9.1. Lʼémergence de courants artistiques innovants: moteur à moyen terme de marketing urbain efficace.
Permettre à des démarches émergentes, non inscrites dans le cadre des disciplines telles quʼelles existent, accompagner un courant innovant: cʼest, nous lʼavons vu, une des réussites romandes de la fin des années ʼ90 avec le succès dʼartistes tels que ceux présentés dans ce mémoire. Ces artistes font actuellement la réputation du dynamisme de la scène romande, par leur présence au festival in dʼAvignon, dans des théâtres et des centres dʼarts internationaux. Il est toutefois trompeur de penser que ces «nouvelles formes» restent à jamais «nouvelles». Il nous semble important de continuer cet effort, de mettre en place des conditions cadres qui permettent à de nouveaux courants, peut-être complètement différents, peut-être dans la continuité des expérimentations réussies, de prendre à leur tour une place sur les scènes internationales comme «courants suisses romands».
Les champs artistiques disciplinés font lʼobjet dʼune concurrence très importante. Il est donc extrêmement difficile de sʼy faire remarquer sans investir énormément de moyens financiers (théâtre de Vidy, Comédie de Genève, Mamco, Béjart Ballet Lausanne, soutiens importants aux compagnies de théâtre et de danse contemporaine). Les champs contemporains expérimentaux sont, de notre propre expérience, plus faciles à faire remarquer, dans un champ moins encombré et fortement valorisé. Leur effet sur le rayonnement nous paraît avantageux pour une ville ou un canton qui choisirait dʼen faire une de ses priorités.
Nous proposerons donc, dans ce chapitre conclusif, des pistes de structures de monstration, de structures de subventionnement, qui nous semblent à même de relever ce défi: maintenir les acquis pluridisciplinaires et permettre de développer lʼimage dʼune Suisse romande connectée artistiquement et force de nouvelles propositions formelles. En bref: favoriser lʼémergence des courants artistiques qui seront ceux qui feront, si on leur en donne les moyens, la réputation de la Suisse Romande en 2020.
9.2. Monstration: une institution missionnée pour lʼémergence des indisciplinés
La Suisse romande compte quelques de structures de création et de présentation qui peuvent accueillir des formes pluridisciplinaires. Ces structures sont, mis à part les festivals, totalement disciplinées. Claire de Ribaupierre nous a expliqué ainsi que le type de lieu de monstration au pire influençait le projet, et au mieux le teintait fortement du fait de son appartenance. «Cʼest vrai que, quand je vois sur lʼaffiche du théâtre de la Cité internationale universitaire de Paris, cʼest marqué théâtre, ça me fait vraiment bizarre. Cʼest hyper décevant de se dire que les gens viennent avec lʼidée quʼils vont voir du théâtre.» Cette situation pose trois questions:
– la mission première de ces institutions, et leur capacité à gérer les objets transdisciplinaire «à côté» de leur programmation disciplinée
– la capacité des directeurs à gérer de manière pertinente tout type de contenu artistique
– les attentes du public des institutions disciplinées
Peut-on laisser aux seuls festivals la particularité dʼêtre dʼorigine transdisciplinaire? Ils ne sont pas, selon notre expérience, des moteurs suffisants pour vraiment stimuler lʼinnovation artistique locale si ils ne sont pas relayés par des institutions plus solides, ayant des moyens de production, et entretenant une relation à lʼannée avec un public.
9.2.1. Importance du missionnement
Il nous semble important de créer un ou des lieux missionnés spécifiquement pour lʼémergence des nouvelles expressions artistiques, sans catégorie disciplinée prédéfinie, afin de garantir une réelle plateforme dʼexpérimentation artistique non liée au médium. Un lieu de création dans lequel les conditions nʼinfluencent ni le projet, ni sa réception par le public. Des lieux «neutres» favorisant lʼémergence de nouvelles formes. Si plusieurs lieux de création déclarent sʼen approcher, aucun ne semble vraiment remplir les conditions ci-dessus – ce qui ne doit pas être considéré comme une critique de notre part, ces établissements remplissant à merveille dʼautres fonctions. Anne Rochat: «Les lieux se définissent parfois comme pluri, mais en réalité, une discipline domine, et cʼest cela le problème, cela teinte tous les projets.
Pour moi, par exemple, présenter mes performances à lʼArsenic aurait un effet normalisateur, mʼenfermerait dans une forme. Cʼest une impression, peut-être est-ce que je me trompe… Mais quand même: jʼai eu une expérience dans un théâtre: la manière de constituer, de présenter, dʼéclairer le projet, lʼattitude du public, la lecture que les gens en ont ne mʼont pas correspondu.»
