L’embrouillamini électoral ivoirien sur fond de déni de démocratie et son corollaire de risque d’implosion de la Côte-d’Ivoire remet plus que jamais à l’ordre du jour la sempiternelle interrogation sur la capacité de l’Afrique à faire sienne les principes de la démocratie.
Jacques Chirac alors président du Rassemblement pour la République (RPR) fut en effet le premier homme politique français à affirmer, au début des années 90, en réaction à l’injonction démocratique du sommet de la Baule que « l’héritage des lumières » ne pouvait s’acclimater avec la culture africaine, dominée par l’instinct tribal. En raison de cette faiblesse structurelle et en l’absence de clivages idéologiques, la démocratisation de l’Afrique ne pouvait que déboucher sur le chaos, le désordre ; un luxe que les pays africains ne pouvaient s’accorder.
Vingt ans après, cette vision prémonitoire, vilipendée par l’intelligentsia africaine, prend une autre résonance à la lumière des turpitudes électorales récurrentes en Afrique. Faut-il néanmoins donner raison à l’ancien Président de la République Française ? La réponse à cette interrogation mérite une nuance très prononcée. Tout d’abord, l’aspiration démocratique des peuples est une réalité incontestablement universelle. De ce fait, le sommet de la Baule initié par François Mitterrand au lendemain de la chute du Mur de Berlin a ouvert des perspectives porteuses d’espérance en matière de liberté d’expression du suffrage universel des peuples africains. Néanmoins, le bilan à tirer de ce processus apparaît à bien des égards très mitigé. L‘Afrique subsaharienne a vu émerger à la faveur de ce processus des démocraties véritables.
Le Bénin, le Ghana, le Mali et dans une certaine mesure le Sénégal font figures d’exemples. La libéralisation du champ politique y a contribué à la diversification de l’offre politique ainsi qu’à la consolidation des institutions démocratiques de sorte que l’alternance politique y est devenue une réalité forte tangible. À l’inverse dans l’immense majorité des pays, les processus électoraux ont connu diverses infortunes. Ils ont été soit interrompus par des coups d’État sur fond de restauration autoritaire ou soit simplement instrumentalisés par les pouvoirs sortants dans l’unique but de s’auto-accorder une légitimité populaire. La pratique démocratique en Afrique a, hélas montré que « le pouvoir sortant, bénéficiant du large soutien de tout l’appareil d’État, pouvait à loisir dicter l’issue d’un scrutin » ; « on prête au demeurant à un ancien Chef d’État africain d’avoir affirmé on n’organise pas les élections pour les perdre » ; le drame ivoirien tire donc sa source dans cette incapacité des tenants du pouvoir à penser la démocratie en terme d’alternance politique. « Moi ou le chaos » telle est la justification éhontée de la longévité de certaines magistratures érigées en « présidence à vie ».
Plus tragique encore est la tendance d’une transmission héréditaire du pouvoir qui semble progressivement s’imposer. La République Démocratique du Congo(RDC), le Togo, puis récemment le Gabon ont manifestement indiqué le chemin. Le panurgisme ambiant risque donc de contribuer à brève échéance à l’allongement de la liste de pays émules. Les chances de voir l’Afrique noire devenir véritablement démocratique à brève échéance sont aussi incertaines que sont ses perspectives de développement, et ce d’autant plus que les motivations de ses dirigeants ne sont pas toujours guidées par l’intérêt général. La récente tournure judiciaire française de « l’affaire des biens mal acquis » impliquant certains Chefs d’État africains témoigne à bon escient de cette réalité. Ces dérives dommageables risquent de perdurer indéfiniment tant que l’accès au pouvoir demeurera le plus sûr moyen pour les gouvernants ainsi qu’à leurs proches de bénéficier d’une amélioration exponentielle de leur situation patrimoniale personnelle. Le rôle de l’occident dans la perpétuation de ces régimes est éloquent et empreint d’hypocrisie.
Bien souvent le réalisme politique a souvent été mis en avant pour justifier la fréquentation de certains régimes peu recommandables. Cette duplicité des pays du Nord a contribué à l’émergence d’un sentiment antioccidental que certains hommes politiques ont tenté d’exacerber pour asseoir leur légitimité. L’imbroglio ivoirien est sans aucun doute une occasion inespérée pour l’Occident d’affirmer sa vocation à soutenir les processus démocratiques en Afrique.
« L‟Afrique noire est mal partie » affirmait René Dumont dans les années 60 ; malgré le temps qui a passé cette affirmation afro-pessimiste demeure une réalité cruellement d’actualité, et ce, au grand désespoir des populations africaines. Celles-ci profondément éprises de » l’idéal des lumières » voit en lui la porte de salut susceptible de la mener vers des lendemains meilleurs.
L’histoire a toutefois montré qu’aucun régime autocratique ne pouvait indéfiniment s’imposer contre la volonté souveraine du peuple ; celui-ci finit toujours par triompher de ses oppresseurs. L’espoir d’émancipation est ainsi permis aux peuples d’Afrique !
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