Dès novembre, l’attention commença à se focaliser sur la nécessité d’aborder le problème des trop nombreux actifs improductifs venant peser sur le bilan de banques exsangues. C’est l’étape suivante de la gestion de la crise financière : le nettoyage du bilan. Alors que les plans de garantie et de recapitalisation ont avant tout permis de prévenir un effondrement financier, et ont soutenu le marché du crédit interbancaire, les prêts aux acteurs de l’économie réelle se sont largement ralentis, en raison de l’incertitude restante quant à la valeur et à la localisation des actifs dépréciés . Tant que les marchés restaient dans le doute sur la valeur des actifs détenus par les banques, ces dernières ne pouvaient accéder de nouveau au marché du gros crédit.
Le problème était presque insoluble : l’absence de marché des actifs « toxiques » combinée à la chute de valeur de ceux-ci, résultait dans l’impossibilité pour les banques de se séparer d’actifs dépréciés (« catégories d’actifs sur lesquels les banques risquent de devoir supporter des pertes (91)»). Les institutions financières ne pouvaient qu’accumuler du capital, faisant office de tampon, en prévision de futures dépréciations. Dans ce contexte, les prêts destinés à l’économie réelle étaient loin de constituer la préoccupation première des institutions financières. En revanche, nettoyer les actifs improductifs était un prérequis pour un retour à la confiance des investisseurs et au final pour la viabilité à long terme des firmes les détenant. S’il est difficile d’estimer le volume représenté par ces actifs, on peut noter pour avoir un ordre de grandeur, que le ministre des finances allemand Peer Steinbruck, évaluait à 850 milliards d’euros, les actifs toxiques des seules banques allemandes (92).
Plusieurs gouvernements envisageaient des mécanismes de sauvetage des actifs, ainsi l’Allemagne en janvier 2009 annonça son intention de créer une structure de défaisance « bad banks » dans laquelle les banques pourraient transférer (revendre) les actifs dépréciés. Le prix de transfert ne serait pas celui du marché mais la valeur comptable de l’actif. Un tel projet requérant l’accord de la Commission, les autorités allemandes cherchèrent à s’informer de la compatibilité du système avec les règles applicables aux aides d’état ; or ni la Communication bancaire, ni la communication relative à la recapitalisation ne prévoyaient un mécanisme comparable.
A nouveau, la Commission se devait de publier des indications adéquates. Cependant, le contexte exceptionnel de la crise impliquait des questions inédites. Quels sont les actifs pouvant bénéficier de mesures de sauvetage ? Mais surtout, comment déterminer la valeur des actifs en question ?
Un marché des actifs toxiques n’existant pas, et la perspective de l’émergence d’un tel marché étant très faible, il n’était pas possible de les évaluer selon leur valeur de marché. Or parvenir à une évaluation correcte est un point crucial. Si la valeur retenue est trop réduite, le mécanisme de transfert ne fournira pas le soulagement attendu. A l’inverse, si la valeur retenue est trop élevée, les firmes pourraient se sentir protégées des coûts de leurs mauvaises décisions d’investissement (problème de l’aléa moral) ; cela risquerait également de créer des distorsions en désavantageant les firmes ne détenant pas d’actifs éligibles au mécanisme. En outre, l’intervention de la Commission était indispensable dans un souci de coordination : fournir une méthode de valorisation commune que chacun des états membres pourrait appliquer. En l’absence de méthode d’évaluation commune, certaines banques pourraient bénéficier de prix de transfert plus avantageux, ce qui engendrerait des distorsions de concurrence au sein du marché intérieur.
Finalement le 25 février 2009 est publiée la communication relative aux actifs dépréciés (93). Celle-ci indique, que le choix du mode d’intervention du sauvetage des actifs est à la liberté des états membres. Les actifs peuvent être isolés dans un fonds commun de créances (« special purpose vehicle –SPV), être indemnisés contre les pertes subies via un régime d’assurance, être cédés à une société de gestion des actifs ou encore, un système hybride peut être envisagé. Quel que soit le mode d’intervention sélectionné, la Commission impose le respect d’une d’un certain nombre de conditions.