Thierry Spicher: « Pendant les années ʻ80, on a créé des institutions. Les années ʻ90 ont été celles de leur stabilisation. Quand va-t-on enfin comprendre que maintenant il faut passer au troisième étage de la fusée, les missionner pour avoir une politique culturelle lisible, avec des objectifs assumés, des évaluations assumées sur des termes assumés. En quoi seraitce favorable à lʼinnovation artistique? Parce que tu peux décider quʼil y a des institutions dont cʼest la mission, en fixant leurs objectifs et leurs critères dʼévaluation. Tu peux dire «ok: le million quʼon met à lʼArsenic, ça doit être un lieu, comme ses statuts lʼindiquent – et on va les prendre au sérieux – qui favorise lʼinnovation et la découverte», par exemple par la transdisciplinarité. Il faut ensuite définir ce quʼest lʼinnovation aujourdʼhui, ce quʼest la découverte aujourdʼhui. Il faut nommer une directrice ou un directeur, sur un programme, qui nous donne de bonnes chances de croire quʼil va le faire. Pour lʼinstant, les institutions ne sont pas missionnées, les gens font ce quʼils veulent. Le résultat: tu peux avoir tout partout, elles sont interchangeables.»
Lʼexemple de lʼArsenic est à ce propos très parlant. Si Thierry Spicher affirme que les statuts de lʼArsenic sont axés sur «lʼinnovation et la découverte», Sandrine Kuster affirme que «lʼArsenic a pour mission principale de soutenir et de développer la création des artistes régionaux, dans les domaines de la danse et du théâtre. La Fondation Arsenic, qui veille à ce que cette mission première soit remplie, laisse cependant la liberté au directeur en place de composer également le programme avec des productions dʼartistes étrangers ou appartenant à dʼautres disciplines telles que la musique, les arts visuels, la performance.» La réalité est autre et illustre bien le manque de missionnement décrit plus haut: si lʼon consulte les buts de la fondation Arsenic, inchangés depuis janvier 1996, ils sont très larges: «gérance et exploitation du théâtre de l’Arsenic; organisation de spectacles théâtraux, chorégraphiques et musicaux.» Ils laissent au conseil de fondation (dans lequel siègent, dans le cas présent, des représentants de la ville et du canton) et au directeur une immense marge dʼinterprétation, définissant eux-mêmes la mission du lieu en matière de type de projets, dʼartistes et de public.
Jean-Marc Adolphe, rédacteur en chef de la revue Mouvement, met directement en lien lʼexistence de lieux prévus à cet effet et lʼémergence de nouvelles formes: « Pour qu’advienne de l’imprévu, du non encore reconnu, il faut inventer des murs poreux, des lieux où puisse trouver refuge du non lieu. Dans la définition que donne Wikipedia, l’émergence répond à deux caractéristiques: “l’ensemble fait plus que la somme de ses parties. Ceci signifie qu’on ne peut pas forcément prédire le comportement de l’ensemble par la seule analyse de ses parties. L’ensemble adopte un comportement caractérisable sur lequel la connaissance détaillée de ses parties ne renseigne pas complètement. À partir d’un certain seuil critique de complexité, ces systèmes voient apparaître de nouvelles propriétés, dites propriétés émergentes. Celles-ci deviennent observables lorsqu’elles vont dans le sens d’une organisation nouvelle.” On ne saurait mieux dire! »
Cʼest une théorie parallèle qui est défendue par Jérôme Sans et Nicolas Bourriaud programmateurs au Palais de Tokyo de 2000 à 2006: «Nous avons décidé de nous concentrer sur la nouvelle génération, celle des années 2000. […] Nous avons créé le Palais de Tokyo comme un outil cognitif sans chercher à capitaliser sur notre passé, mais pour élaborer une situation dʼexpérimentation avec une génération dʼartistes moins reconnus. […]
Il était question de créer une institution avec une philosophie nouvelle et un autre mode de fonctionnement. Nous avons adapté notre action au fur et à mesure, sans dévier de la ligne que nous nous étions fixée. […] Notre principe de départ était de réunir des tendances éparses, qui coexistent à lʼétat gazeux, et de les rendre plus visibles.»(31)
Des festivals comme le Belluard ou le festival des Urbaines lʼont bien compris: sʼoccuper des interstices, des inclassables et des marges de lʼart est une démarche primordiale pour lʼinnovation artistique, qui est un de leurs buts avoués (et, dans le cas des Urbaines qui est géré par une fondation, dans ses buts notariés).
