A partir de 2001, les SPIP ont quitté les Tribunaux de Grande Instance pour intégrer leurs locaux propres. Les relations autrefois hiérarchiques entre les agents et les JAP sont, de fait, médiatisées par les DIP ou les CSIP, qui valident les rapports des CPIP, et par l’utilisation du logiciel APPI(32).
Le travail au quotidien des CPIP se trouve profondément modifié par un développement constant de l’écrit professionnel aux dépends de relations personnalisées avec les magistrats.
F, 54 ans, CPIP, 14 ans d’ancienneté
: « On fait plus d’écrits qu’avant ; on allait voir les JAP et ça se réglait sans rapports et maintenant, quand on leur téléphone, et c’est difficile de leur parler, ils nous prennent parfois pour des larbins ».
L’éloignement géographique d’avec les Juges d’Application des Peines et l’utilisation d’APPI rend nécessaire l’utilisation de l’écrit pour transmettre les informations concernant les personnes placées sous main de justice :
F, 49 ans, Assistante sociale, 28 ans d’ancienneté
: « C’est clair que la hiérarchie des SPIP ne souhaite pas qu’il y ait des relations privilégiées entre les CIP et les magistrat ; comme on les voit plus, comme on échange plus de vive voix, il faut écrire, compenser, ils veulent légitimement savoir ce qu’il se passe et il faut nourrir la machine de rapports semestriels ».
Cette évolution conduit les CIP à écrire pour des demandes autrefois gérées oralement avec les juges d’Application des Peines.
Ce rapport permanent avec l’écrit semble peser plus fortement sur les personnes ayant connu les CPAL que sur les promotions de CPIP ayant suivi la réforme des SPIP en 1999.
F, 49 ans, Assistante de service social, 28 ans d’ancienneté
: « Je pense que l’écrit effectivement ça s’est développé parce qu’on s’est éloigné des magistrats, et là où on pouvait communiquer finalement simplement en étant dans le même couloir en passant la porte des magistrats qui étaient très accessibles l’éloignement nous à obligé à écrire, à communiquer, moi, je pense que c’est ça qui a changé la donne, on avait un seul dossier, et le juge pouvait aller à tout moment le consulter, aujourd’hui il y a deux dossiers et il faut alimenter celui des juges par des écrits ».
F 46 ans, Assistante de service social, 22 ans d’expérience
: « Dans la pratique, ça a mis le rendu compte, le fait de devoir rendre des comptes, partout : écrire l’éloignement des tribunaux, les différentes instances, les débats contradictoires, les remises de peines supplémentaires, les commission d’application des peines ; on est arrivé à un travail beaucoup plus administratif ; ça nous a obligé, oui, ça a modifié la pratique, ça l’a rendue beaucoup plus administrative, en fait. »
F, 49 ans, Assistante de service social, 28 ans d’ancienneté
: « Il n’y avait pas de rapports semestriels, le juge demandait un rapport s’il était conformé que la personne passait à l’audience ; on avait besoin d’étayer si on avait besoin de demander une autorisation de déplacement, si on devait dire que la personne ne s’inquiète pas du tout de son obligation de dédommager et on trouvait qu’elle y mettait toute la mauvaise volonté du monde ; il fallait faire un rapport, on donnait les justificatifs au juge et on parlait de la situation. »
La dimension cognitive de ce passage de la culture de l’oral à l’écrit est très renseignée dans d’autres études sur les évolutions de l’action sociale. [CHAUVIERE, 2004] [ION, 2006]. Il existe de fait une dimension de contrôle de l’activité de l’agent dans l’émission de ces rapports mais également une acculturation progressive à l’usage de l’outil informatique, acculturation effectuée chez les CPIP arrivés après 2004 et la juridictionnalisation de l’Application des Peines.
H 51 ans, CPIP, 25 ans d’ancienneté
: « Il y a un aspect positif, pratique, il y a une transmission rapide d’information mais la machine est gourmande, il faut l’alimenter ; tout ça, ça prend beaucoup de temps. On est aussi affichés, potentiellement mis au pilori, c’est le côté un peu pervers d’APPI ; le problème majeur, c’est la lourdeur des écrits, effectivement si on répond de manière très rigoureuse à la commande institutionnelle, si on rédige les rapports semestriels, les rapports de ci, de ça, on est transformé en opérateur de saisie et on voit des collègues qui, finalement, essaient de répondre à cette commande pour ne pas être en défaut et qui oublient finalement de rencontrer les personnes ; certes les cases sont remplies mais les informations que l’on y trouve sont superficielles ».
Ainsi, la réponse aux attentes institutionnelles semble isoler le CPIP dans une logique de justification de son activité par l’écrit, sans reconnaissance extérieure de son action.
La multiplication des rapports et des comptes rendus peut devenir toutefois tellement importante qu’elle justifie en elle-même l’activité des CPIP au quotidien.
H, 31 ans, UGSP-CGT, 4 ans d’ancienneté
: « Il faut améliorer la lisibilité, la transparence de notre activité ; il faut pouvoir justifier notre activité, et ces arguments à consonance positives servent à justifier un travail de plus en plus contraignant, où on a de moins en moins d’autonomie, où on est submergé par la paperasserie et où justifier de ton activité professionnelle prend une part de ton travail non négligeable. »
Cela tendrait à infléchir leur intervention vers « un travail de plus en plus formaté par le développement d’outils informatiques. Ils (les agents) doivent respecter, sous peine d’être sanctionnés, les encodages prévus par la base de données qu’ils sont censés alimenter » [SLINGENEYER, 2007, p 15].
Ainsi, la création d’une hiérarchie semble éloigner les CPIP des contacts institutionnels sur le département et substitue, au contact direct avec les magistrats, la rédaction de rapports écrits de plus en plus nombreux. Le double échelon hiérarchique CSIP/DIP, appelé à disparaître en 2015, n’a jamais été reconnu par les CPIP comme pertinent surtout par les personnels ayant le plus d’ancienneté au sein de l’Administration Pénitentiaire.
32 Le logiciel APPI (Application des Peines-Probations-Insertion) est un outil informatique commun au service de l’application des peines et au service pénitentiaire d’insertion et de probation, qui permet la gestion des mesures dont ils ont la charge. Son utilisation donne accès à une information sur la mise à exécution des sanctions prononcées. Circulaire relative aux aménagements de peine et aux alternatives à l’incarcération CRIM 2006-09 E3/27-04-2006 NOR : JUSD0630051C Alternative à l’incarcération Aménagement de peine Application des peines Exécution des peines Loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 Loi n° 2005-1549 du 12 décembre 2005 Décret n° 2004-1364 du 13 décembre 2004.