Dans ces conditions, le personnel politique, habitué à chanter les louanges du Président et à mendier sa confiance, réduit à son tour le peuple à la courtisanerie en l‘étourdissant par des promesses alimentaires et des cantines publiques, en guise de débats politiques et de campagnes électorales. L‘accès à l‘information factuelle et chiffrée sur l‘action de l‘Etat est une véritable gageure. Engager un débat politique de fond peut apparaître comme une atteinte à la pudeur et à la sûreté de l‘Etat. Les ministres et les hauts fonctionnaires sont comme des faire-valoir institutionnels et tribaux, positionnés en éclaireurs lors des élections pour donner un vernis politique aux mascarades électorales.
Le ministre représente d‘abord sa région, son village d‘origine voire sa tribu et y est porte-drapeau du parti. Il n‘a que peu d‘autonomie dans l‘accomplissement de sa mission ministérielle, et doit très souvent attendre indéfiniment l‘arbitrage de la Présidence sur des dossiers urgents, d‘où l‘impréparation et l‘improvisation caractéristiques de ces systèmes. En général, le ministre doit absolument tout au Président ou à son entourage, tout comme ses collaborateurs immédiats tiennent parfois leur légitimité tellement haute dans la hiérarchie des réseaux qu‘ils défient constamment son autorité. Le seul mérite qui tienne est celui d‘être de la bonne tribu ou du bon réseau.
La nomination n‘est pas une responsabilité mais une décoration, un accomplissement en soi. Pour en arriver là, le prétendant a tellement durement « lubrifié » les circuits de sa nomination qu‘il aura premièrement à coeur de se refaire, puis de s‘assurer par tous les moyens financiers et ésotériques une longévité au sérail car les forces centrifuges sont redoutables et les armes de combat souvent non conventionnelles. Il installe de ce fait ses propres circuits de clientélisme à travers les réseaux familiaux, tribaux et économiques de dépendance et d‘interdépendance, et très vite il est actionnaire secret de plusieurs sociétés, propriétaire de titres fonciers, parfois sans avoir déboursé le moindre sou.
L‘efficacité ministérielle ne vient qu‘en accessoire et n‘est réellement mise à l‘épreuve que si son portefeuille l‘amène de fait sous les feux des projecteurs, notamment internationaux. Ainsi, d‘une année à l‘autre, puis d‘une décennie à l‘autre, le Président se retrouve à la fois moteur et otage de ce système interne de réseaux vicieux, véritable organisme vivant devenu autonome, qu‘il ne peut souvent profondément réformer qu‘à ses propres dépens. Face à un tel rouleau compresseur, être durablement opposant c‘est proprement faire preuve de témérité voire d‘inconscience, ou souvent de connivence en passant des accords secrets avec le parti au pouvoir.
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