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4.5.2 Le processus de réconciliation

Près de 3 000 personnes auraient été tuées lors des quatre mois de la crise postélectorale en Côte d‘Ivoire qui avait opposé Laurent Gbagbo à Alassane Ouattara(212).

Le nouveau président avait déclaré, dimanche, le 03 mai 2011 avoir choisi Charles Konan Banny, pour diriger la « Commission pour le dialogue, la vérité et la réconciliation » en Côte d‘Ivoire. Une lourde tâche pour l‘ancien Premier ministre de transition de Laurent Gbagbo de décembre 2005 à mars 2007, cacique du Parti Démocratique de Côte d‘Ivoire (PDCI, ex-parti unique) qui s‘était engagé derrière Alassane Ouattara lors de la campagne pour le second tour de la présidentielle de novembre 2010, après avoir soutenu Henri Konan Bédié au premier. Mais, comment réconcilier aujourd‘hui les Ivoiriens ? Réflexion.

Réconcilier, c‘est réaccorder des personnes qui étaient en conflit. Cette réunion s‘opère sur un point d‘accord, de consensus qui raccorde les parties séparées, qui retisse les liens brisés par le conflit. Ce point d‘accord est constitué par des valeurs partagées dont les parties en conflit s‘étaient éloignés ou dont elles n‘avaient pas pris clairement conscience. La réconciliation n‘est donc pas physique. Elle est spirituelle et morale.

Elle repose sur des valeurs. Les signes physiques qui la manifestent ne sont que des symboles de cette réunion morale. Les embrassades et les effusions d‘une commission vérité-réconciliation expriment des retrouvailles sincères sur des valeurs communément partagées entre les bourreaux et leurs victimes. Elles signifient, à tout le moins, que le bourreau s‘est réconcilié d‘abord avec lui-même en proscrivant dans son coeur la volonté de meurtre et a retrouvé sa victime désormais respectée qui ne lui a accordé son pardon que sous cette condition ultime.

. La rupture du contrat social : Quand une société humaine antérieurement unifiée par le contrat social (cette précision a son importance car elle spécifie le cas ivoirien) a été fracturée, divisée de l‘intérieur par un conflit politique ayant conduit à des massacres de masse et à de graves déprédations comment doit s‘opérer la réconciliation ? Est-ce par un tribunal qui siège sous le droit positif ou par le dialogue et les aveux monnayés par une amnistie des criminels au sein d‘une commission vérité-réconciliation ?

En Côte d‘Ivoire il y a eu rupture du contrat social sous la forme d‘une manipulation de la loi fondamentale. Cette manipulation a trouvé son accomplissement dans le refus des résultats du suffrage universel. Ce refus a engendré un chaos où le droit a été violé sous la forme de massacres de masse et de graves déprédations diverses. La question de la réconciliation se pose donc d‘abord comme étant celle de la réconciliation du droit avec lui-même, d‘autant plus que le point d‘accord qui permet de sceller la réconciliation entre les parties en Côte d‘Ivoire, est la volonté commune du droit, la volonté commune du respect de la liberté, de la dignité, de la vie et des biens des personnes.

Affi N‘guessan, Mamadou Koulibaly et Alain Toussaint, pour ne citer qu‘eux, ont dénoncé les tortures, les assassinats, les violences et les dommages physiques dont les partisans de Gbagbo étaient victimes. Ils réclamaient le respect de la vie, de la dignité humaine, de la liberté et des biens des personnes de même que les victimes des violences qu‘ils ont initiées en inaugurant la méthode des escadrons de la mort, en refusant le résultat de l‘élection présidentielle, en criminalisant l‘armée, en engageant des mercenaires pour la guerre civile et en armant massivement la jeunesse désoeuvrée.

