Par sa taille, l’importance de ses ressources naturelles, son poids démographique, sa réussite économique, son statut de leader régional et la vigueur de sa démocratie, le Brésil est devenu un acteur essentiel dans l’arène internationale. Après des décennies de repli sur soi et d’instabilité, il se révèle comme un pays dynamique et innovant dans ses choix, qui a les moyens de ses ambitions.
Néanmoins et malgré les efforts accomplis, le chemin de son développement reste semé de difficultés et de tensions liées notamment à son histoire récente et aux fortes inégalités sociales et spatiales qui persistent.
La colonisation a mis en place un système de grandes propriétés qui s’est largement et durablement appuyé sur une main d’oeuvre asservie. A l’instar d’autres pays d’Amérique latine, aucune répartition de la propriété rurale n’a été réalisée. Sur le plan des pratiques politiques, la république a produit une tradition parlementaire qui continue de concilier les intérêts des oligarchies régionales et du gouvernement central. Elle n’a pas toujours été porteuse d’une tradition démocratique, loin de là. En interdisant par exemple le vote des analphabètes jusqu’en 1985 dans un pays où l’éducation publique ne s’est généralisée que très tard, les gouvernements successifs ont maintenu toute une population en citoyens de seconde zone. Cette population, sans pouvoir revendiquer ses droits, est restée dans une pauvreté extrême. Cette situation leste encore le décollage du pays.
Par ailleurs, le développement du Brésil a eu lieu de façon très contrastée selon les régions. La côte, puis le sud du pays se sont développés plus rapidement grâce à un accès facile et à un climat plus propice à certaines productions phares (canne à sucre, café…). A l’intérieur du Nordeste semi-aride, de grandes propriétés d’élevage se sont mises en place sur les meilleures terres, tandis que survivait une agriculture familiale sur les territoires résiduels soumis aux sècheresses et à la faim. Le sud du pays, non investi par les grands propriétaires, a accueilli les immigrants allemands puis italiens qui ont mis progressivement en place une agriculture familiale relativement prospère sur des terres fertiles et selon des techniques adaptées à une agriculture plus productive (mécanisation) et à une valorisation de la production (vin, fromage…), ce qui a permis un développement plus rapide de cette région. Sur les plateaux du centre ouest du pays, la recherche agronomique a permis la valorisation agricole de terres jusque là peu utilisées, et la mise en place de vastes propriétés de cultures annuelles.
En Amazonie, les populations traditionnelles sont restées pendant longtemps regroupées le long des fleuves, seules voies d’accès. La plus grande partie de cette région était inoccupée. Ce n’est que très tardivement, à partir des années 40, qu’une colonisation plus intensive a pu se faire par des agriculteurs familiaux et des travailleurs du Nordeste, fuyant la sècheresse ou à la recherche de terres. Ce mouvement s’est opéré sans pouvoir éviter une concentration foncière, du fait du désintérêt ou de la complicité des pouvoirs publics.
Les politiques de rééquilibrage économique, appuyées sur des fonds importants transitant par des agences de développement régionales (Sudene pour le Nordeste et Sudam en Amazonie), n’ont pu atteindre leurs objectifs du fait de l’inadaptation des projets et de leur manque de préparation avec les acteurs locaux. La faiblesse administrative de certaines municipalités et les jeux de pouvoirs n’ont pas permis de faire émerger une demande locale.
Avec la présidence de Lula, à partir de 2003, le développement territorial est apparu comme un moyen de réduire ces inégalités ainsi que de permettre un développement durable et équilibré du pays. Des politiques territoriales innovantes ont été menées par les différents ministères, mais de manière peu coordonnée. Cette situation a amené le gouvernement à mettre en place en 2008 un programme unique de développement territorial à travers les « territoires de la citoyenneté ». La mise en place de ces territoires supra municipaux, issus de l’évolution des « territoires ruraux », a été appuyée par le ministère du développement agraire. Ils sont gérés par des collèges de développement territoriaux (Codeter), assemblées paritaires entre les organisations de la société civile et les institutions publiques des différents niveaux administratifs (fédéral, État et municipal).
Parallèlement et dans un premier temps, à partir d’une réflexion scientifique, des expériences d’agrégation de petits entreprenariats locaux ont été mises en place à travers les Arrangements Productifs Locaux (APL) censés favoriser la coopération entre les organisations (privées et publiques) et l’innovation. Ces actions ont été présentées, peut-être trop rapidement au regard de leur degré de maturité, comme nouveau modèle économique. Elles ont néanmoins été promues comme stratégie de développement territorial sur le plan national, mais aussi au niveau international au sein des BRICS (Brésil, Russie, Indes, Chine, Afrique du Sud).
Ce développement territorial revêt en Amazonie un caractère particulier puisqu’il doit répondre, plus que dans les autres régions, à des objectifs de protection environnementale. Les engagements internationaux de réduction de la déforestation pris par le Brésil, impliquent une gestion plus rigoureuse et plus qualitative des territoires. Il s’agit d’enrayer, de façon économiquement viable, équilibrée et dans une relative paix civile, le scénario classique et destructeur de la colonisation : construction de routes, arrivée des migrants, abattis-brulis/agriculture, implantation de pâturages pour l’élevage bovin, dégradation des sols, concentration et conflits fonciers, abandon des terres et migration de populations vers de nouvelles régions forestières. Cette nouvelle gestion qui s’impose, passe par une meilleure coordination des politiques et des organismes publics, une utilisation des ressources plus adaptée et la promotion d’un modèle de développement durable du territoire.
