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5. L’ISR dynamique

. Description

L’ISR dynamique a pour but de responsabiliser les entreprises. Il ne s’oppose pas forcément à l’intégration d’entreprises peu vertueuses dans les fonds. Dans cette optique, l’investisseur est considéré comme un contre-pouvoir dans l’entreprise et il est appelé à organiser des échanges structurés sur plusieurs niveaux avec l’entreprise afin de la faire évoluer. Ce processus structuré est nommé engagement actionnarial et les étapes successives peuvent être décrites comme suit :

– L’envoi de courriers à la direction de l’entreprise en formulant ses attentes dans le cadre d’échanges formels la rencontre avec des investisseurs dans le cadre de réunions multilatérales (roadshows organisés par les courtiers) ou bilatérales (réunions informelles)
– Un suivi des politiques issues de ce dialogue et des résultats obtenues
– Une publication des résultats
– Les questions en assemblée générales : ces questions écrites ou ont pour but d’interpeller publiquement les entreprises sur des sujets d’inquiétude et d’informer les actionnaires sur des enjeux précis.
– Le dépôt de résolution : en France, un actionnaire détenant 0,5% du capital d’une entreprise (avec une capitalisation supérieure à quinze millions d’euros) peut déposer une résolution concernant par exemple un élément de la stratégie ou de la gouvernance du groupe. Cette résolution doit non seulement être inscrite à l’ordre du jour lors de l’AG et devient contraignante si elle est adoptée à la majorité des voix exprimées le jour du vote.
– La pratique du « naming and shaming » lorsque le dialogue est sans issue : cette pratique issue du monde associatif consiste à nommer l’entreprise et dénoncer un de ces agissements jugé irresponsable par l’actionnaire. La dénonciation peut également porter sur l’attitude de l’entreprise lors de la tentative dans le cadre du dialogue (ex : l’entreprise a fait pression sur l’actionnaire pour l’empêcher de déposer une résolution).

Ces pratiques de l’ISR sont très populaires dans les pays du nord de l’Europe, le Royaume-Uni se positionnant à l’avant-garde de l’engagement avec 830,1milliard d’euros d’encours en 2010. Elles le sont moins en France puisqu’elles sont, comme nous le verrons, plutôt l’apanage de sociétés de gestion affiliées à des grands noms de l’assurance et du secteur bancaire.

. Les faiblesses de l’ISR dynamique

Les obstacles « politiques »

L’engagement actionnarial amène les actionnaires à se considérer comme un contre-pouvoir face aux dirigeants des entreprises. Si l’on considère que le rôle de l’investisseur est de responsabiliser les entreprises, ceci peut apporter une dimension conflictuelle à la relation entre les entreprises et les actionnaires qui peut placer ces derniers dans une position inconfortable. En effet, les actionnaires se considèrent avant tout comme des partenaires des entreprises. Une différence importante existe entre la pratique de l’engagement actionnarial du côté anglo-saxon et la pratique de celui-ci en France. L’exercice de l’engagement actionnarial nécessite donc l’appui de la hiérarchie pour pouvoir se faire dans de bonnes conditions.

Pourtant, les relations entre investisseurs et entreprises peuvent être gênées par des conflits d’intérêt liés au fait que certaines grandes multinationales soient clientes de grandes banques détenant de grandes sociétés de gestion. L’exemple de l’échec du dépôt de résolution à l’AG de Total portant sur l’information sur les risques environnementaux inhérents à l’exploitation des sables bitumineux en est un exemple probant. En 2011, Greenpeace et Phitrust(65 )(investisseur spécialisé dans les démarches d’engagement actionnarial) s’associent pour organiser le premier dépôt de résolution d’envergure portant sur l’environnement en France. L’organisation d’un tel dépôt est très lourde puisqu’il faut réunir 0,5% de la capitalisation de Total, soit plus de 375 millions d’euros d’actions (la capitalisation de Total est d’environ 76 milliards d’euros)(66).

Finalement, le duo Phitrust-Greenpeace parvient à réunir 0,93% du capital de Total le 17 mars 2011, date butoir du dépôt. Pourtant, deux actionnaires se désistent successivement le 23 et le 24 mars ; ce qui amène l’ONG Greenpeace à s’interroger sur les raisons de ces retraits « Total a-t-il si peur d’un débat en son sein sur le choix de ses investissements qu’il aurait passé quelques coups de fils aux actionnaires concernés? » Outre les conflits d’intérêts empêchant les investisseurs ISR d’agir vigoureusement sur la politique des multinationales, des barrières juridiques compliquent sérieusement le dépôt de résolution.