Sur ces principes et valeurs consensuelles doit s‘opérer la réconciliation, se tisser la médiation, le nouveau contrat social qui permettra à la Côte d‘Ivoire de franchir l‘intermède des années de dictature et de division sociale pour s‘engager dans la démocratie dont ces valeurs consensuelles sont l‘essence. Il s‘agit donc de restaurer le droit, d‘en refaire la loi de l‘existence publique et collective en Côte d‘Ivoire. Dans la ligne de cette convergence de vue entre les criminels et leurs victimes, le camp Gbagbo a déposé par la voix de l‘avocat français Maître Vergès des plaintes judiciaires contre X pour crimes contre l‘humanité commis à Abidjan. Par le tribunal il s‘agit en effet d‘accorder les volontés sur le respect du droit à travers le verdict des juges et la peine judiciaire. La réconciliation passe donc par la voie juridique du droit positif.

. Du nécessaire respect de la dignité humaine : Quel est, en effet, la source du crime qu‘il faut sanctionner juridiquement pour restaurer le droit et réconcilier les personnes ? Qu‘est ce qui rend possible la violation du droit et la fracture sociale ? Au-delà des phénomènes matériels de la violation que constituent les massacres les dommages et déprédations, la violation du droit est le fait d‘un acte du libre-arbitre personnel.
La dignité humaine a été piétinée, des massacres ont été commis, des gens ont été torturés, privés de liberté parce que des individus qui sont des êtres raisonnables ayant en eux cette volonté du respect de leur dignité, de leur vie, de leurs biens et de leur liberté, c‘est-à-dire cette volonté du droit comme tous les autres hommes, ont décidé de s‘opposer en eux-mêmes à leur propre volonté du droit parce que cela leur permettait de satisfaire leurs intérêts particuliers.

Leur volonté particulière d‘être de chair et de sang, animé par des passions, a triomphé de leur volonté du droit en tant qu‘être raisonnable. La réconciliation doit donc s‘effectuer d‘abord dans la personne du criminel qui est en désaccord avec sa propre volonté raisonnable, c‘est-à-dire avec sa propre volonté du droit, avec son droit. C‘est pour cela que le tribunal siégeant sous le droit positif est le premier moyen de la réconciliation. L‘objet de l‘arrêt pénal du tribunal est de réconcilier le criminel avec son propre droit.

Distincte de la vengeance, représailles injustes engagées par une volonté particulière pour réparer le viol de son sentiment du droit, la peine judiciaire qui frappe le criminel est juste parce qu‘elle est la manifestation de sa volonté raisonnable, de sa liberté et de son droit exprimés par le tribunal sous la forme de la loi pénale. En subissant sa peine il tombe sous son propre droit. Il faut restaurer le droit en supprimant sa violation dans la volonté du criminel. Il faut supprimer la violation du droit en lésant, par la violence judiciaire de la loi dans le tribunal, la volonté dans laquelle se trouve cette violation.

La peine judiciaire réconcilie ainsi le libre arbitre du criminel avec sa propre volonté. En le réconciliant avec sa propre volonté, elle le réconcilie avec ses victimes qui partagent avec lui la même volonté du respect de la dignité humaine, de la liberté, de la vie et des biens de la personne. Le pardon résulte de la réparation des dommages réalisée par la sanction judiciaire. Il est provoqué par le consensus sur les valeurs entre le criminel qui paie sa faute et sa victime. Gbagbo, Simone, Affi N‘guessan et les pontes du FPI partagent avec les victimes des massacres et des déprédations, qu‘ils sont soupçonnés d‘avoir commanditées, les valeurs de respect de la dignité humaine, de la vie de la liberté et des biens.

Il faut donc réconcilier les parties en conflit en restaurant le droit par le Tribunal. Par la peine judiciaire, le criminel est honoré comme un être raisonnable et réinséré dans la communauté des valeurs de respect de la dignité humaine, de la vie, de liberté et des biens, qu‘il partage avec ses victimes. On ne lui octroie pas cet honneur quand la mesure de sa peine n‘est pas proportionnée à son action, quand on le livre à la vengeance de la justice privée, quand on le traite comme une bête nuisible par la torture ou quand on lui accorde l‘impunité et ou une amnistie indue. La réconciliation passe donc nécessairement par la médiation de la justice pénale du tribunal qui accorde le criminel avec sa propre volonté du droit. Il peut désormais s‘accorder avec ses victimes et partager l‘existence dans une communauté juridique.

212 Afrik.com par Alexis Dieth – 03/05/11

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