Le projet de sauvetage doit clairement identifier les catégories d’actifs couverts. Les banques doivent faire preuve « d’une transparence totale ex ante et fournir les informations complètes sur les dépréciations pour chaque actif concerné par les mesures de sauvetage » basé sur une méthode d’évaluation commune (94) Cette méthode, conçue par la Commission en partenariat avec la Banque Centrale Européenne sur recommandations de l’Eurosystem, se fonde sur la valeur économique réelle et non sur la valeur comptable. C’est ainsi que la Commission explicite son raisonnement :
« il n’existe aucun marché pour un grand nombre de ces actifs; certains sont pourtant encore susceptibles de générer des recettes et des bénéfices à long terme. Ainsi, la valeur de marché dans ce cas exceptionnel peut être tout simplement nulle. D’un autre côté, ces actifs ont une valeur comptable qui dépasse largement leur valeur de marché courante. Pour qu’une mesure de sauvetage des actifs constitue une aide pour une banque, les actifs doivent être cédés à une valeur supérieure à leur valeur de marché courante. Cette valeur de transfert devrait être la valeur économique réelle, fondée sur le flux financier sous-jacent d’un actif donné au cours du temps. La différence entre la valeur de marché effective et la valeur de transfert fondée sur la valeur économique réelle représente le montant d’aide d’État autorisé. La différence entre la valeur comptable et la valeur de transfert est la perte que les banques doivent maintenant prendre en charge, de manière à partager le coût des mesures de sauvetage des actifs avec les contribuables (95) »
La détermination de la valeur réelle, bien qu’effectuée par les gouvernements octroyant la mesure d’aide, n’échappent pas à l’évaluation de la Commission (associée à un comité d’experts en évaluation)(96).
Les firmes éligibles au sauvetage des actifs doivent en outre soumettre un plan de restructuration démontrant un retour à la viabilité à long terme et prévoir des dispositions capables de remédier aux potentielles distorsions créées par l’aide (réduction et dessaisissement de certaines activités rentables …). Les mécanismes de sauvetage mis en place doivent être temporaires, il est ainsi prévu une période de soumission des demandes limitées à six mois à compter du lancement du plan de sauvetage, afin de garantir une résolution rapide de la crise financière et de limiter « l’intérêt pour les banques de retarder la publication des informations nécessaires dans l’espoir de bénéficier de mesures de sauvetage plus avantageuses à une date ultérieure » (97).
Passé mars 2010, sept états membres ont introduit des dispositifs de sauvetage des actifs pour un montant total de 376 milliards de dollars. Une grande partie de cette somme résulte du mécanisme mis en place par le gouvernement irlandais ainsi que du plan massif de sauvetage des actifs mis en œuvre par le Royaume-Uni à destination la Royal Bank of Scotland. La Commission approuva cette dernière mesure car elle garantissait une viabilité durable pour la Royal Bank of Scotland en l’absence de futures aides d’état ; cette banque partageait adéquatement les coûts de la restructuration, et des garde-fous adaptés étaient inclus dans le plan (98).
Pour conclure sur cette communication, il convient de noter qu’à la différence de celle relative à la recapitalisation, les difficultés se situaient sur le plan technique et non politique : la dynamique politique entre la Commission et les États membres est restée stable. La décision de s’appuyer sur la banque centrale européenne pour déterminer la méthode de valorisation a judicieusement prévenu les conflits potentiels. Si la conception de la communication s’est fait sans heurts, ce n’est pas tout à fait le cas de sa mise en œuvre : la Commission a notamment fait savoir son inquiétude quant au manque de transparence et au partage inéquitable des couts du système irlandais, National Asset Management Agency (NAMA)(99), il aura fallu attendre près d’un an pour que la Commission donne son accord final.
Il est temps de s’intéresser à l’intervention la plus audacieuse menée par la Commission depuis le début de la crise : sa politique en matière d’autorisation des plans de restructuration.
91 Communication de la Commission relative au traitement des actifs dépréciés dans le secteur bancaire de la Communauté – Questions fréquemment posées : À quoi correspondent les actifs dépréciés?, MEMO/09/85, disponible sur : http://europa.eu/rapid/pressReleasesAction.do?reference=MEMO/09/85.
92 BENOIT Bertrand, « Berlin backs toxic assets plan », Financial times, 12 mai 2009.
93 Communication de la Commission concernant le traitement des actifs dépréciés dans le secteur bancaire de l’Union européenne op. cit.
94 Ibid. § 20.
95 Communication de la Commission relative au traitement des actifs dépréciés dans le secteur bancaire de la Communauté – Questions fréquemment posées MEMO/09/85 Qu’est-ce que la valeur économique réelle – et pourquoi acheter les actifs à cette valeur et non à celle du marché?.
96 Communication de la Commission concernant le traitement des actifs dépréciés dans le secteur bancaire de l’Union européenne § 43 op. cit.
97 Ibid. § 26-31.
98 Décision de la Commission du 14 décembre 2010, affaire N422/2009 et N621/2009Royal Bank of Scotland.
99 « Bruxelles insatisfaite du programme irlandais de structure de défaisance ? », Euractiv, 23 février 2010.
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