9.2.2 Mission
Nous proposons donc la création dʼune nouvelle structure en Suisse Romande, sorte de kunsthalle transdisciplinaire, ou le remissionnement dʼune structure existante, avec une mission claire:
Être à lʼorigine de lʼémergence de nouvelles familles dʼartistes autour de projets innovants, et par là assurer à moyen terme le renouvellement du rayonnement local dans la création contemporaine internationale, autour dʼune plateforme ignorant les contraintes disciplinaires qui favorise:
– le besoin des artistes dʼexpérimentation sans contrainte de médium (production)
– la demande de certains publics de projets expérimentaux locaux et internationaux (offre culturelle ciblée)
– la rencontre des projets expérimentaux avec un public local (confrontation), et dans un deuxième temps un public international (diffusion)
– la connexion stimulante entre autres artistes de ces nouvelles scènes internationales (accueils, rencontres, collaborations, échanges)
– leur départ rayonnant de la structure après quelques années pour laisser leur place aux nouveaux émergents (fluidité, renouvellement).
Les modalités d’accueil et de présentation des projets et des artistes (résidences? production? …) par la structure feraient partie du projet de direction. Il sʼagit dʼun fonctionnement proche dʼun laboratoire: des buts clairs, une exigence de résultats, des moyens dʼexpérimentation et une liberté dʼaction. Nous insistons sur la nécessité de transdisciplinarité de lʼorgane de programmation: un comité aux expertises multiples, une personnalité spécialement polyvalente et bien entourée…
9.2.3. Positionnement entre centres dʼart alternatifs et institutions
La position quʼoccuperait une telle structure est entre le lieu alternatif et le musée ou la salle de spectacle internationale. Un entre-deux qui permet lʼaffirmation dʼune démarche expérimentale, sa connexion et sa solidification. Plutôt que de proposer un concurrent aux lieux cités dans ce mémoire, il est indispensable dʼenvisager les moyens de la collaboration: accueil de projets de lieux alternatifs, collaboration avec les institutions, échanges, mise en commun de ressources… Il sʼagit de capitaliser sur les forces incroyables de la jeunecréation, souvent alternative, qui ne se développe pas faute de lieux et de moyens adéquats, et de leur proposer un pas dans un institutionnel léger et réactif, avec comme axe principal un mélange de liberté artistique et dʼexigence de pertinence.
9.2.4. Public, interdisciplinarité et médiation
La création dʼune telle structure à lʼannée aurait un excellent impact sur son dispositif de médiation et sa recherche de public. Capitalisant sur plusieurs publics jeunes, dont celui très réactif de la musique et des arts visuels, il serait nécessaire de faire de cet endroit une sorte de rendez-vous. Il existe dans les villes de Genève et Lausanne un public jeune, très curieux. Principalement étudiant, il est présent en force aux Urbaines, au Mapping festival,mais également à lʼannée dans les centres dʼart alternatifs. Il est par contre très absent des théâtres. Michèle Pralong: «Nous faisons beaucoup dʼefforts pour intéresser le public des étudiants en arts visuels… Si on ne fait rien, le théâtre va mourir de vieillissement du public.
De 18 à 35 ans, il y a traditionnellement un immense trou de fréquentation. Quand je rencontre des gens de cet âge, leur explication est souvent alarmante: il nʼy a plus rien dans le théâtre qui leur corresponde…»
Nous avons la conviction quʼun projet bien amené, offrant une plateforme au public et aux artistes, permettrait de développer ces publics urbains dʼune manière suffisante pour un lieu de petite taille. Très connectés, plus à l’affût des formes dʼaujourdʼhui que leurs aînés, il ne fait aucun doute pour nous que ces publics sont les porteurs du dynamisme actuel et futur de la scène culturelle. Ils sont hélas souvent considérés comme secondaires, voir totalement ignorés des institutions, trop soucieuses de répondre aux exigences de leurs abonnés ou trop intéressés à retenir lʼattention des publics plus âgés et plus influents sur la scène politique. Nous avons également la conviction que cʼest parmi ces milieux que se trouvent les artistes porteurs des nouvelles propositions formelles.
Une politique culturelle intelligente saurait capitaliser sur la base de son mélange avec dʼautres publics moins «underground», mettre en réseau et internationaliser les artistes, et ainsi dynamiser une scène prometteuse inexploitée. Une collaboration choisie avec les écoles dʼart et les universités serait également une des clés de la réussite de ce projet hypothétique.