Le Cirad, dans le cadre du projet « Dialogo » (2006-2009), a agit dans ce sens et accompagné le mouvement, en renforçant les espaces de discussion autour de la route Br163 reliant Cuiaba et Santarém en cours de goudronnage, ainsi qu’en organisant l’information et des formations. Le projet s’est développé dans trois territoire ruraux : celui d’ « Alta floresta » dans l’Etat du Mato Grosso, celui de la « Br163 » dans le Pará et, dans une moindre mesure, celui du Baixo Amazonas.
Le territoire Baixo Amazonas fait l’objet de plusieurs types d’occupation, d’exploitation ou de valorisation de l’espace, qui peuvent interférer, voire être antinomiques entre eux, ou encore être incompatibles selon leurs modalités avec les objectifs d’aménagement et de gestion durables. Ces types sont les suivants: celui des entreprises minières, forestière et liées au soja, qui défend un développement à travers la création d’infrastructures et d’emplois urbains, ce qui implique l’appropriation de terres par des groupes privés; celui des peuples traditionnels qui vivent au bord des fleuves et qui valorise les ressources naturelles, mais qui évolue avec les apports de la modernité ; celui des agriculteurs familiaux qui se place entre modernisation des exploitations et logique paysanne ; et celui des environnementalistes qui promeut la conservation et la gestion des espaces naturels ainsi que la préservation des traditions locales à travers la création de réserves et le développement de l’éco-tourisme.
La particularité du territoire Baixo Amazonas, comme de l’ensemble de l’État du Pará, est que l’agriculture familiale est encore très présente. L’arbitrage est donc encore possible entre différents modèles de développement. Cet arbitrage et cette recherche d’équilibre peuvent être réalisés dans ce territoire par le Codeter. Il est dans ses missions de promouvoir un développement durable et de permettre aux agriculteurs de trouver leur voie à travers l’élaboration de stratégies de soutien à l’agriculture familiale.
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A l’heure où le Codeter se structure, non sans difficultés, et construit un plan de développement, le Cirad cherche à soutenir cette instance de gestion du territoire à travers ses activités de recherche et de développement.
C’est dans ce cadre que le présent travail a été réalisé. Il a eu notamment pour but d’accéder à une compréhension intime du fonctionnement du Codeter et des outils mis en place pour favoriser le développement territorial, qui s’avère fondamentale. Elle permet en effet de proposer, sur la base d’une bonne connaissance de la situation, en les confrontant aux apports théoriques et méthodologiques récents de la recherche et développement, des pistes d’actions et d’approfondissement en faveur de l’amélioration du développement territorial dans le Baixo Amazonas, et plus généralement en Amazonie.
Ce travail tente ainsi principalement de répondre à deux questions de recherche:
– Comment fonctionne le Codeter comme dispositif de gouvernance ?
– Quelle est la pertinence d´une stratégie d´APL pour favoriser le développement territorial ?
Le développement territorial s’avère en effet être un bon moyen pour répondre aux enjeux du développement en Amazonie. Cependant celui-ci ne sera véritablement efficace qu’après un processus de construction long et difficile.
En effet le contexte historique du Brésil et de la colonisation de l’Amazonie font que la société civile, dans le territoire Baixo Amazonas, dispose d’un capital humain faible ainsi que d’une organisation récente et peu structurée à partir de la base. Dans ces conditions, la question se pose de la légitimité des organisations de cette société civile et de leur réelle force de proposition. Pourtant le Codeter est censé développer ses activités sur la base des propositions des institutions publiques, mais aussi et surtout sur la base des propositions de la société civile qui doivent refléter la demande des citoyens.
Une stratégie de développement des APL a bien été décidée au niveau national, puis relayée au niveau des États, mais ses modalités d’application sont encore peu claires. En outre cette stratégie, même incomplète, semble avoir été très peu diffusée et être mal comprise au niveau local. La mise en place des APL a néanmoins été proposée par le Codeter, mais devant le peu de maitrise du sujet, le débat semble s’être limité à la définition de priorités d’action dont les modalités doivent être définies par les organisations concernées localement.
Il est, à ce stade, possible d’avancer les hypothèses suivantes :
– Le fonctionnement du Codeter est rendu difficile par la faible légitimité et la fragilité des institutions de la société civile qui le composent.
– Le processus d’élaboration et de mise en place des APL rencontre de nombreuses difficultés à cause du manque de débat et de stratégie collective. Il se développe plutôt indépendamment du Codeter.
La présente étude s’est ainsi attachée à répondre aux questions de recherche et à vérifier les hypothèses présentées ci-dessus. Pour ce faire, la première partie du mémoire est consacrée à identifier et bien intégrer le cadre théorique du développement territorial, puis à caractériser l’enjeu que constitue ce type de développement au Brésil, et plus spécifiquement dans le territoire étudié. La deuxième partie traite des méthodologies de travail utilisées et précise leurs limites. La troisième partie rapporte les résultats de l’étude de terrain effectuée, d’abord sur le fonctionnement du dispositif territorial, le Codeter, puis sur trois Arrangements Productifs Locaux représentatifs de la diversité des dynamiques de développement local du territoire. Dans la discussion, dernière partie du mémoire, des thèmes plus transversaux sont abordés. Des pistes de réflexion et d’actions sont proposées.