A sa naissance, aucune organisation régionale ou sous régionale africaine n’a la vocation de gérer une crise violente sinon un conflit armé intra ou inter étatique, qui surviendrait sur le continent. Pour les Etats parties, le but qui les conduit à la mise en place d’une organisation, est d’abord de promouvoir le développement de leurs pays et le bien-être de leurs peuples, de promouvoir la coopération entre Etats dans divers domaines. Cependant, en présence de multiples zones de tension qui se créent sur le continent au début des années 90, la propagation et la ramification des conflits mais surtout, la prudence affichée du Conseil de Sécurité des Nations Unies (CSNU) (170), en matière d’intervention dans les conflits armés en Afrique, les Etats africains ont décidé d’inventer des mécanismes nouveaux pour la gestion des crises.
5.1.1. Le cadre juridique
Se substituant à l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) en 2002, l’Union Africaine (UA) se positionne comme un nouvel instrument d’intégration africaine. Prenant en compte les faiblesses attribuées à l’OUA qui a d’ailleurs créé dès 1993, le mécanisme pour la prévention, la gestion et le règlement des conflits(171), la nouvelle organisation s’attribue une ambition en matière de coopération, d’intégration économique et social entre les pays africains; elle s’attribue aussi la mission de « promouvoir la paix, la sécurité et la stabilité sur le continent».(172) Partant de son principe, à l’unité et à la prospérité, l’UA accorde une attention particulière aux questions de paix, de sécurité et des droits de l’homme dans un Etat respectueux de la démocratie.
C’est ainsi qu’on assiste à la « mise en place d’une politique de défense commune pour le continent africain » ou encore « l’interdiction de recourir à l’usage de la force entre les Etats membres de l’Union ». L’UA affiche aussi le principe de ne pas s’ingérer dans les affaires intérieures d’un pays ; toutefois, en présence des actes portant gravement atteinte à la vie de l’homme tels que génocide, crimes de guerre, crimes contre l’humanité, l’UA pourrait intervenir à la demande des Etats membres.(173) Pour atteindre ses objectifs, l’UA se dote du Conseil de Paix et de Sécurité (CPS) dont la mission principale est de construire « un système de sécurité collective et d’alerte rapide »(174) et du système continental d’alerte.
A l’instar de l’OUA, la Communauté des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDAO) modifie son mandat jadis lié au développement, pour l’élargir à la gestion des conflits armés ; ainsi, elle se dote d’un mécanisme institutionnel(175) approprié, pour gérer les crises dans la sous région. Précisons que l’organisation a déjà institué un moratoire sur l’importation des armes légères en Afrique de l’Ouest dès 1998(176).
5.1.2. Les actions
En pratique, les deux mécanismes mis en place, s’appuyant sur la diplomatie et la négociation, sont destinés à contenir certaines situations de tension et en empêcher la diffusion ou leur transformation en conflits armés. C’est dans cette optique que plus de 60 % du Fonds Spécial de l’OUA pour la paix (177), est consacré aux missions diplomatiques en vue de la résolution des crises et conflits dans les pays tels que le Burundi, la Sierra Léone, la République Démocratique du Congo, la Somalie. En 1996, un centre de gestion des conflits comprenant une section d’alerte précoce avec la mission d’identifier les signes d’une éventuelle crise sur le continent, est mis en place avec siège à Addis Abeba.
La CEDEAO prévoit dans son dispositif, un système d’alerte sous-régional qui a pour fonction, de réfléchir sur les facteurs pouvant affecter la paix et la sécurité en Afrique de l’ouest.(178 )
La stratégie d’action consiste à répartir la région ouest africaine en quatre zones d’observation et de suivi, avec des quartiers généraux fixés dans des capitales définies : Banjul (Gambie), Cotonou (Bénin), Monrovia (Libéria) et Ouagadougou (Burkina Faso). Chaque bureau d’observation et de suivi soumet au secrétariat exécutif de la CEDEAO, un rapport sur les informations collectées pour analyse et éventuelles actions à mener. Pour rendre efficace ces missions, la CEDEAO marque sa volonté de voir tous les Etats membres s’investir dans la lutte contre les armes légères d’où nécessité pour les Etats d’harmoniser leur législation en matière d’armes. Ainsi, il est recommandé à chaque Etat de mettre en place, une commission de lutte contre le trafic et la circulation des armes légères. La méthode promue par l’OUA dans la gestion des conflits est la prévention assurée par les opérations de maintien de la paix (OMP). Toutefois, elle est toujours présente sur les théâtres des opérations aux côtés de l’ONU comme dans la Mission des Nations Unies en Ethiopie et en Erythrée (MINUEE) et, les missions d’observation au Burundi et aux Comores(179).
