Les CPIP, du fait du développement de l’écrit, sont accoutumés à travailler seuls face à leurs publics, du fait également de l’importance du rendu compte de leur activité au quotidien comme décrit plus haut. La pratique des programmes de prévention de la récidive marque une rupture avec cette évolution. Cet échange sur les situations entre CPIP rompt leur isolement et peut apporter un étayage dans leurs pratiques personnelles :
H, 30 ans, CPIP, 3 ans d’ancienneté
: « Les formations qu’on a suivies, ça nous remettait vraiment en question, parce que c’était une formation où on était en groupe, on a pas du tout l’habitude, on doit tenir compte des autres. Moi, j’avais une pratique plutôt très individualiste de mon métier. Donc, ça a vraiment modifié mes prises en charge, et puis tout ce qu’on a appris sur autrui, ses capacités de défense par exemple.
Tous les processus psychiques qui se mettent en place pour éviter de se confronter à ce qui était trop douloureux, je le voyais avant mais j’étais pas capable de l’analyser avec autant de lucidité ; le fait aussi qu’il faille prendre un peu de temps, c’est pas du gaspillage ».
F, 29 ans, CPIP, 3 ans d’ancienneté
: « Ça nous pose beaucoup de questionnements sur nous, déjà, notre propre aptitude à travailler en groupe, parce qu’on a travaillé très longtemps avec d’autres collègue ; donc, déjà ça, on a pas l’habitude, on est quand même souvent dans nos bureaux, avec nos suivis.
Même si on échange avec nos collègues de bureau, on travaille quand même tout seul sur nos dossiers ; là, il a quand même fallu admettre qu’on pouvait travailler en groupe, admettre qu’on avait des failles, des points faibles, des points forts, et voilà qu’il fallait admettre tout ça».
La pratique des Programmes de Prévention de la Récidive réintroduit le débat entre pairs et le travail collectif d’échange sur les situations qui n’avaient plus lieux depuis des années. Il est possible de parler de pratiques de nature prudentielle en construction.
Ces pratiques prudentielles concernent « le fait de traiter de problèmes singuliers et complexes et, partant, de devoir faire face à une irréductible incertitude quant au déroulement du travail sur ces problèmes ou ces situations, le fait de devoir se livrer à des conjectures sur les cas traités et à des délibérations sur les fins de l’activité, pour pouvoir mener à bien le travail dans ces situations d’incertitudes, le fait enfin que les savoirs et les savoirs-faire mis en oeuvre ne soient pas formalisables » [CHAMPY, 2011, p149].
Cet échange entre pairs, depuis 2007 et la généralisation des PPR, s’appuie sur des connaissances théoriques nouvelles enseignées en formation continue et qui viennent compléter ou appuyer des savoirs de nature empiriques. Ces savoirs sont issus du contact répété avec une population particulière que ne rencontrent pas d’autres professionnels du social :
F, 46 ans, Assistante de service social , 22 ans d’ancienneté
: « On a quand même une réflexion plus élaborée qu’une assistante sociale de secteur, qu’un éducateur qui travaille avec des personnes handicapées, sur le passage à l’acte, les raisons du passage à l’acte ; même si on a pas eu de formation, on a quand même des apports théoriques, même intuitifs.
A force de travailler avec les gens, on sait quelles sont les carences et les manques qui peuvent conduire au passage à l’acte et quelqu’un qui n’est pas professionnel du secteur aurait plus de mal à l’appréhender. On apprend dans ce métier à ne pas juger, à amener les gens à travailler sur leur passage à l’acte, à les interroger là dessus, déni ou pas déni, à travailler leur sentiment de culpabilité s’il y en a un, mais on doit quand même essayer de ne pas être dans le jugement ; et ça, ça s’apprend de manière empirique mais aussi par la formation continue et initiale ».