Un autre obstacle réside dans le flou juridique permettant aux entreprises d’interpréter les articles de manière à circonscrire le pouvoir des actionnaires et leur éventuel « ingérence » dans la gouvernance de celles-ci. Deux exemples illustrent ce propos :

– En 2009, la société Phitrust Active Investors(67) a tenté de déposer trois résolutions concernant les entreprises Sanofi-Aventis, Cap Gemini et Total concernant la transparence des rémunérations des dirigeants. Les trois sociétés ont invoqué l’article L225-47 affirmant que la fixation de la rémunération est du ressort du conseil d’administration : « Le conseil d’administration élit parmi ses membres un président qui est, à peine de nullité de la nomination, une personne physique. Il détermine sa rémunération ».
– En 2010, Phitrust réunit 0,5% du capital de la Société Générale et dépose une résolution demandant la séparation des fonctions de président du conseil d’administration et de directeur général. Dans un communiqué du 20 avril 2010, la Société Générale utilise l’article L225-51-1 du code de commerce pour refuser de soumettre cette résolution au vote des actionnaires estimant que « la dissociation ou non des fonctions de Président et de Directeur général relève, en application de l’article L225-51-1 du Code de commerce, de sa seule compétence ».

Selon l’article L 225-51-1 du code de commerce

« La direction générale de la société est assumée, sous sa responsabilité, soit par le président du conseil d’administration, soit par une autre personne physique nommée par le conseil d’administration et portant le titre de directeur général .Dans les conditions définies par les statuts, le conseil d’administration choisit entre les deux modalités d’exercice de la direction générale visées au premier alinéa. Les actionnaires et les tiers sont informés de ce choix dans des conditions définies par décret en Conseil d’Etat .Lorsque la direction générale de la société est assumée par le président du conseil d’administration, les dispositions de la présente sous-section relatives au directeur général lui sont applicables. »

L’opposition des entreprises au pouvoir des actionnaires(68) peut aussi se traduire par des mesures de rétorsion. Le 13 mai 2009, le président du conseil de surveillance Bruno Henri réunit les représentants des porteurs de parts du FCPE de Total pour voter les résolutions de l’assemblée générale du 15 mai 2009(69).

A l’issue de ce vote, les représentants des porteurs de part se prononcent contre les indemnités de départ de certains dirigeants et contre le renouvellement des mandats de Michel Pébereau et de Daniel Bouton(70).

La direction de Total décide alors d’attaquer Bruno Henri pour ne pas avoir invité les représentants de la société à la réunion du 13 mai, et pour ne pas avoir respecté le règlement du fonds et lui réclame 44 000€ de dédommagement. Les sept représentants de l’entreprise ont finalement été déboutés en première instance.

L’agence d’analyse de gouvernance Proxinvest précise que les réunions précédentes du fonds Total Actionnariat rassemblait aussi les représentants de l’entreprise, ce qui pose la question évidente de l’indépendance des syndicats représentant les porteurs de parts face aux pressions possibles émanant des dirigeants des entreprises.

De plus, nous pouvons nous interroger sur la légitimité même de la présence des dirigeants de l’entreprise dans les précédentes réunions puisqu’ils n’ont pas de parts du fond dont il est question.

Le manque de transparence de la démarche d’engagement

L’étude de Novethic aborde ce point de la manière suivante :

« Lorsque les gérants défendent la discrétion des démarches d’engagement, en particulier en France, un certain décalage entre la réalité des faits et la communication publique présentée dans les rapports de vote ressort rapidement ».

Dans le cadre de l’engagement actionnarial, Novethic note les difficultés des sociétés de gestion, surtout lorsque celles-ci appartiennent à un grand groupe bancaire à s’opposer publiquement aux entreprises. Officiellement, les investisseurs parlent de « relation de confiance » ou encore de « partenariat » avec les entreprises.

Novethic voit un risque de conflit d’intérêts dans les grands groupes bancaires entre les activités de gestion et les autres activités du groupe théoriquement séparés par une « muraille de Chine ». L’échec du dépôt de résolution sur les sables bitumineux porté par une coalition d’investisseurs emmenée par Phitrust semble valider l’existence de conflits d’intérêts. Quelles que soient les raisons invoquées, le dialogue actionnarial demeure aujourd’hui confidentiel. Le tableau 10 portant sur la publication du dialogue entreprise par entreprise le prouve.

