins nombreuses (« vu que l’agent privé, au moyen du contrat, maintient une certaine menace implicite face à ceux qui voudraient réclamer pour de meilleures conditions »).

« Mais en parlant simplement de l’éducatif- et ça se voit quand ils essayent ou entrent dans des écoles pré-universitaires ou universitaires- elles sont au même niveau que le reste des établissement qui dépendent de l’Etat ».

Nous pouvons représenter les quelques éléments de distinction entre ces deux types d’établissements, de la façon suivante :

Par rapport aux valorisations des établissements, nous les avons mises entre parenthèses car il n’est pas possible de savoir exactement lequel est plus apprécié par notre répondant. On peut émettre comme hypothèse que l’école privée est vue positivement parce qu’elle a moins de problèmes matériels que l’école publique.

Quant à l’interruption des cours par des grèves, il n’ y a pas non plus d’indications claires dans le discours, qui permettrait de savoir ce qui est mieux (moins de grèves ou plus) mais par rapport au déroulement des cours, la rareté des grèves est plutôt positive.

Les abandons scolaires et les solutions

D’après ce que Mr O. sait, les abandons scolaires sont nombreux : « J’ai entendu, principalement à l’école secondaire, que ça correspond à plus ou moins 30 % des élèves ».

Il considère que différents facteurs peuvent expliquer ce problème : certains quittent l’école parce qu’ils n’aiment pas y aller, d’autres parce qu’ils travaillent en même temps et n’ont plus le temps d’étudier… Il dit aussi voir beaucoup de redoublements, même dans des écoles de niveau académique élevé comme la sienne, qui commencent dès les premières années et débouchent souvent sur des abandons en 5e année. Lorsqu’il était lui-même à l’école, les problèmes se situaient principalement en 5e, maintenant cela commence avant.

Mais le facteur principal selon lui, ce sont les « lacunes socio-économiques de la société en général » : « l’éducation a perdu son rôle formatif dans la société et les grandes crises économiques ont fait que de nombreux secteurs de la population se retrouvent à l’écart de l’éducation ou bien doivent l’abandonner pour aller travailler ».

La vie prime sur l’éducation, dit-il : si un jeune doit choisir entre aller travailler pour aider sa famille ou continuer ses études, il choisira la première option en général.

Souvent, ajoute-t-il, certains élèves sont confrontés à la violence dans leur milieu familial et transmettent cette agressivité à l’école. Toutefois, la violence ne concerne pas que les enfants et jeunes en situation de précarité : ceux dont les parents travaillent toute la journée pour maintenir un statut socio-économique élevé, « apprennent à se prendre en main seuls et généralement sans limites ». Mais, dit-il, c’est le cas d’une minorité.

Pour lui, la solution passe par des politiques d’éducation correctes et par la prise en charge directe de l’éducation par l’Etat : « L’éducation et la santé doivent être des responsabilités directes de l’Etat et il ne doit pas déléguer des responsabilités d’aucun type ni permettre que quelqu’un reste en dehors de ces responsabilités ».

Il déplore le système actuel qui consiste, dit-il, en un « capitalisme sauvage et compétitif » et dans lequel l’éducation n’est pas vue comme une priorité, « elle ne le sert que tant qu’elle produit de la main-d’oeuvre bon marché et soumise ».

Nous pouvons résumer les principaux éléments liés aux abandons scolaires, par le schéma de quête suivant :

Notre analyse se termine maintenant avec cet entretien.

Au travers de l’analyse de nos quatre entretiens, nous avons pu dégager certaines tendances, certaines similitudes et différences dans le discours de nos répondants.

C’est dans la section suivante, que nous allons tenter de résumer ces éléments et d’interpréter nos résultats. Nous tacherons également de déceler les liens possibles entre ces entretiens et la revue de la littérature exposée précédemment.

4.3. Interprétation des résultats

Pour interpréter les résultats de notre analyse, nous allons reprendre les trois thèmes de départ, c’est-à-dire : la situation actuelle de l’éducation argentine, la distinction entre écoles privées et publiques et, les abandons scolaires et les solutions.

Pour chacun de ces thèmes, nous comparerons les résultats obtenus afin de voir dans quelle mesure les opinions de nos répondants se rapprochent ou se différencient entre elles et, de la littérature.

La situation actuelle

La plupart de nos répondants s’accordent pour dire que la situation actuelle de l’éducation argentine est critique et s’est détériorée par rapport au passé.

En général, ils expliquent cette situation par les diverses crises économiques qu’a traversées l’Argentine, lesquelles ont eu un impact négatif sur de nombreux secteurs de la société dont l’éducation.

Mais ils évoquent aussi beaucoup les changements éducatifs des dernières années. Comme nous l’avions vu dans la revue de la littérature, de nombreux auteurs soutiennent que la situation actuelle découle des mesures prises dans les années 90 et surtout de la décentralisation. Cela apparaît clairement dans le discours de Mme D., la responsable de la bibliothèque. Selon elle, si le niveau décline c’est notamment suite à la fermeture de nombreuses écoles et au transfert des budgets éducatifs nationaux vers les provinces.

