Avec la mort de Félix Houphouët-Boigny et les conflits de succession qui s‘en étaient suivis, la Côte d‘Ivoire était entrée dans une phase de turbulence et de violence politico-militaires dues à la fragilité de ses institutions démocratiques et aux limites des leaders politiques dans la gestion de la diversité communautaire. La démocratisation amorcée en Côte d‘Ivoire, avec l‘instauration du multipartisme en 1990, n‘avait pas encore permis d‘installer des institutions démocratiques suffisamment fortes pour contenir les dérives des acteurs politiques qui, dans leur course pour la conquête ou la conservation du pouvoir, avaient joué sur les fibres ethniques ou nationalistes de la population.
La société ivoirienne dont les structures portaient en elles-mêmes des germes confligènes (explosion démographique, crise économique après le « miracle ivoirien », immigration incontrôlée, conflits fonciers entre les communautés, l‘ivroirité, le paramètre ethno-régional sous les étiquètes allogènes, allochtones et autochtones, …), n‘a pas su résister aux discours d‘exclusion ou de victimisation entretenus par les leaders politiques. Il s‘en était suivi une exacerbation des clivages et des violences intercommunautaires dont le point culminant fut franchi le 19 septembre 2002 avec l‘éclatement de la rébellion.
L‘un des défis en Côte d‘Ivoire est d‘apprendre ou de réapprendre de vivre ensemble dans une société plurielle et pluraliste. Cela commence d‘abord par une reconnaissance de tous les Ivoiriens (d‘origine ou d‘adoption, sudistes ou nordistes, chrétiens ou musulmans…) comme des citoyens à part entière du même pays. Tous les Ivoiriens, quelle que soit leur appartenance communautaire, ont droit au même respect et à la même considération. Il importe à ce niveau de saluer l‘opération d‘identification ayant permis à tous les Ivoiriens, sans aucune distinction, de bénéficier d‘une carte nationale d‘identité et d‘une carte d‘électeur, sur la base d‘une liste consensuelle.
Apprendre à vivre ensemble, c‘est également apprendre à vivre en bonne intelligence avec les communautés étrangères et avec les pays voisins. L‘Ivoirien moyen a été entretenu dans l‘illusion d‘une spoliation des richesses de la Côte d‘Ivoire par l‘étranger. Ce qui a conduit à des dérives nationalistes se traduisant par des discours xénophobes ou par des actes de vandalisme perpétrés contre des communautés étrangères (allogènes, allochtones). Or les communautés étrangères vivant en Côte d‘Ivoire depuis des décennies ont contribué, et contribuent toujours, au développement de ce pays.
Les violences intercommunautaires sont en grande partie provoquées par le discours des leaders politiques. L‘incitation à la haine ethnique et religieuse, à la xénophobie et au racisme est utilisée comme une stratégie malsaine pour la conquête ou la conservation du pouvoir. Les discours de campagnes de l‘entre-deux-tours de la présidentielle ont été particulièrement violents et ont remis en lumière la sensible question ethnique, à la faveur de la course à l‘électorat baoulé, et préparé ainsi les communautés aux affrontements.
La Côte d‘Ivoire a besoin de leaders capables de se rallier les populations, non pas sur la base d‘une instrumentalisation des questions identitaires, mais autour de projets de société ou de programmes clairs, cohérents et convaincants. Tel est l‘environnement sain dans lequel doivent se jouer les compétitions électorales. Ce qui suppose que la classe politique ivoirienne trouve en elle un minimum de consensus sur une certaine éthique de la communication politique, devant proscrire toutes les formes d‘incitation à la haine communautaire.
La paix est également à rechercher dans la mise sur pied d‘institutions démocratiques fortes et cohésives. De ce point de vue, une réforme constitutionnelle contribuerait à renforcer l‘égalité de droit entre les Ivoiriens et à conforter l‘unité nationale ; notamment sur des points qui privent une catégorie de citoyens de certains droits politiques comme l‘éligibilité aux élections présidentielles et législatives. Certains analystes préconisent même une révision du régime présidentiel qu‘ils qualifient plutôt de « présidentialiste », remettant ainsi en cause les pouvoirs exorbitants que ce dernier donne au président de la République.
La réunification du territoire ivoirien passe impérativement par la réunification des deux armées belligérantes : les forces armées nationales de Côte d‘Ivoire dites gouvernementales et les forces nouvelles. La politisation, l‘approche ethnique et le manque de plan d‘équipement a considérablement affaibli et désorganisé l‘armée ivoirienne. Le coup d‘État de 1999, la scission de l‘armée et l‘emploi de mercenaires en sont la parfaite illustration. Il faudra plusieurs décennies pour que le retard en matière de formation soit comblé et le retour à une discipline républicaine acquis.
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