Au lendemain de l’indépendance des pays africains, nombre de pays occidentaux continuent de participer aux opérations de sécurisation de leurs anciennes colonies, en fournissant troupes, équipements et appui technique. C’est ainsi qu’au nom des accords militaires et de défense passés avec certains pays africains, la France est restée présente sur le continent avec un effectif d’environ 10.000 soldats cantonnés ou en opération jusqu’en 1980, avant d’être réduit à 6.000 hommes au début des années 2000(184).
C’est dire que depuis plus de 50 ans, la présence des troupes françaises en Afrique est considérée comme un gage de sécurité et de stabilité politique quand bien même, certaines voix s’élèvent pour dénoncer cette présence comme étant un pilier de la domination politique, économique et de l’ingérence française dans les affaires africaines. Hormis les considérations économiques et de domination politique, les interventions militaires françaises qui se sont succédées au Cameroun, au Tchad, en Centrafrique , aux Comores, au Zaïre/Congo Démocratique ou en Côte d’ivoire, ont porté leurs fruits en ce que, des vies humaines sont préservées, et les conflits internes qui allaient prendre l’allure d’une guerre civile à grande échelle se sont estompés. Durant cette période, les forces armées africaines sont formées et encadrées par des instructeurs français ; le niveau d’encadrement et les acquis de formation, contribuent à fournir une armée professionnelle, à la hauteur des missions qui lui sont assignées. Au début des années 90, profitant de l’ère de la démocratisation de l’Afrique, la
France va redéfinir sa politique militaire sur le continent, en trois points :
– Placer toutes interventions militaires en Afrique sous tutelle des Nations Unies ;
– Rendre multilatérales les interventions françaises en Afrique, en associant d’autres pays occidentaux(185)
– Renforcer les capacités africaines pour le maintien de la paix ; c’est le dispositif RECAMP(186). Par cet instrument, la France entend placer sa présence sous l’aide à l’autonomie militaire (formation, matériels) pour les pays africains à régler par eux-mêmes leurs conflits.
Pour rester proche du continent dans la gestion des crises, sur le plan militaire et, après la fermeture de la base de Centrafrique en 1997, la modification de la mission des détachements en Côte d’Ivoire et au Tchad, ramenés au statut d’opération extérieure (OPEX), trois bases françaises dites permanentes se trouvent au Sénégal, au Gabon et à Djibouti. Par cette présence, la France intensifie son soutien aux organisations sous régionales et régionales (CEEAC, CEDEAO, IGAD, UA), en accréditant des attachés en matière de défense qui font office de Conseillers ou d’Experts. Par cette présence, elle appuie les forces de maintien de la paix de la CEEAC en République Centrafricaine (FOMAC), contribue au Fonds de maintien de la paix de l’UA et participe aux OMP des Nations Unies déployées en Afrique. Les derniers exemples en date sont les opérations de l’Union Européenne (UE) en République Démocratique du Congo(Artémis) (187), le détachement Boali en République Centrafricaine, l’opération Licorne en Côte d’Ivoire.
Le Royaume Uni avec ses équipes militaires de conseil et de formation, le « British Military Advisory and Training Teams »(BMATT), intervient depuis 1970 dans certains pays anglophones tels que l’Afrique du Sud, le Ghana, le Kenya, la Sierra Leone et le Zimbabwe afin de contribuer au renforcement de capacité des forces armées de ces pays, en leur apportant des connaissances militaires appropriées(188). Cette mission est redéfinie dans les années 90, en y intégrant le volet formation en matière de maintien de la paix en Afrique, l’ « African Peace keeping Training Support Program ».
Pour appuyer ce programme, le Royaume Uni, instaure en 2001 le Fonds pour la prévention des conflits en Afrique, l’ « Africa Conflict Prevention Pool » et l’Initiative pour la prévention des conflits en Afrique, le « Conflict Prévention Initiative for Africa » (189).
Dans le cadre des activités du RECAMP, le Royaume Uni participe aux exercices multilatéraux et régionaux en matière de maintien de la paix menés par les africains, en mettant à disposition, des instructeurs et du matériel. Au nom du principe des droits de l’homme au Libéria et, pour garantir la paix et la sécurité en Sierra Leone par la Mission des Nations Unies en Sierra Leone (MINUSIL) (190), l’ECOMOG a bénéficié à titre exceptionnel des matériels militaires britanniques.