Une bonne mesure de la transparence de la politique d’engagement est celle de la publication des résultats de vote qui permet de comprendre comment l’investisseur a voté chaque résolution de chaque entreprise des portefeuilles. Un autre indicateur de la transparence en termes d’engagement est la publication des résultats de cet engagement, les avancées constatées et les points d’achoppement sur les actions entreprises.

Tableau 12 : Publication de l’exercice des droits de vote et des démarches d’engagement

Trois catégories d’acteurs financiers ont été regroupées dans ce tableau :

– Les sociétés de gestion dépendant d’une grande banque ou d’une assurance : Natixis AM, Dexia AM, la banque postale AM,CCR AM, Macif gestion, EDRAM, et BNP Paribas IP. Ces acteurs détiennent la majeure partie des encours ISR.
– Les investisseurs institutionnels : l’ERAFP et le FRR qui sont aujourd’hui les principaux investisseurs institutionnels sur le marché de l’ISR. Ils délèguent la gestion des encours aux sociétés de gestion.
– Les sociétés de gestion spécialisées : la financière de Champlain, la Financière Responsable, Meeschaert AM, Sycomore AM et Phitrust Active Investors. Ces entreprises ne dépendent pas d’un groupe bancaire et détiennent des fonds spécifiques qui peuvent intéresser les sociétés de gestion bancaires (ex : fonds Afrique chez Meeschaert AM, fonds basés uniquement sur l’activisme actionnarial chez Phitrust Active Investors).

Quelle est donc la transparence dans la pratique de publication des démarches d’engagement pour ces trois catégories ?

Les sociétés de gestion bancaires :

Parmi les sociétés de gestion les plus importantes en France, seuls Edmond de Rotschild AM et Dexia AM publient un reporting des actions et des résultats entreprise par entreprise. Certaines sociétés de gestion comme Amundi agrègent les actions sous forme statistique et par thème, mais aucune action précise suivie de résultat (hormis la participation à la résolution de Phitrust) n’est publiée dans le rapport. Au total, seules ¼ des sociétés de gestion donnent des informations détaillées sur leurs pratiques d’engagements.

Au niveau de la publication des résultats de la politique de vote entreprise par entreprise, aucune de ces entreprises ne recourt à cette méthode .En revanche, toutes donnent des informations conditionnées par pays et par type de résolution.

Les investisseurs institutionnels :

L’ERAFP ne publie aucune information sur les deux thématiques. Le FFR publie le reporting de ses votes mais uniquement par type de résolution à l’instar du premier groupe. Aucune information n’est donnée concernant les résultats de l’engagement actionnarial.

Les petites sociétés de gestion :

La société de gestion Meeschaert AM est la seule à publier les résultats de vote par entreprise et par résolution. La financière de Champlain fournit des informations par type de résolution (thématique). Aucune mise à part Phitrust Active Investors (spécialisée dans l’engagement actionnarial) ne fournit d’informations sur les résultats dans ce domaine.

Il est important de signaler que les démarches d’engagement nécessitent une participation actionnariale suffisante pour influencer les entreprises, et des moyens importants (personnel et temps) pour être mises en place. Les petites sociétés de gestion ne remplissent majoritairement aucune de ces conditions, ce qui explique le faible recours à l’engagement actionnarial de leur part ou leur conduit dans le cadre de coalitions.

Une réponse à cette question peut désormais être donnée. Les sociétés de gestion sont très discrètes quand à leurs pratiques en termes d’engagement actionnarial. Les noms des entreprises et les actions précises ne sont que rarement cités, ce qui rend en fin de compte difficile la comparaison des performances entre sociétés de gestion et ce qui fait planer un doute sur la réalité de ces pratiques.

Notons ici que, quelque soit le type d’acteurs (institutionnel, grande ou petite société de gestion), l’opacité des pratiques est de mise. Ce qui semble contredire l’hypothèse de Novethic selon laquelle cette opacité serait due aux conflits d’intérêt supposés entre les acteurs de la gestion, adossés à des grands groupes et les entreprises. A rebours, les grands acteurs de l’ISR sont plus transparents à la fois sur les résultats des votes et les pratiques d’engagement que les petits acteurs étudiés dans l’échantillon. Nous le verrons pourtant, cette allégation n’est qu’apparente, car du fait de leur structure même, les grandes sociétés de gestion ont plus de probabilités que les autres de faire face à des conflits d’intérêts.

