Charles explicite également quelques phénomènes. Celui qu’il décrit le plus est le phénomène de la solidarité. Les autres phénomènes (solitude, souffrance, frustration, colère, violence) sont également présents mais pas forcément nommés en tant que tel par Charles.
Charles relate souvent les demandes qu’il fait au Directeur : « j’ai demandé au Directeur…. ».Il semble selon Heidegger que c’est pour lui une façon de pouvoir exister en prison.
Charles a insisté pour être seul dans une cellule, cependant nous pouvons nous poser la question s’il ne se sentait tout de même pas isolé et seul, puisqu’il décrit les fins de matinée et de journée de telle manière : «(…) la promenade vers 11h30 et après tu fais quoi ? Tourner en rond ! (…). Si vous vous occupez cela aide à pas penser à l’affectivité. J’ai même fait de l’origami pour pouvoir passer le temps. Plier, plier, je fais quoi, il est 17h, 18h, j’ai pas sommeil, je lis, j’ai plus envie de lire, d’étudier, j’arrive plus, je fais quoi, je continue à plier. Essayer d’oublier ». Même si Charles mentionne l’affectivité qu’est-ce que Charles essaie d’oublier ?
Bien sûr il dit également que les temps libres lui ont permis d’étudier : « (…) Mais moi, je n’ai pas eu ce problème. Moi j’étudiais, je m’occupais différemment quoi. ». En même temps comme nous l’avons vu dans le corpus théorique, n’est-ce pas une manière d’oublier le Réel qui se manifeste au sujet qui peut éprouver de la résistance au monde et l’affectivité qui se manifeste à lui, la partie du corps qui fait souffrir ?
D’une certain façon, Charles est peut-être retourné sur une partie de son corps, d’y être à la fois enchainé sans pouvoir s’en distraire, une partie du corps qui fait souffrir et qui frustre. D’ailleurs à un moment donné, il raconte son expérience par rapport à la masturbation : « L’acte ne suffit pas, mais ça aide, il faut le dire. Ca calme un peu quand même. En même temps, il n’y a que ça. (…) Chacun trouvait sa façon. Je travaillais à la buanderie et je trouvais des matelas avec des trous. (Rires). ».
Charles exprime souvent la solidarité qui s’installe entre les détenus. Reprenons sa citation où il dit : « (…) parfois tu vois quelqu’un, tu dis dehors tu ne lui parlerais pas, il est pas bien. Mais dedans, ça change tout parce qu’on est tous dans le même bateau et si on s’entraide pas, ça ne marche pas. (…) ».Puis au fil de l’entretien, il reparle de la solidarité en ajoutant : « (…) Mais quand il y a un problème qui concerne vraiment tous les gens, là c’est différent. Les gens mettent un petit moment sa rancune de côté parce qu’il y a eu deux, trois fois soit disant, ça m’a fait rire aussi, comme on dit, les émeutes(…) c’est simplement demander des choses qui n’arrivaient jamais(…) ».
Il raconte également sa colère envers certains gardiens qui le traitent comme un coupable alors que son jugement n’a pas été prononcé. Il raconte : « Je suis désolé, est-ce que je suis condamné ? Non alors, je suis innocent encore, j’ai encore tous mes droits. Je lui montrais le code pénal parce que j’en ai acheté un et je lui disais « Tu vois c’est écrit là ». (…) Je n’utilisais pas les gros mots, mais je haussais la voix (…) je n’ai dit que la vérité». Charles semble avoir besoin de considération en tant qu’être humain. Il le répétera plusieurs fois durant notre rencontre.
De plus, Charles exprime la frustration qu’il éprouve quand il pense au système judiciaire. Il raconte : « Je n’arrive pas à comprendre ce système, c’est un système de fou. Simplement être-là, la capitale des droits de l’homme, soit disant où on a créé les droits et on donne le strict minimum. Et il y a des pays où on donne plus et il y a moins de problème. ».
Le peu d’intérêt de la population au sujet des conditions de vie des détenus semble être une souffrance pour Charles car il dit : « (…) Aujourd’hui, vous êtes confrontés à ça parce qu’on en parle mais les gens sinon ils s’en foutent de ça. Un jour on doit sortir. Les gens ne s’imaginent pas qu’on va sortir un jour et comment ? Avec plus de colère, avec la rage(…) ».
Charles raconte comme mentionné plus haut que la séduction est importante pour lui. Il a l’air d’associer la séduction avec le fait d’être avec une femme. Peut-être le fait qu’il n’y ait que des gardiennes n’a pas satisfait son besoin de séduction et lui a fait naître un sentiment de solitude car il dit : « D’amour (rires). Oui passer un moment bien, comment expliquer… C’est pas que sexuel aussi, c’est… voilà, … l’envie de se sentir vraiment… je ne trouve pas le mot… se sentir dans les bras d’une femme… ».
Il explique qu’il y a beaucoup de tension, que tout le monde est tendu même les gardiens. Il indique : «(…) Des tensions de tous les côtés (…). Oui pourquoi dire non si c’est vrai. On est tous tendus, même les gardiens sont tendus. Même le directeur de la prison est tendu. Et s’il n’est pas tendu, c’est qu’il y a un problème, c’est qu’il s’en fout. ». Par son récit, nous pouvons supposer que ces tensions sont provoquées par le mélange de différents sentiments dont la frustration, la colère et la violence vécues qui sont souvent difficiles à exprimer avec des mots.
Charles répond à notre question qui est : vous pensez que s’il y avait des parloirs intimes un peu partout cela diminuerait la violence et les tensions ?
«Ah mais écoutez, les hommes qui font l’amour, c’est les médecins qui le disent, ils se sentent bien, il y a plein d’hormones et des vitamines qui se calment qui aident à calmer les gens… Ça sert à calmer plein de monde, ça c’est sûr. ». Sa réponse nous remet au niveau du besoin de calme qu’éprouve la majorité des personnes interrogées. En effet, le besoin de calme finalement apparaît fréquemment dans tous les récits.
A force de réfléchir toute la journée et d’être sollicité souvent, le corps semble se fatiguer. La créativité s’affaiblit. Et par la même occasion, cela affaiblit l’expérience pathique de s’ouvrir à la surprise, à l’étonnement.
Charles exprime aussi le « bien fait » du moment sous la douche qui lui permet de se calmer, qu’il ne fallait surtout pas lui enlever cet instant et donc peut-être de diminuer durant un instant sa colère et la violence qu’il vit au quotidien.
Il ajoute que la violence pour lui c’est : «La violence comment expliquer, c’est pas qu’on se fait du mal, ça fait mal. C’est violent, par exemple la contrainte d’être séparé avec sa femme(…). Pour moi la violence c’est que tu perds plein de trucs et après tu perds tout et quand tu sors ; on te donne rien. En plus, il faut sortir comme un ange ! Il faut réfléchir, ce n’est pas une solution. ».