Le soutien britannique aux OMP s’étend de l’ECOMOG à l’UA en passant par la CEDEAO et la Communauté de l’Afrique de l’Est (CAE). Par cette extension, le Royaume Uni compte développer des capacités liées à la résolution des conflits et préserver la paix en Afrique ce, dans le cadre de la Commission pour l’Afrique, créée en 2004, regroupant des représentants d’organisation d’Afrique et d’autres continents avec pour objectif, d’accroitre le soutien au Nouveau Partenariat Economique pour le Développement de l’Afrique (NEPAD) et le Plan d’action pour l’Afrique, inscrit dans le programme du G8.
Par le biais de l’ « International Military Education and Training Program », Programme international d’enseignement et de formation militaire (IMET) (191) crée en 1976, les Etats Unis (USA) marquent leur présence depuis très longtemps sur le continent dans le domaine de résolution des conflits.
Initialement destiné à l’enseignement et à la formation des fonctionnaires militaires étrangers, ce programme va s’élargir en 1990, en intégrant le renforcement de la capacité africaine en matière de gestion des situations de crise et de conflit. La poussée de violences en Afrique motive l’administration américaine à lancer en 1997, l’ « African Crisis Response Initiative », Initiative de réponse aux crises africaines (ACRI).
Avec l’objectif de former 12.000 soldats africains sur cinq ans, aux techniques de maintien de la paix basées sur un enseignement théorique, des exercices sur le terrain et au poste de commandement, l’ACRI fournit aussi du matériel militaire constitué des détecteurs de mines, des outils de communication, des tenues…. En 2002, l’ACRI a réalisé la formation de 9.000 soldats du Bénin, de la Côte d’Ivoire, du Ghana, du Kenya, du Malawi, du Mali, du Sénégal et de l’Ouganda(192). Les Etats ayant participé au programme ACRI prennent part aux OMP des Nations Unies.
Lorsque les OMP en Sierra Leone entrent dans une phase critique en 2000(193), les USA décident d’apporter un secours à la MINUSIL, en mettant en œuvre, l’ « Opération Focus Relief », Opération secours ciblé (OFR) dont la mission est de dispenser des cours sur les droits de l’homme aux soldats, former et équiper sept bataillons provenant des Etats de la CEDEAO : Nigeria (05 bataillons), Ghana (01bataillon), Sénégal ( 01 bataillon). Avec les attentats de 2001, la politique américaine en Afrique prend une dimension de plus en plus importante(194).Le continent devient non seulement une potentielle source d’approvisionnement en ressources énergétiques, mais surtout une zone de lutte contre le terrorisme(195).
L’objectif visé par les USA est de protéger les Etats africains contre des attaques terroristes et d’en empêcher la propagation. Ainsi, en Afrique de l’Est est créée en juin 2003, l’ « East Africa Counter Terrorisme Initiative », Initiative de lutte contre le terrorisme en Afrique orientale qui a pour but de renforcer la capacité régionale de lutte contre le terrorisme à Djibouti, en Erythrée, en Ethiopie, au Kenya, en Ouganda et en Tanzanie.
Prenant la relève d’ACRI arrivé à terme en 2002, l’ « African Contingency Opérations Training and Assistance », Formation et assistance aux opérations d’urgence en Afrique. (ACOTA) (196) contribue à renforcer les capacités africaines à prévenir les conflits et l’instabilité sur le continent. Comme ACRI, ACOTA s’attribue la mission de :
– Former et équiper des militaires africains
– Créer et renforcer la capacité africaine pour un soutien durable à la paix
– Favoriser un commandement et une approche globale et efficaces.
L’appui américain va progressivement s’intéresser à l’Afrique de l’ouest avec la mise en place de « West Africa Stabilization Program », Programme de stabilisation de l’Afrique de l’ouest qui poursuit les mêmes missions comme les autres initiatives américaines en Afrique.
