L’analyse de la ségrégation, de la multiculturalité et du “vivre ensemble” dans le
quartier d’El Cerezo nous permet d’entrer dans les débats actuels concernant ces questions
aussi bien en Espagne qu’en France.
Cette étude nous montre la place importante qu’a pris l’immigration en Espagne.
Présente aussi bien dans le débat public que politique, c’est un sujet auquel s’intéressent de
nombreux chercheurs et acteurs de la vie publique. L’immigration est un phénomène qui a
commencé à être important vers 1995 à Séville, et qui s’est amplifié dans les années 2000.
Les immigrés habitent principalement dans des quartiers en reconversion, anciennement
ouvriers, où les logements sont à des prix plus abordables (districts de la Macarena, Cerro-
Amate, Macarane Norte, etc.) et disponibles du fait d’un déplacement de nombreux
autochtones vers la périphérie de Séville pour obtenir un logement individuel.
La Macarena étant le district qui regroupe le plus grand nombre d’immigrés de la ville,
il n’est pas étonnant de voir un phénomène de ségrégation dans une telle zone.
En effet, comme nous l’avons décrit, la ségrégation apparaît comme un “entre-soi” n’ayant pas
qu’une portée négative puisque cela amène à un soutien psychologique, à résoudre certains
problèmes ou encore à élargir son réseau social. Ce phénomène peut donc contribuer à la
multiculturalité qui se traduit par le fait de partager son “espace vécu” avec des personnes
d’origines différentes même si cela a lieu de façon restreinte. Dans El Cerezo, nous pouvons
parler de ségrégation choisie puisqu’elle se fait par affinité et donne lieu à des situations
d’entraide entre personnes d’origines similaires malgré qu’elle soit influencée et donc subie par
le comportement xénophobe de certains autochtones. Nous n’avons pas traité la question de la
ségrégation comme elle peut être abordée dans les médias, c’est-à-dire que nous n’avons pas
parlé de ghetto car ce n’est pas le cas pour le quartier El Cerezo ni pour les quartiers
environnants. Nous pouvons simplement parler de regroupements communautaires qui
participent à la visibilité du phénomène migratoire dans cet espace.
Par ailleurs, les questions liées à la ségrégation sont importantes pour les politiciens qui
craignent d’éventuelles émeutes et situations de crise. Cela pourrait avoir lieu en cas
d’affrontements non maîtrisables entre individus d’origine ou de religion différentes voire
entre immigrés et pouvoirs locaux pour cause de mécontentement. Cela n’est pas sans rappeler
les violentes émeutes raciales et xénophobes d’El Ejido(45) en 2000. Pour éviter les conflits et
maîtriser l’immigration, la mairie de Séville a mis en place différents organismes qui traitent
de ces questions. Ils ont pour objectif d’intégrer les immigrés dans la ville de Séville que ce
soit aussi bien grâce au travail, au logement, à l’éducation que l’accès à la santé. Les différents
services propres à l’immigration rendent visible le grand intérêt que portent les pouvoirs
publics en place à ce sujet.
A cela s’ajoute les actions des organismes associatifs. Pour leur part, ils luttent
davantage contre l’exclusion sociale mais aussi spatiale et pour l’égalité des droits dans un
souci de justice sociale. Ils permettent également de faciliter l’intégration et d’éviter les
situations conflictuelles. Voilà pourquoi, participer à la mise en avant de la cohabitation est
une de leur ligne directrice qui permet d’éviter la ghettoïsation dans les quartiers
multiculturels. Ces espaces sont prédisposés au phénomène de ségrégation qui lui-même peut
mener au ghetto lorsqu’il n’est pas maîtrisé. Ainsi, les projets associatifs viennent souvent
compléter les politiques publiques. Ils permettent d’agir directement auprès des migrants et
leurs projets sont compatibles avec ceux de la mairie et de la région. Le plan pilote de la
Macarena en est l’illustration.
Par conséquent, il est essentiel de combiner les actions politiques à celles des associations
pour être plus à même de répondre aux attentes et besoins des immigrés en matière du “vivre
ensemble” bien que ça ne soit pas suffisant pour lutter contre les discriminations. Tous les
projets réalisés sont nécessaires puisqu’ils évitent que les immigrés soient “mis à côté” en
essayant de les valoriser et les intégrer parmi les autochtones. Aussi, suite à cette étude nous
pouvons constater qu’il faut beaucoup de temps ainsi que l’implication de nombreux acteurs
(politiques, associatifs, médiatiques, etc.) pour pouvoir affirmer que les interactions entre
immigrés et autochtones améliorent le “vivre ensemble” dans les espaces pluriethniques et
font diminuer les discriminations. Souvent dû à la méconnaissance de certaines cultures,
religions ou autres, les interactions entre individus peuvent se transformer en conflits.
Ce qui est particulièrement le cas dans les espaces multiculturels. Dans ce type de lieu, il semble
indiqué de ne pas être fermé à des cultures différentes dans un souci de cohabitation.