9.3. Aide à la création: pistes pour lʼencouragement des projets et des carrières sans imposition de médiums prédéfinis
Sandrine Kuster lʼaffirme: «les divisions théâtre et danse existent et les projets doivent entrer dedans. Il faudrait créer une division « pluri » [NDA pour juger les projets différents] et acquérir les compétences (ou lʼexpérience) de les juger..» Les récits des difficultés des artistes lui donnent raison: il est très difficile dʼentrer dans des critères formels définis par les commissions quand on désire justement en sortir pour innover.
9.3.1. Aide à la création: piste de la généralisation des commissions pluridisciplinaires (et leur nécessaire redéfinition en commissions transdisciplinaires)
Nous pensons, et cʼest également le cas des artistes interrogés, que la mise en place de commissions pluridisciplinaires, comme dans la ville de Genève ou le canton de Vaud, est un pas important dans la bonne direction. Les avantages de ces commissions à lʼheure actuelle nous paraissent les suivants:
– soutien à des créations hybrides non reconnues par les autres commissions
– encouragement à la collaboration artistique
– acquisition de compétences de validation pluridisciplinaires, mais nous voyons plusieurs pièges liés à leur fonctionnement actuel
– le risque de créer un nouveau style, le «pluri», et de laisser de côté nombre de projets innovants, si elles nʼassouplissent pas leurs conditions dʼentrée basées sur le mélange de disciplines
– le manque de souplesse de la distribution des moyens entre les commissions, les petits moyens donnés à la création donnés par la commission vaudoise (qui empêche les projets de Massimo Furlan dʼy rentrer, par exemple)
– le risque, relevé par Florence Chappuis, de devenir une commission de sauvetage des projets de théâtre et de danse, contenant dʼautres formes dʼexpression comme la majorité des pièces contemporaines, refusés par les commissions spécialisées. Il semble, à la vue de projets encouragés, que ce soit déjà partiellement le cas.
Un modèle pourrait être défini par la négative: les projets soutenus par la commission (appelons-la transdisciplinaire) pourraient être sélectionnés du fait de leur impossibilité de soutien par les autres commissions pour des raisons de critères dʼentrée. En clair: un spectacle de théâtre contenant de la musique peut être facilement encouragé par la commission théâtre, et donc ne rentrerait pas dans les attributions de la commission transdisciplinaire. Par contre, un projet inclassable, ne proposant pas réellement de mélange, pourrait y trouver un soutien. La commission pourrait aussi, par ce biais, soutenir le monde protéiforme de la performance, manquant cruellement de soutiens, ou des projets originaires des arts visuels mais ne comportant pas de production dʼobjets à proprement parlé.
Il est important également que ces commissions, à lʼimage de celles de Genève et Vaud, fassent preuve dʼune grande souplesse au niveau des délais de rendu des dossiers. Le système actuel de soutien de la danse et du théâtre est calqué sur la programmation annuelle des théâtres, et force à un rendu des dossiers au moins de une année à une année et demie avant leur présentation. Ce système est très rigide, et ne permet pas la réactivité qui nous semble nécessaire au soutien à ce type de projets, se situant souvent dans une dynamique plus rapide. Yann Marussich: «quelque chose que jʼaime dans la performance, cʼest quʼil y a quelque chose de léger au niveau de la vente: tu nʼes pas obligé de présenter tes projets deux ans à lʼavance. Cʼest un truc plus spontané, plus juste.»
9.3.2 Aide à la création: piste de la commission unique
Un autre modèle, plus ambitieux, mais plus compatible avec notre reflexion, est la refonte générale du système des subventions. Une sorte de commission dʼexperts de diverses provenances, jugeant les projets comme tels, à lʼaide de critère communs à définir, et sʼen répartissant la validation par petits groupes souples, par domaine de compétences. Nous sommes bien sur conscient de la difficulté de mise en place que cela présente, ainsi que des réticences évidentes des milieux pour lesquels il existe des systèmes qui fonctionnent.
La Loterie Romande fonctionne avec un système de commission unique. Blaise Triponnez explique son fonctionnement «Le système est très ouvert: tous les membres ont droit au chapitre, même si cela nʼest pas directement dans leur domaine de compétences Cela nous arrive de demander des expertises externes, quand nous nʼarrivons pas à décider de la validité dʼune demande.» Un modèle dʼexpertise souple serait, en tout cas, intéressant.
Lʼévaluation de projets difficilement classables pourrait même se faire par des experts proposés par les candidats et validés par la commission, comme pour certains programmes de recherches scientifiques.