– Un manque de clarté dans la définition des porteurs de responsabilité de l’engagement

Les investisseurs institutionnels ont un poids très important dans l’ISR. Dans sa plaquette ISR 2010, L’ERAFP (établissement de retraite additionnelle de la fonction publique) indique par exemple qu’elle gère 100% de ses encours en ISR, soit 8,5 mds d’euros.

D’après Novethic, les institutionnels représentent en 2010 70% de l’ISR(71). Trois types de gestions sont distinguées, la gestion collective sous forme de FCP par exemple, qui permet de gérer les encours de manière unifiée, la gestion déléguée sous forme de mandats donnés aux sociétés de gestion au nom de clients individuels et la gestion interne opérée par les institutionnels eux-mêmes.

Le problème de la responsabilité en matière d’engagement se pose pour la gestion collective (31% de l’ISR) et surtout la gestion déléguée (22% de l’ISR). Novethic pointe le malentendu existant entre les investisseurs institutionnels et les sociétés de gestion à qui sont confiés les fonds (53% des fonds ISR) afin de les gérer :

«Les investisseurs institutionnels justifient souvent l’absence ou la faiblesse de leurs pratiques d’engagement par le fait que leur gestion est déléguée et que les droits actionnariaux sont transférés à leurs gestionnaires. De leur coté, les gestionnaires arguent ne pas pouvoir entreprendre de telles démarches sans mandat explicite de leurs clients. »

Ce malentendu est corroboré par l’interviewé 8 (analyste ISR):

« J’ai assisté à un débat par exemple entre des asset owners et des asset managers l’autre jour. C’est amusant parce que les asset owners disaient, nous on aimerait bien que les asset managers viennent vers nous et nous proposent des choses en matière d’ISR, intelligentes, originales ; et les asset managers disaient : nous, on aimerait bien que les asset owners nous disent plus précisément ce qu’ils veulent. »

Cet argument est par ailleurs souvent utilisé au sein des sociétés de gestion spécialisées dans la clientèle privée afin de refuser d’assumer le rôle d’engagement actionnarial sous prétexte que la société de gestion ne serait pas légitime dans l’assomption de cette charge et qu’il revient au client de définir lui-même comment il veut voter. Mais le client n’a-t-il pas justement recours à des professionnels pour transférer la responsabilité de ces fonds ?

– Les obstacles « économiques »

Le problème d’évaluation se pose de façon similaire à l’évaluation de la responsabilité et à celle du succès qu’une démarche d’engagement.

Les obstacles sont d’ordre temporels étant donné que la démarche d’engagement se fait sur le long terme (comment « comptabiliser » le résultat d’une entreprise qui a mis 5 ans se conformer à une demande spécifique de la part de l’investisseur ?) et d’ordre technique (quel type d’indicateur mettre en place ?). Amundi évalue par exemple le « taux d’impact » résultant de la comparaison de l’activité de dialogue et des changements d’intentions de votes consécutifs lors des assemblées générales, tandis que F&C a recours à des « unités d’amélioration » appelées « milestone » correspondant à des points de progrès précis.

65 Greenpeace. http://presse.greenpeace.fr/news/total-refuse-le-depot-d%E2%80%99une-resolution-sur-les-risques-lies-a-l%E2%80%99exploitation-des-sables-bitumineux-phitrust-greenpeace-et-le-nrdc-s%E2%80%99interrogent-2807-29032011. presse.greenpeace.fr. [En ligne] mars 2011.
66 Boursorama. http://www.boursorama.com/bourse/profil/resume_societe.phtml?symbole=1rPFP. www.boursorama.fr. [En ligne] octobre 2011.
67 Phitrust active investors. L’engagement actionnarial : contrôle des rémunérations par l’AG pour maitriser les risques. [pdf] Paris : s.n., 2010.
68 Serret, Vanessa. L’engagement actionnarial : principes, enjeux et limites. [pdf]
69 Proxienvest. http://www.proxinvest.com/index.php/fr/news/read/75.html. www.proxinvest.com. [En ligne]
70 Romandie News. http://www.romandie.com/infos/news2/100527151308.hlz4ljbr.asp. www.romandie.com. [En ligne] 27 mai 2010.
71 Novethic. op.cit, 2011, p9.

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