Outre les programmes développés par la France, le Royaume Uni(197), les Etats Unis, certains pays du Nord participent de manière multiforme aux opérations de gestion de conflits ou de maintien de la paix en Afrique ; c’est le cas de l’Australie, du Bangladesh, du Brésil, du Canada, de la Chine, du Danemark, de la Finlande, de l’Inde, du Japon, de la Norvège, de la Russie et de la Suède. Les pays nordiques soutiennent directement les organisations telles la CEDEAO, l’IGAD, et la SADC dans la mission de maintien de la paix dans leur région respective.
La flambée des conflits armés en Afrique, constitue un défi face auquel la communauté internationale se mobilise au jour le jour, pour faire reculer la tension et soulager la souffrance des populations meurtries. Si les organisations africaines ont pris à bras le corps la question en leur sein, la coopération bilatérale a su apporter un appui substantiel qui n’a pas laissé indifférente l’Organisation des Nations Unies (ONU). Mettant en œuvre les instruments juridiques en sa possession, l’ONU déploie dans les zones de conflit en Afrique, à l’instar des autres zones à travers le monde, son mécanisme de stabilité, de sécurité et de promotion de la paix : les Opérations de Maintien de la Paix (OMP). Pour recréer un environnement sécurisé et paisible aux communautés, l’ONU s’emploie aussi à une opération de « désinfection » des territoires en conflits, en procédant à la Démobilisation au Désarmement et à la Réinsertion des ex combattants. C’est dans ce cadre, qu’après avoir traité de l’origine des OMP et de leur mise en œuvre, nous aborderons les pratiques de DDR, deux premières actions qui marquent la présence de l’ONU dans la résolution des conflits en Afrique.
184- 1960-2010, 50 ans d’interventions militaires françaises en Afrique- Anniversaire des indépendances, www.rfi.fr
185- La France face aux nouveaux défis globaux, www.diplomatie.gouv.fr
186- CICDE, Renforcement des Capacités Africaines pour le Maintien de la Paix (RECAMP), n° 172, sept. 2011
187- A titre de rappel….l’opération de l’Union Européenne en République Démocratique du Congo, www.cdef.terre.defense.gouv.fr
188- Hervé Giraud, Contre-amiral “ Efforts at conflict prévention and resolution: the French experience” dans Franco South African Dialogue for Sustainable Security in Africa, Institute for Security Studies (Afrique du Sud), Août 2000, monographie n°50; http://www.iss.co.za/pubs/Monographs/N°50/Chap12.htm
189- De 2001 à 2003, le budget des deux fonds de prévention des conflits prévoit plus de 400 millions de livres sterling par an pour le maintien de la paix en Afrique et dans le monde, soit 78% du total des fonds disponibles. Le Fonds pour la prévention des conflits en Afrique répartit de manière équitable, ses ressources ente les programmes et le maintien de la paix ; environ 55% des ressources alloués à ce fonds sont utilisées pour le maintien de la paix, Berman, op. cit., note 5, 2002, p.14.
190- Fernanda Faria, la gestion des crises en Afrique subsaharienne, le rôle de l’Union Européenne, Occasional Paper n°55, novembre 2004
191- U.S. Department of State, International military education and training program, www.state.gov/t/pm/65533.htm.
192- Fernanda Faria, la gestion des crises en Afrique subsaharienne, le rôle de l’Union Européenne, Occasional Paper n°55, novembre 2004 ;
193- En mai 2002, 318 casques bleus au Sierra Leone sont pris en otage par le Front révolutionnaire uni (RUF), http://www.libération.fr
194- Politique américaine en Afrique,
http:// www.state.gov/p/af/rls/rm/26772.htm.
195- Le pétrole en provenance d’Afrique subsaharienne, représente 15 à 18% des importations américaines. A propos des intérêts stratégiques des USA en Afrique, cf. Jonathan Stevenson, « Africa’s growing strategic resonance », Survival, vol.45, n°4, 2003, p.153- 172.
196- Réseau de recherche sur les opérations de la paix, lexique ACRI/ACOTA, 31 décembre 2006. http://www.opérationspaix.net
197- Des officiers instructeurs et conseillers britanniques et d’autres viennent appuyer les cadres du ministère de la défense sierra léonaise ; ils servent aussi comme officier de liaison avec les forces sur le terrain. Les fusils sont identifiés par série ainsi que son utilisateur et responsable. Berman, op. cit., note 5, 2002, p.17.
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