L’ancienne tradition japonaise qui sépare le rôle de la femme de celui de l’homme est ancestrale. L’ère Muromachi (XIIe siècle) connut le pouvoir des femmes et une société matriarcale, où les femmes jouissaient de nombreuses libertés, notamment dans le domaine de l’amour et du mariage ; elles travaillaient également au même statut que les hommes. Le recul de la place de la femme semble avoir débuté durant l’ère Edo (dès le XVe siècle), avec la perte de pouvoir de la maison impériale, qui avait commencé au XIIIe siècle (27). La montée de la pensée Confucianiste, alors en plein essor au Japon, contribua largement à reléguer la femme à une place inférieure à celle de l’homme, identifiant la relation homme/femme à celle de souverain/sujet.(28)
La place de la femme est donc d’être soumise et obéissante, sans besoin d’être instruite, puisque sa seule véritable vocation est d’être une mère et une épouse, qui reste au foyer uniquement. Elle doit également transmettre ces valeurs d’humilité, d’obéissance et de soumission à ses filles.(29)
Cette définition des différents rôles sociaux de l’homme et de la femme persiste jusque dans la première partie du XXe siècle, l’ère Meiji (1868-1912) étant l’époque où cette hiérarchie sociale est la plus forte, avec une société patriarcale et paternaliste, bouleversée après 1945.(30)
La femme est donc traditionnellement tenue de montrer soumission et obéissance ; cela se ressent même dans son langage : les hommes considèrent en effet qu’une femme n’a pas besoin d’apprendre les kanji, mais seulement les kana, écriture simplifiée du Japonais. La femme doit aussi s’exprimer d’une façon différente, montrant respect et surtout, humilité : cela signifie donc l’emploi de mots polis, sans exprimer d’émotions fortes, et l’absence du « je » dans les phrases, la Japonaise faisant partie de la communauté, sans individualité. « Elle est l’exemple premier d’une disposition à l’effacement de soi-même ».(31)
Les mondes masculins et féminins sont clairement séparés : la sphère privée, domestique est le domaine féminin. La sphère publique, sociale, est masculine.
Ainsi, la femme est maîtresse du foyer ; gérant le budget familial, c’est elle qui dispose des pleins pouvoirs, mais uniquement à l’intérieur de la maison. Elle a un rôle défini : celui de la mère et épouse, entièrement dévouée à son « vrai métier ». D’ailleurs son apprentissage se fait, jusqu’en 1945, avec sa belle-mère, dont elle est le souffre-douleur.(32)
Il est également révélateur du rôle séculaire de la femme au sein de la maison, que son nom soit toujours « okusan ». Dans la tradition, ce mot signifie « celle qui habite au fond », pour désigner l’une des concubines des seigneurs. Un autre terme désignant la mère et épouse, par son époux uniquement, est « kanai », autrement dit « l’intérieur de la maison ». La femme quant à elle, appelle son époux « danna », mot signifiant « le seigneur » ou « maître » ; c’est également le nom par lequel la geisha appelle l’homme qui l’entretiendra durant plusieurs années .(34)
La séparation des mondes masculins et féminins marque les occupations du quotidien : on attend donc de la femme qu’elle s’occupe de son intérieur, du foyer, des enfants ; aujourd’hui, l’épouse japonaise sort, voit ses amies, participe à des associations de consommatrices, apprend l’arrangement floral (ikebana). Ces activités restent ainsi liées au rôle traditionnel qui la relie à la maison, aux occupations ayant trait au foyer et aux enfants. L’homme est donc maître de la sphère sociale : ses activités sont situées à l’extérieur, en contact avec autrui. Il part tôt le matin, rentre tard le soir après sa journée de travail, après laquelle il ira en général boire un verre avec ses collègues du bureau, restant le plus longtemps possible hors du foyer, qui appartient à sa femme. Les tâches ménagères sont du ressort de la femme, ainsi l’homme ne participe que très rarement à la vie du foyer, son rôle l’astreignant aux activités extérieures, en retrait de sa famille.(35)
Ainsi de nombreux hommes, encore aujourd’hui, ressentent une grande frustration, leur rôle n’appartenant pas à la sphère familiale ; la famille nucléaire sans père d’après-guerre a également participé à l’accroissement de ce phénomène, éloignant encore plus le père de son rôle autoritaire sur la famille. C’est pourquoi nombre d’entre eux se sentent exclus de la famille. Cela explique également pourquoi cette frustration se reporte dans les fantasmes masculins sur l’image de la femme-enfant d’autrefois ; fantasme que l’on retrouve dans les mangas et animés pornographiques.(36)
27 Ibid, p.8
28 Elisseeff Danielle, Confucius, des mots en action, op.cit., p.106-107
29 Mineko Iwasaki, avec Rande Browne, Ma vie de geisha, Michel Lafon Publishing, 2003, p. 155
30 Desaint Nilsy, Mort du père et place de la femme au Japon, op.cit., p.7
31 Regards sur la femme Japonaise, p.6
32 Angeloni Vera, Le consensus au féminin, in Japon, le consensus. Mythes et réalités, Paris, Economica, pp. 305-306.
33 Hochman Natacha et Buisson Dominique, Regards sur la femme Japonaise, Hatier, Paris, p.63
34 Golden Arthur, Geisha, éd. Le Livre de Poche, Paris, p. 120
35 Desaint Nilsy, Mort du père et place de la femme au Japon, op.cit., p.21-22
36 Hochman Natacha et Buisson Dominique, Regards sur la femme japonaise, op.cit. p.63
Page suivante : 2)c. Vers un partage des sphères
Retour au menu : L’IMAGE DE LA FEMME JAPONAISE DANS LE CINEMA D’HAYAO MIYAZAKI