H, 30 ans, CPIP, 3 ans d’ancienneté
: « Alors, c’est présenté comme un groupe de parole, comme un espace dirigé, préparé, où un certain nombre de thèmes sont abordés dans le but de ne pas recommencer, de faire autrement, de comprendre ce qui s’est passé ; c’est pas présenté comme un programme de prévention de la récidive, donc on s’est pas mis des bâtons dans les roues, donc, on part sur l’adhésion de la personne puisqu’il y a des choses qui vont être dîtes ; ça demande de l’honnêteté, on donne de soi, donc présenté comme ça, en insistant bien sur le côté éducatif, non thérapeutique, on est pas des psychologues vulgairement, c’est le groupe qui fera tout, il n’y aura pas de « valeur ajoutée » par les animateurs, pour parler vulgairement ».
De nouvelles professionnalités émergent, complémentaires de celles de travailleur social ou de contrôleur judiciaire, qui déplacent les perceptions des CPIP sur leur travail et leur relation avec les personnes placées sous main de justice vers une autre clinique, de nouvelles méthodes de travail :
F, 52 ans, CPIP, 19 ans d’expérience comme AS, 10 ans dans l’Administration Pénitentiaire
: « Je pense que ça nous ramène vers l’éducatif, car je pense de plus en plus on est amené à faire du contrôle ; les mesures que l’on a, c’est de plus en plus des mesures de contrôle ; au CSL(43), on arrête pas de contrôler ce qu’il travaille, et ce qu’il suit : ses soins et le côté social, bon, il y est de moins en moins ; bien sûr, on a des entretiens éducatifs par moment ; par moment, on parle des faits, mais il y arrive quand même quelquefois qu’on en parle, mais pas trop. Là, dans les PPR, on est en plein dans nos missions plus éducatives ; je trouve plus que ça les amène à comprendre ce qu’ils on fait, ça les amène à réfléchir, je pense que ça les fait bouger, certaines ; enfin, on en est à la quatrième séance mais c’est ce qu’ils nous disent, c’est ce qu’ils nous renvoient, et on en fait une toute les trois semaines ».
F, 39 ans, CPIP, 12 ans d’ancienneté
: « On a eu plusieurs réunions, comment gérer les conflits, faire attention à bien faire circuler la parole, pleins de choses concrètes, c’était très professionnel ; et puis on a eu des séances avec Sylvie Brochet qui nous a fait des séances d’animation de groupes de parole, mais de manière différente, plutôt portées vers le domaine du comportementalisme ; alors que l’IRTS, c’était animé par une formatrice qui avait plutôt tendance, qui était portée sur la psychanalyse, le psychisme, l’inconscient ;
on a eu deux façons différentes de procéder ; moi, ça m’a beaucoup ouvert de perspectives, j’ai une plus-value au niveau de mon travail individuel dans es entretiens, je ne travaille plus de la même manière, je suis beaucoup plus réceptive à ce que me dit autrui, ça a beaucoup changé ».
F, 46 ans, Assistante de service social, 22 ans d’ancienneté
: « Il faut avoir des connaissances plus ou moins importantes, des savoirs sur les données psychologiques cliniques et psychiatriques concernant les délinquants sexuels, notamment pour éviter les pervers dans le choix qu’on peut faire pour constituer des groupes de paroles, les manipulateurs, c’est pas du tout compatible avec un groupe de parole à visée criminologique comme le nôtre ».
A une connaissance particulière d’un public spécifique, viennent s’ajouter de nouvelles connaissances empruntant à la psychologie clinique et aux techniques d’entretiens de groupe enseignées par les Instituts Régionaux du Travail Social. La professionnalisation se nourrit ainsi « du croisement de savoirs nouveaux et permet en conséquence de revendiquer une plus grande opposabilité à l’égard de l’action publique, mais sans jamais atteindre l’autorité des professions libérales » [CHAUVIERE, 2004, p114]. Les professions constituent « une espèce particulière, dans la mesure où le savoir sur lequel elles s’appuient est de nature essentiellement théorique et ne peut être routinisé »
[LE BIANIC, 2005, p36]. Dans cette acception, la pratique exclusive d’un groupe de parole, portant soit sur les auteurs de violence conjugale, soit sur les agresseurs sexuels, nécessite de véritables professionnels. Cependant, l’appui sur des praticiens extérieurs et la faible durée de la formation interne à la pratique des programmes de prévention de la récidive nuancent fortement ce propos.
43 Centre de Semi –Liberté