Les avantages dʼune commission de répartition unique nous semblent multiples:
– ouverture des soutiens à tous les types de créations: performances, production dʼoeuvres non plastiques, installations, dispositifs mixtes, inclassables…
– possibilité de détermination des enveloppes en fonction de lʼimportance des projets, et non en fonction des disciplines, point qui actuellement ne fonctionne pas (impossible dʼobtenir pour un performeur comme Massimo Furlan ou Yan Duyvendak une enveloppe assez importante pour un spectacle sans changer de commission)
– possibilité de validation de tous les aspects des projets (de lʼaspect plastique ou musical dʼun spectacle, de lʼaspect sonore dʼune installation, de lʼaspect littéraire dʼune performance, de lʼaspect scénique dʼun concert, etc.)
– souplesse accrue permettant une politique culturelle plus vivante. Possibilité de remise en question de certains automatismes non questionnés (prévalence de la musique classique, du théâtre, dévalorisation des disciplines vues comme «populaires», etc…)
– responsabilisation politique autour dʼune politique culturelle générale et non dʼune somme fractionnée de systèmes acquis. Les risques inhérents à ce fonctionnement sont également nombreuses. La mise en place du système devrait en tenir compte, en mettant en place des mesures pour les prévenir:
– poids de certains lobbies culturels. Thierry Spicher: «dans une commission large, il y a des rapports de force, et les rapports de force sont toujours en faveur des gens en place. Le contraire de ce que tu prônes.»
– danger dʼuniformisation de la création autour de critères consensuels
– fonctionnement démocratique lourd
– opposition des milieux très soutenus, comme les orchestres ou les compagnies de théâtre, ayant peur de perdre leurs acquis.
9.3.3 Aide à la création: piste du fond dʼencouragement transdisciplinaire directement attribué à une institution missionnée
Thierry Spicher: «quel est le bilan du système de commissions au bout de vingt ans? Il serait intéressant de le faire. Dʼautres systèmes pourraient exister, par exemple le soutien à la création en accord avec un missionnement spécifique des lieux, gérés directement par les institutions.»
Les avantages dʼune telle solution dans le cas de lʼexistence dʼune structure de monstration clairement missionnée, nous paraissent intéressants:
– ouverture des soutiens à tous les types de créations: performances, production dʼoeuvres non plastiques, installations, dispositifs mixtes, inclassables…
– responsabilisation dʼune structure ayant les moyens de ses ambitions: buts, évaluation des résultats à moyen terme
– système orienté autant sur le résultat pour le public que sur la démarche des artistes, à même dʼintégrer à la base du projet la médiation nécessaire à son accueil
– possibilités de stimulation de lʼémergence accrues
– Attractivité de la structure pour les artistes désireux dʼune double démarche de recherche et de visibilité
– cohérence du dispositif. Possibilité de soutiens sous de multiples formes: résidences administratives, mise en commun de ressources, diffusion…
– expertise transdisciplinaire du système de monstration utilisable pour la validation des projets au moment de la production
– réactivité du processus de soutien et de monstration, adapté aux besoins spécifiques des artistes au moment de la mise en place de leur projet
– soutien dʼune écurie dʼartistes, plateforme pour la mise en réseau de démarches polymorphes, inspiration réciproque, avec un «label» décisif.
Les risques à prévenir nous semblent:
– pouvoir excessif dʼun lobby sur la structure
– direction pas assez transdisciplinaire, «un théâtre de plus»
– suivi des artistes transdisciplinaires quand ils quittent la structure.
Un des problèmes récurant du festival des Urbaines est celui de ne pas pouvoir supporter les frais de productions dʼoeuvres qui nʼont pas obtenu les faveurs des commissions, souvent parce quʼelles échappent totalement aux catégories en place. Les petits budgets de production permettent aux artistes de se confronter à un public, ce qui est un aspect très important pour lʼémergence et lʼexpérimentation, mais en aucun cas de réaliser le travail de recherche nécessaire à celles-ci. La création dʼoeuvres destinées à leur présentation serait un avantage décisif de la structure et augmenterait son attrait. Le missionnement clair de cette institution permettrait la production dʼoeuvres dʼarts sans distinction ni catégorisation de formes. La disposition sur place dʼateliers nʼest pas, par contre, nous le pensons, une formule intéressante. Si la création in situ doit pouvoir se faire de cas en cas, lʼencouragement de créations se doit de laisser les artistes évoluer dans le cadre quʼil fréquentent dʼhabitude – ateliers, locaux de répétition, etc.- en leur fournissant par contre les moyens de productions, pas trop élevés pour ne pas détruire le dynamisme du «système D» propre aux arts en émergence, mais suffisant pour créer de réelles opportunités de production.
31 Nicolas Bourriaud et Jérôme Sans, Catalogue de lʼexposition Notre histoire – une scène artistique française contemporaine. Palais de Tokyo, Paris Musées, janvier 2006.