Afin de disposer de son moyen d’action militaire, la CEDEAO institutionnalise la Force ouest africaine d’interposition (ECOMOG) (180) en veilleuse depuis 1990. Pour constituer les troupes de l’ECOMOG, chaque État membre met à disposition des hommes entrainés et équipés. Cette force prise en charge par la CEDEAO avec les appuis logistique et financier des partenaires occidentaux, est placée sous l’autorité d’un commandant en chef qui rend compte au secrétariat exécutif.
En dépit de la volonté affichée par l’OUA et la CEDEAO de disposer des moyens d’interposition et de maintien de la paix sur le continent, les mécanismes respectivement mis en place souffrent d’une faiblesse d’organisation, de professionnalisme et d’efficacité. Les leçons tirées des missions de maintien de la paix de l’OUA au Tchad en 1980(181), de la CEDEAO au Libéria(1990), en Sierra Leone(1997), en Guinée Bissau (1998-1999), mettent en évidence, le manque de formation adéquate des hommes de troupes et une insuffisance de préparation.
La réussite d’une mission de la paix menée par un mécanisme africain, ne peut-être efficace que par la constitution des troupes mieux formées en mission de maintien de la paix. Dans les cadres bilatéral et multilatéral, que soient développées des actions de coopération pour favoriser une coordination de programme appropriée à la mise en œuvre des opérations. Il est toutefois nécessaire, de rendre uniforme la formation des contingents par leur passage préventif dans une école de maintien de la paix avec des exercices de mise en condition. Le commandement d’une mission de maintien de la paix étant un élément de dissension entre les pays, une approche globale en matière d’intégration régionale éviterait des tensions provenant d’origines diverses(182).
Dans l’esprit du Chapitre VIII de la Charte des NU, qui « encourage le règlement pacifique au niveau local par le moyen de ces organismes régionaux », la coopération en matière de gestion de conflits se développe de plus en plus entre l’ONU et l’UA. Au bout de compte, l’UA et les organisations sous régionales acquièrent de la compétence dans le maintien de la paix qui reste toutefois dérisoire(183).
De tous les efforts déployés pour une approche dans la gestion des conflits, on relève que les organisations africaines ne sont pas en mesure d’assumer toutes seules les opérations de telle ampleur. Elles ne disposent ni des moyens financiers, ni des moyens institutionnels, voire logistiques conséquents pour gérer les nombreux conflits et crises qui s’étendent en Afrique. C’est pourquoi, les coopérations nord-sud et onusiennes restent indispensables comme garantes des principes fondamentaux de la paix et de la sécurité à travers le monde.
170- Eric G.BERMAN et Katie E. SAMS, le maintien de la paix en Afrique, www.unidir.com
171- L’application du Chapitre 8 de la Charte des Nations Unies s’est traduite sur le continent africain par un désengagement de l’ONU. En vertu de ce chapitre, le Conseil de sécurité peut utiliser les organisations régionales pour maintenir la paix et la sécurité internationales, qui reste toutefois de sa principale responsabilité. Il a par contre limité sa coopération avec les organisations régionales africaines à un appui logistique et financier, comme l’a montré son effacement dans la gestion des conflits au Libéria, au Rwanda, au Burundi et son désengagement en Somalie. Le maintien de la paix en Afrique, www.unidir.com
172- Dominique BANGOURA, article 3 du traité constitutif de l’UA, l’Union africaine face aux enjeux de la paix, de sécurité et de défense, projet de recherche de l’OPSA, Paris, avril 2002.
173- Article 4 du traité de l’UA ;
174- Protocole relatif à la création du Conseil de paix et de sécurité de l’Union Africaine,
Article 12 du Protocole. www.africa-union.org
175- Hassatou BALDE, les mécanismes de prévention, de gestion et de règlement des conflits des organisations africaines, Actualité et droit international, www.ridi.org/adi
176- Le Moratoire sur les armes légères a été institué lors du sommet extraordinaire de la CEDEAO d’Abuja (Nigeria) du 30 au 31 octobre 1998 – Cf. Glen Mc Donnald, Moratoire ouest africain sur les armes légères, www.un.org/fr/disarmament
177- Hassatou BALDE, les mécanismes de prévention, de gestion et de règlement des conflits des organisations africaines, Actualité et droit international, www.ridi.org/adi
178- Ibid.
179- Madeleine ODZOLO MODO, paix et sécurité : la coopération entre l’ONU et l’UA, nov. 2009, www.géopolitique de l’humanitaire
180- L’Ecomog, bras armé de la CEDEAO, www.lematindafrique.com
181-Charles NACH MBACK, la force africaine de maintien de la paix au Tchad : un essai non concluant, In Dominique BANGOURA (éd.), la recherche de la paix en Afrique, OPSA, Paris, 1998
182- Eric G. BERMAN et Katie E. SAMS, le maintien de la paix en Afrique
www.unidir.org/pdf/articles/pdf/-art130
183- E.G. Berman et Katie E. Sams, le maintien de la paix en Afrique, www.unidir.org
Page suivante : 5.2. La coopération bilatérale et les conflits armés en Afrique