D’une part, vivre dans une société plurielle implique de cohabiter avec des individus
de cultures différentes, ce qui est parfois mal perçu. D’autre part, cela suppose souvent des
changements sociaux et urbains qui sont pour certains, difficiles à accepter, c’est pourquoi des
conflits persistent. Cela concerne essentiellement les populations installées avant l’arrivée des
immigrés.
Si bien que, pour El Cerezo, les conflits concernent principalement les jeunes
immigrés récemment arrivés et les seniors installés dans ce quartier depuis plusieurs
décennies.
Dans ce cas, les contestations sont essentiellement d’ordre générationnelles en lien
avec l’appropriation de chacun de l’espace public. Vient s’ajouter les préjugés et stéréotypes
qui engendrent une stigmatisation des immigrés. Tout cela entraîne des incompréhensions
pouvant mener à des situations conflictuelles. Voilà pourquoi, dans l’objectif de limiter les
querelles, les quartiers de ce type sont enclins à des fermetures ou à des contraintes dans
l’usage des espaces publics. Par ailleurs, les conflits sont fréquemment liés aux représentations
des habitants qui émanent des discours politiques, des journaux ou des émissions de
télévision, qui s’opposent trop souvent aux intérêts et aux bienfaits du “vivre ensemble”.
Ces propos sont ensuite repris et interprétés par la population locale pour donner place la plupart
du temps à des stéréotypes encore bien trop présent dans ce type de quartier. C’est pourquoi,
les immigrés sont toujours stigmatisés et que l’action coopérative d’acteurs publics est
primordiale pour tenter de mettre fin aux stéréotypes et aux dénonciations abusives.
Actuellement le poids médiatique est trop important pour lutter efficacement contre les
préjugés et pour une insertion rapide des immigrés dans des sociétés multiculturelles. Comme
nous l’avons vu “le manque d’interaction sociale entre la population rend difficile la
connaissance mutuelle et augmente la jalousie entre les uns et les autres” (VECINA
MERCHANTE, 2010, p233), ce qui mène souvent à des relations conflictuelles ou tout au
moins à de la méfiance. Le problème est lié à un désir d’assimilation des étrangers au lieu de
vouloir les intégrer, c’est-à-dire qu’ils aient les même droits et devoirs que les autochtones tout
en conservant leur culture d’origine. C’est pour cela que la présence d’acteurs associatifs est
essentielle au “vivre ensemble” dans les quartiers multiculturels, elle permet, de plus, d’éviter
les incompréhensions face à “l’inconnu” qui peuvent être illustrées dans les différences
culturelles.
Pour finir, la forte visibilité des immigrés dans le quartier El Cerezo, aussi bien
par la concentration urbaine que par le nombre important de commerces ethniques, a fait qu’il
est “devenu un quartier d’hyper visibilité de l’immigration” (TORRES, 2011, p. 176).
Ceci contribue à générer une peur de “l’autre” perçue comme un envahisseur qui “prend la place”
des autochtones ce qui engendre de la xénophobie. D’autant que les associations qui luttent
contre ces stéréotypes sont parfois contrées par des discours extrémistes émanant de partis
politiques radicaux tel le parti Démocrate Espagnol. Si bien qu’une des solutions pour
“banaliser” la présence des immigrés est de leur laisser accès régulièrement à la scène
publique.
Ce qui se fait grâce à la multiplicité d’événements pluriethniques qui ont lieu tout au
long de l’année dans divers lieux de la ville. Cela augmente les situations de coprésence et les
rend neutre. De plus, lors de ces festivités l’immigré n’apparaît plus comme quelqu’un qui
“dérange” mais comme une personne d’intérêt au niveau de sa culture et de ses coutumes.
Bien que tout le monde ne se déplace pas à ce type d’événements, se sont des moments
essentiels à l’amélioration de l’image que peuvent avoir les immigrés.
Il faudrait ajouter à cela une visibilité médiatique mettant en avant les immigrés en parlant
d’eux comme des voisins et non pas comme des étrangers comme c’est trop souvent le cas
jusqu’à présent. Le journal fait par et pour les immigrés à Séville (De Sur a Sur) n’a pas cette
portée. Diffuser régulièrement une image positive des immigrés permet de lutter contre la
xénophobie et contre les discriminations raciales encore présentes dans le discours de certains
sévillans mais aussi de compléter les actions des associations et des politiques publiques qui
ne suffisent pas à changer les représentations et les préjugés que peuvent avoir les habitants.
Cela nécessite beaucoup de temps et doit se faire à toutes les échelles aussi bien locale que
nationale voire internationale pour ainsi correspondre à l’ère de la mondialisation.
Les pistes de travail pour approfondir ce sujet sont nombreuses. Nous en évoquerons
une qui nous intéresse particulièrement.
Comme nous l’avons vu, El Cerezo est un quartier où la population immigrée est à majorité
andine, il pourrait être pertinent d’étudier un quartier à majorité d’immigrés d’Europe de l’Est
ou bien des gitans, population officiellement intégrée mais en marge de la société espagnole
comme c’est le cas dans le quartier Poligono Sur
45 Ville de la Costa del Sol, département d’Almeria, en Andalousie. En février 2000, de violents affrontements
ont eu lieu entre immigrés et autochtones visant essentiellement les marocains installés dans la ville.