Un autre élément qui apparaît dans notre revue de la littérature et dans nos quatre entretiens, c’est la perte des valeurs du passé : la dévalorisation de l’éducation, le manque de responsabilités et d’efforts, la perte du respect de l’autorité… Mme P. par exemple, explique que les enfants cassent le matériel et les adultes fuient leurs responsabilités. Mme D. parle de la confusion des rôles : les parents sont à la fois des amis, des soeurs ou des frères, et les enfants n’ont plus de limites… Dans l’entretien de Mr O., il remarque que l’éducation est dévalorisée, elle n’est pas vue comme un moyen de s’instruire mais a pour but de former de la main d’oeuvre bon-marché. Mme S. remarque que les gens ne font plus d’efforts et se contentent de subsides.

Nos répondants dressent donc un portrait assez sombre de la situation actuelle.

Cela s’explique sans doute par le fait que, malgré leurs profils différents, ce sont tous des exécutants des politiques et des réformes entreprises, et non les décideurs. On peut supposer que les personnes à la base des changements, émettraient un jugement différent sur la situation.

Deux de nos répondants (Mme S. et Mme D.) rapportent toutefois un élément positif : la remise en application des écoles techniques, lesquelles avaient été délaissées fin des années 90 pour diminuer les dépenses de l’Etat.

Selon nos locutrices, ces écoles permettent de susciter de l’intérêt chez les jeunes et de les former à une spécialisation (hôtellerie et tourisme à Cordoba par exemple), ce qui est plutôt positif.

La distinction entre écoles privées et publiques

Pour tous nos répondants, il y a des différences entre ces deux types d’établissements, mais elles se situent à différents niveaux : au niveau de la conduite des élèves (pour Mme D.), au niveau de l’accès aux livres et de l’état du matériel (pour Mme P.), au niveau de l’état des bâtiments et des ressources (pour Mr O.).

De manière générale, il semble que l’inscription payante dans le privé protège ses élèves de certains problèmes présents dans le public : matériel et locaux en mauvais état, manque de ressources, mauvais comportements…

La plupart de nos répondants considèrent que le niveau de l’éducation est plus élevé dans le privé même si, pour Mr O., il est presque identique à celui du public et décline (Mme S. dit également que ce n’est pas le même niveau qu’il y a dix ans).

Dans la revue de la littérature, nous avions vu que les abandons étaient beaucoup moins nombreux dans le privé (12.5 %) que dans le public (21.6 %). On pourrait penser que le fait de payer l’inscription dans le privé, protège également les élèves des redoublements et des abandons. Or, nos répondants n’ont pas d’emblée évoqué cette distinction, pour eux il existe aussi des abandons et des redoublements dans le privé même s’ils n’évoquent pas de proportions. Cela peut sans doute se comprendre par le fait que nos répondants travaillent pour la plupart dans le public et n’ont pas accès à ces précisions sur les établissements privés.

Les abandons et les solutions

Par rapport au nombre d’abandons, nos locuteurs s’accordent pour dire qu’il y en a beaucoup dans le secondaire (Mr O. donne par exemple une estimation de 30 %, ce qui est assez juste en regard des statistiques). Seule Mme P. considère qu’il n’y en pas tellement, et en tout cas moins qu’avant. Si le problème semble moins préoccupant chez elle, c’est sans doute parce qu’elle enseigne dans le primaire, où les taux d’abandons sont justement assez faibles.

Dans le chapitre deux, nous avons pu noter les différents facteurs mis en avant pour expliquer les abandons : les facteurs externes au système éducatif (condition socio-économique défavorable, développement technologique, manque d’intérêt des parents, comportement rebelle du jeune, redoublements…) et les facteurs internes (formation insuffisante des enseignants, contenus pas assez captivants, méthodes dépassées…).

Dans le cas de notre recherche, nous avons retrouvé plusieurs de ces facteurs chez nos répondants, mais surtout deux en particulier : le travail infantile et les problèmes familiaux.

Nos répondants reconnaissent que la plupart des jeunes qui abandonnent leurs études sont issus de milieux précaires : s’ils abandonnent l’école, c’est pour travailler, pour aider leur famille financièrement. Cette idée est notamment très marquée dans l’entretien réalisé avec Mr O. Pour Mme P. et Mme S., il s’agit principalement d’une question de problèmes familiaux qui, ajoute Mme P., entraînent des problèmes de conduite à l’école, les enfants font preuve d’agressivité.
Ce thème de la violence en classe est récurrent dans les entretiens et il apparaît également dans la littérature. Les professeurs, dès lors, passent plus de temps à calmer la classe qu’à réellement donner cours.(228) Ce fait apparaît clairement dans l’entretien de Mme S., laquelle rapporte le temps qu’elle passe à discuter et à débattre avec les élèves, ce qui l’oblige souvent à laisser les contenus purement académiques de côté.

