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9-3 Un déficit de représentation et d’image

La professionnalisation est envisagée par certains auteurs comme un mécanisme général de mise en mouvement de nombreux corps professionnels, dans une visée de reconnaissance sociale. Dans cette optique, on utilise le terme de professionnalisation toutes les fois où la reconnaissance institutionnelle d’une « occupation » est visée. De ce point de vue, professionnaliser revient à permettre à des individus « d’avoir prise sur leur environnement en les dotant d’une compétence complexe faite à la fois de connaissances théoriques, d’un équipement cognitif et d’un équipement socio-affectif ». [GADREY, 1997]. L’utilisation d’un nom, investi et reconnu socialement, est un élément majeur de cet équipement socio-affectif.

Cette utilisation alternative du nom de CIP semble avoir contribué à les rendre invisibles dans l’espace public, paradoxalement en partie du fait de la non utilisation du nom « Conseiller d’Insertion de et de Probation ».

Les auteurs interactionnistes de la sociologie des professions placent, au coeur de leur analyse, les questions des savoirs et des pratiques de l’expertise et de sa légitimité symbolique, autant et parfois plus que celle du pouvoir, du monopole économique ou du conflit social.

Cette construction sociale s’opère à deux niveaux « au fil de la trajectoire biographique de l’individu, amené à intérioriser progressivement les normes d’un groupe de pairs et dans la situation d’interaction entre le professionnel et son « client ». [LE BIANIC, 2005, p42].

La non identification des CPIP par les partenaires institutionnels est peut être aussi une conséquence de cette polysémie entretenue par les acteurs eux-mêmes :

F, 39 ans, CPIP, 12 ans d’ancienneté

: « Moi, je connais personne qui connaissent les CIP, je sais pas si on est vraiment connus, je ne sais pas quelle image on a, on est pas une profession sur laquelle il y a un focus, sur lequel il y a des débats ou des émissions ; pour moi, c’est dû au caractère hybride de la profession : on est, d’un côté dans le domaine pénitentiaire, fonctionnaire, avec une image de contrôle, de préparation à la décision des magistrats, et d’un autre côté, c’est aussi à la fois pour certains être travailleurs social à fond, être assistante sociale ; pour moi, ça m’arrive de travailler plus sur ce qui ne va pas chez les gens, leur ressenti, leur comportement ».

F, 42 ans, CPIP, 2 ans d’ancienneté

: « C’est une profession qui est toute petite, même si les effectifs ont été doublés, néanmoins, on manque cruellement d’identité ; j’en avais trouvé une en travaillant en milieu fermé, les gens comprennent ce que c’est, c’est plus compliqué en milieu ouvert ; moi, je pense que l’image, elle découle de ça ou elle est absente, il y a une méconnaissance fondamentale de notre profession : un, parce qu’on est peu nombreux, et deux parce qu’on manque d’identité collective ; je pense que la mise en place de pratiques communes, c’est la première base et l’établissement d’une hiérarchie, ce sont des éléments qui peuvent nous permettre une identité et du coup, d’avoir une réelle image, car personne ne sait ce qu’on fait ».

Pour la sociologie française du travail, la professionnalisation désigne le mouvement par lequel un groupe professionnel exprime un désir de reconnaissance, dont le sens est donné par le modèle professionnel en tant « qu’ensemble de représentations sociales des rôles et de l’organisation des professions (…) qui justifient le monopole des professions établies sur une sphère d’activité comme condition de la compétence technique et du respect de règles morales dans l’exercice des activités présentées comme au service de l’intérêt général » [CHAPOULIE, 1973, p86-114].

Dans cette quête de reconnaissance sociale, les travailleurs vont donc construire progressivement une argumentation tendant à démontrer que la production du service à laquelle ils contribuent requiert la mobilisation de véritables professionnels.

Il apparaît de manière assez constante que ce travail de construction argumentative n’a pas été opéré par le groupe professionnel des CPIP.

F, 29 ans, CPIP, 3 ans d’ancienneté

: « On n’a pas beaucoup d’image, je trouve, pour le citoyen lambda, on n’existe pas : il y a les juges, les visiteurs de prison, les aumôniers en prison, et les CIP, ils n’existent pas et pourtant, on a un rôle primordial ».

La non-utilisation du nom des CIP, et à fortiori des CPIP, est, en notre sens, un obstacle important à la non reconnaissance sociale de l’activité des SPIP qui est un fait majeur exprimé dans la totalité des entretiens. Par analogie avec les professions du social en quête de professionnalisation, il semblerait que les CPIP n’aient pas atteint le premier stade des débats qui ont traversé le monde des professionnels du social, à savoir le débat identariste, c’est-à-dire « un débat sur les implicites du métier, initié par une vive critique externe, minoritairement relayé en interne, mais qui serait assez vite intériorisée par les professionnels concernés » [CHAUVIERE, 2004].

Ainsi, les CPIP sont autant acteurs de leur manque de visibilité auprès du grand public que victimes de celle-ci, selon nous. La manière individuelle et circonstanciée qu’ils ont de se présenter les affaiblit dans leur pouvoir d’interpellation du grand public et de l’Administration Pénitentiaire, marquant des divisions déjà anciennes entre affiliation, soit aux services pénitentiaires, soit aux professions du social.

Il serait toutefois utile de comprendre pourquoi l’accent est si peu souvent porté sur l’action des SPIP dans les médias, en comparaison avec les surveillants pénitentiaires ou bien les Juges d’Application des Peines, à l’exception notable de la période de l’Affaire Pornic, de janvier-février 2011. Nous ne sommes pas en mesure de savoir si le récent changement de nom a accentué le constat effectué ici, ou non. Chacun de ces aspects peut faire l’objet d’une étude spécifique en propre, qui ne rentrerait pas pleinement dans le propos développé ici.

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