Les redoublements des élèves sont un autre des facteurs fréquemment mentionnés. Nos répondants remarquent que les enfants du primaire ne sont pas suffisamment préparés pour leur entrée en secondaire. On le constate notamment lors des examens d’entrée (propos de Mr O.) ou durant les premières années du secondaire, années où beaucoup enchaînent les redoublements, et certains finissent par quitter l’école avant la fin du secondaire.

Nous avions vu dans la revue de la littérature que certains professeurs faisaient passer leurs élèves plus facilement en fin de primaire, dans une optique de promotion sociale.(229) Seulement, ces enfants ne sont par la suite pas à même de répondre aux exigences du secondaire. Cette idée est bien présente dans l’entretien de Mme D. par exemple.

Mais, le principal facteur responsable des abandons selon elle, c’est le développement d’internet et des médias en général, développement qui a relégué l’école en second plan.

Les élèves ne sont plus intéressés par l’école, dit-elle, parce qu’avec internet, ils en savent maintenant plus que les enseignants. Dès lors, ils s’ennuient à l’école ou dérangent.

Ce facteur était également mentionné dans la littérature : c’est l’idée qu’avec le développement des technologies et des médias, l’école n’a plus le monopole en matière de transmission des savoirs.(230)

On pourrait penser que nos répondants mettent en avant principalement des facteurs externes au système scolaire pour expliquer les abandons, or ce n’est pas tout à fait le cas. Ils considèrent pour la plupart que l’enseignant à un rôle important à jouer. C’est en effet lui qui encourage les élèves, c’est lui qui peut leur donner envie d’apprendre. Seulement, au jour d’aujourd’hui, ils ne sont pas bien ou pas assez formés : Mme P. nous parle du faible niveau culturel des nouveaux enseignants, Mme D. de leur manque de formation face au développement des technologies,…

Par contre, ils n’évoquent pas directement l’archaïsme des contenus scolaires ou des méthodes, mentionné dans la littérature. Seule Mme S. nous dit essayer d’adapter les contenus de ses cours à la pratique, au vécu de ses élèves et de la ville, afin d’éviter de rester trop théorique.

Un dernier élément qui se retrouve dans les quatre entretiens, c’est l’importance accordée au rôle de l’Etat dans l’éducation : il doit octroyer des budgets, permettre une meilleure formation des enseignants, mettre en place des politiques éducatives correctes…

Selon nos répondants, l’Etat a une grande responsabilité en matière d’éducation mais il ne l’assume pas, il délaisse les aspects éducatifs. C’est surtout dans l’entretien de Mr O. qu’on note une critique envers l’action actuelle de l’Etat : il ne voit pas l’éducation comme une priorité, l’éducation aujourd’hui ne vise qu’à former de la main d’oeuvre bon-marché.

Chez Mme S. la critique de l’Etat se situe au niveau des subsides qu’il octroie et qui, selon elle, n’encourage pas les gens à étudier.

Cependant, trois répondants sur les quatre interrogés considèrent qu’en prenant des mesures adéquates, l’Etat pourrait améliorer la situation de l’éducation et par là diminuer le nombre d’abandons.

Ceci termine notre interprétation des résultats et nous allons maintenant passer à la conclusion de notre recherche.

205 PIRET, A, J. NIZET, et E. BOURGEOIS, L’analyse structurale. Une méthode d’analyse de contenu pour les sciences humaines, Bruxelles, De Boeck, 1996, p.8.
206 Ibid., p.9.
207 MARTINIC, S., « L’analyse structurale de contenu : quelle construction de catégories ? », in L’analyse qualitative en éducation. Des pratiques de recherche aux critères de qualité, sous la direction de L. Paquay, Bruxelles : De Boeck, 2006, p.194.
208 PIRET 1996, p.16.
209 Ibidem
210 Ibidem
211 Ibid., p.18.
212 Ibid, p.26.
213 Ibid, p.22 (souligné par les auteurs).
214 Ibid, p.26.
215 Ibid, p.27.
216 BOURGEOIS, E. et A. PIRET, « L’analyse structurale de contenu, une démarche pour l’analyse des représentations » in L’analyse qualitative en éducation. Des pratiques de recherche aux critères de qualité, sous la direction de L. Paquay, 179-191. Bruxelles : De Boeck, 2006, pp.185-187 (souligné par les auteurs).
217 PIRET 1996, p.77 (souligné par les auteurs).
218 Ibid., p.79.
219 BOURGEOIS 2006, p.181.
220 Ibid., p.182.
221 PIRET 1996, p.128.
222 BOURGEOIS 2006, p.182.
223 PIRET 1996, p.151.
224 Ibid., p.134.
225 BOURGEOIS 2006, p.191.
226 PIRET 1996, p.126.
227 BEAUD 2010, p.211.
228 BRITO 2009, p.155.
229 SABATTINI 1998, p.138.
230 CARENA 2008, p.388.

Page suivante : 5. Conclusion

Retour au menu : L’EDUCATION PRIMAIRE ET SECONDAIRE EN ARGENTINE : APERÇU DE LA SITUATION ACTUELLE EN MATIERE D’ACCES ET D’INSERTION SCOLAIRE